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[ Interview ] Les sénégalais et la sexualité

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[ Interview ] Les sénégalais et la sexualité

Docteur Serigne Lakhbib NDIAYE, Psychothérapeute-Conseil « L’équilibre et la durée de vie du couple est proportionnel au sexe.» 

Il a beaucoup été question, au courant de cette année finissante, de perversion sexuelle et de dépravation des mœurs au Sénégal. Seneweb a voulu aller plus loin, en interrogeant un spécialiste de la question. Serigne Lakhbib Ndiaye, Psychothérapeute-conseil décrypte tous les aspects de la sexualité et surtout l’évolution des mentalités, aux prises avec les influences venues d’occident. 
 

Seneweb : On présentait jusqu’ici les Sénégalais comme des pudiques. Peut-on parler d’un nouveau type de relation qu’ils entretiennent avec le sexe ? 

Dr Serigne Lakhbib Ndiaye : Il faut dire qu’aujourd’hui, il y a une nouvelle tendance des pratiques sexuelles du fait de la mondialisation. Les jeunes ont tendance à recopier les clichés venus d’Occident. Ce qui fait que de nos jours, il y a une certaine banalisation du sexe et surtout, une activité sexuelle très précoce. Avant, le sexe n’était envisagé que dans le cadre du mariage. Et celles qui tombaient enceintes en dehors des liens sacrés du mariage portaient douloureusement leur grossesse. Mais aujourd’hui, avec le niveau d’information, l’amélioration des conditions matérielles et la modernisation, les sénégalais, surtout les plus jeunes, développent une forme de sexualité qui leur est propre. Quand le désir rencontre un espace disponible…… 

Sur un autre registre il faut dire que le contenu des images qui sont diffusées dans les télés d’ici et d’ailleurs, la pauvreté et l’absence de dialogue dans les foyers ont beaucoup contribué à cette sorte de révolution sexuelle silencieuse dont vous faites allusion.

Aujourd’hui, il est admis de manière diffuse que des jeunes filles, entre 15 et 20 ans aient des petits amis qui peuvent même se permettre de rendre visite à leurs dulcinées chez elles. 

Seneweb: Dans quelle grille vous lisez le rapport entre les sénégalais et la sexualité de manière générale ?  

Dr S. L. N. : Vous savez, l’élément unificateur social, c’est le sexe. Et le sexe est au cœur de la relation homme femme. C’est donc de la fausse pudeur, du puritanisme que de ne voir en face les mutations que notre société est en train d’opérer dans le cadre de la prise en charge de sa sexualité. D’ailleurs, chez certaines ethnies comme les Manjacks, on encourage la procréation et plus on a d’enfants, plus qu’on a de chance de trouver un mari. Le sexe a ceci de particulier : il est caché et il est central. Et les hommes aiment découvrir ce qui est caché et aiment s’accaparer de ce qui central.

D’ailleurs chez les jeunes et les adolescents, ils se disent dans la tête que tant qu’ils n’ont pas fait le sexe avec leurs copines, ils n’ont pas encore cet ascendant psychologique. Si bien que dans leur tête, tout leur pouvoir et leur suprématie sur les filles se règlent à travers le sexe.

Pour les femmes d’un age mur et dans les couples, c’est avant, pendant et après l’acte sexuel qu’elles étalent toutes leurs doléances, ce qu’elles veulent disent et obtiennent souvent gain de cause, car, comme le dit l’autre, quand le sexe est long, l’esprit s’abaisse.

Dans le ménage, l’équilibre et la durée de vie du couple est proportionnel au sexe.

D’autre part, le sexe est aussi une sorte d’ascenseur social. C’est l’exemple d’un gigolo qui s’entraîne à l’haltérophilie pour se voir draguer par une « Maman Benz » qui le sortira de la pauvreté. Idem pour la femme avec la promotion du canapé, en vendant leur charme.

Le rapport entre les sénégalais ce n’est pas seulement le sexe comme acte final, comme pénétration. La sexualité, ici, commence depuis le jeu de la séduction, par les câlins, les trucs et les astuces. Pour la femme, la sexualité, c’est aussi tout son arsenal d’attirail composé de pagnes, petits pagnes, de perles et d’encens. Ce qui fait qu’on parlera davantage chez l’homme de la virilité et chez la femme plutôt de  sexualité.

Hier, les maris avaient plus peur de ne pas avoir la dépense quotidienne (DQ). Aujourd’hui ils ont plus peur de ne pas être performants au lit que la casse tête de la DQ. 

Seneweb : Quelle explication peut-on donner au penchant que le négro-africain a pour les femmes « fortes » ? 

Dr S. L. N. : La perception de la beauté du corps de l’individu dépend des cultures. Donc, par opposition à la culture occidentale où les canaux de beauté sont les femmes sveltes, minces et élancées, nous en Afrique, on a toujours aimé, pour la plupart, des femmes « fortes ». Parce que le corps est le symbole, pratiquement le réceptacle de l’aisance psychologique et matérielle. Par exemple, au Sénégal, lorsqu’une femme est nouvellement mariée, au bout de quelques temps, on s’attend à ce qu’elle grossisse. Et c’est un facteur qui peut expliquer la stabilité ou l’instabilité psychologique de la femme dans le ménage. On dit en wolof  « ki nji gui kéyy topato » (on prend soin d’elle), « ki séyy bi djik nako » (son ménage lui porte bonheur) ou «  ki séyy bi djiguou ko » (son ménage ne lui porte pas de chance).

Ensuite, généralement, à coté  de chez nous, certaines ethnies pratiquent le culte du poids chez la femme, par exemple le « mbélékh » chez les maures. C’est une pratique qui vise à gaver la femme pour qu’elle ait un certain volume. En ce qui concerne l’aspect sexuel de la chose, les hommes sont plutôt attirés par les femmes pleines et aux postérieurs ronds. L’esprit dominant dit à titre d’exemple, «  amm biir, amm taat ».

Chez nous, la femme mariée, svelte et mince, est le signe, dans la mentalité de nos sociétés, qu’elle ne jouit pas encore de tout ce qui est bonheur et stabilité dans le mariage. Alors après deux à trois maternités, on a tendance à voir la femme prendre du volume et du poids. C’est normal. Et là on commence à apprécier. D’ailleurs, on catégorise les femmes en termes de « diek », « diongoma », « drianké » ; « diank ». C’est des notions qui renvoient à certains types de femmes. C’est pourquoi, cette conception de la femme mince et svelte a du mal à passer, mais certaines jeunes filles, de plus en plus, préfèrent ressembler aux top models d’où les tenues prés du corps, serrées etc.. .Les filles ne veulent pas grossir mais cela ne concerne que des jeunes filles qui ne sont pas encore en âge de se marier ou qui ne sont pas encore dans le choix de formes de corps qui correspond à l’homme qui voudrait les avoir comme épouse. 

Seneweb : Quelle est l’influence de la modernité dans l’évolution des critères liés à la sexualité ? 

Dr S. L. N. : L’influence extérieure essaie de nous donner des models mais c’est des models propres à eux, à leur environnement, à leur culture, à l’histoire de leur peuple. Pour certains on peut être fasciné de certaines formes de beauté de ces top models. Mais aussi, de temps à autre, certaines femmes veulent se mettre dans ces situations mais ont peur de ne pas être en adéquation avec les exigences culturelles de chez nous. C’est la raison pour laquelle, une autre perception de la beauté du corps de la femme obéit à une photographie qu’on a de cette femme qui est « forte ». Si vous vous rappelez, le chanteur ivoirien Meiway a fait un tube à l’intention des seins des femmes. Il rendait hommage à ces femmes qui avaient des poitrines bombées et qui les ont perdues au fil des maternités. Si vous voyez les statuettes, les sculptures et les tableaux de nos artistes, toujours c’est la mise en valeur de la poitrine et des postérieurs. Ce n’est pas non plus seulement une beauté du point de vue esthétique, mais c’est un ensemble, la beauté de la forme du corps.

Les femmes ont aussi leur propre perception du corps des hommes. Elles ont aussi leurs canaux de beauté chez un homme. Quand on est une jeune fille, on voudrait avoir son petit « thiof », mais plus on grandit, on veut avoir son « kilifa ». Et c’est l’emploi des termes comme «  petit papa », « papa », «  papa chéri », « bébé ». Ces concepts renvoient à certaines catégories d’hommes. Les bébés à entretenir, à chérir, à câliner, alors que si vous entrez dans le concept de papa, c’est quelque chose qui a de l’ascendance, l’acceptation qu’on aimerait être chéri comme un papa à son enfant. 

Seneweb : Les tenues vestimentaires par lesquelles le corps de la femme est du domaine public contribuent-elles à raviver le fantasme des hommes ? 

Dr S. L. N.  : La mode est un facteur très important dans la formation d’opinions de masses. La création, la mode, obéissent à des logiques d’une certaine demande, mais aussi de la satisfaction d’un certain nombre d’individus bien déterminés. Les adolescentes et les jeunes filles aiment se mettrent en valeur. C’est pourquoi elles s’habillent sexy pour mettre en valeur leur corps, leurs rondeurs. Des fois, l’on peut se poser des questions de décence par rapport à ce qu’elles portent, alors que pour elles, cela ne les intéresse pas tellement pourvu seulement que leurs habits mettent en valeur les formes de leur corps. Evidemment, c’est une manière de se valoriser. Cela n’a rien à voir avec une  perversité quelconque. Les hommes aussi  rasent leurs moustaches ou barbes et font leurs « o » comme ils le veulent. Ils  se coiffent très bien pour montrer la beauté de leur tête. De la même manière, certaines femmes montrent la beauté de leur corps simplement pour montrer qu’elles sont en phase avec la perception que les individus ont de belles femmes. C’est seulement les excès qui dérangent. A part cela, il y a tout un rituel composé de port de bijoux, de pagnes, de sous-pagnes, de « bine bines » etc…. Ce qui était caché est maintenant du domaine du public, mais au fond, qui s’en plaint ? Cela fait partie d’une certaine sexualité que tout le monde partage.  
 
Seneweb : La fréquentation des centres de soins esthétiques et de soins du corps n’est  plus seulement l’affaire des femmes de nos jours. Les hommes aussi  les fréquentent. Est- ce à dire que le culte du corps s’installe dans nos sociétés urbaines ? 

 Dr S. L. N. : C’est qu’en fait, la société a évolué. La santé générale de l’individu a évolué. On ne peut plus se permettre de faire comme avant. Surtout que les produits et soins de beauté sont à profusion, à moindre coût et accessibles à tous. Un deuxième facteur est que l’individu a une certaine perception de soi, qui est conforme à ses exigences par rapport à lui même .On aime son corps. Et c’est la raison pour laquelle, on  recourt à tout ce qui peut permettre de peaufiner les parties du corps. Sans que cela ne débouche  nécessairement sur une certaine forme d’homosexualité ou de lesbianisme. C’est simplement une question de santé du corps. Par exemple,  pour la coiffure, les femmes se tressent parce que cela les rend belles d’abord pour elles mêmes et ensuite, pour les autres. La pédicure, la manucure sont des soins de santé esthétiques qui débouchent sur la beauté. Cela soigne et rend beau aussi. Chez les hommes, c’est la même chose .Avant, c’était les massages traditionnels que l’épouse faisait à son mari. On n’a plus ces femmes-là. Peut -être qu’elles n’ont plus la force physique de ces femmes .Mais recourir à un massage, c’est simplement et seulement, recourir à des soins de qualité. Et c’est une sublimation de soi. C’est la dérive qui est condamnable ; c'est-à-dire le fait de vouloir imiter certaines pratiques lesbiennes ou homosexuelles. D’ailleurs de nos jours, après certaines maladies, la recommandation est de recourir aux soins de massage. Comme on dit, dans toute activité, la perversité vient du détournement d’objectif. Simplement. Si vous allez en Asie ou en Europe, ils font leurs soins du corps tels que le « hamma », la « sauna », les bains publics turcs ; mais ils n’ont rien dans la tête. Ils le font parce qu’ils se soignent et après ils s’en vont. C’est bien pour le corps et pour l’esprit.

Propos recueillis par Mohamadou SY « Siré »

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