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Mgr. Adrien Sarr, archevêque de Dakar :

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Mgr. Adrien Sarr, archevêque de Dakar :
De passage à Abidjan, Mgr Adrien Saar, président de la Conférence épiscopale régionale de l'Afrique de l'Ouest s'est prononcé sur la situation socio-politique.

Monseigneur, vous êtes l'archevêque de Dakar et président de la CERAO. Après Cinq jours de travaux en Côte d'Ivoire (31 janvier au 5 février 2006), quel regard jetez-vous sur la crise ivoirienne ? Avons-nous la chance d'aller à la paix par le dialogue que prône l'Eglise ?

Durant ces cinq ou six jours de travaux en Côte d'Ivoire, je vois que Et ce n'est pas la première fois que je le constate. Une fois qu'on est à l'intérieur du pays et qu'on vit avec les gens, on sent quand même que la crise n'est pas comme une réalité pesante, durant toutes les heures, toutes les minutes, tous les jours de la vie des hommes. Mais, on sent qu'elle est là. Heureusement que malgré cela, les hommes et les femmes du pays continuent à vaquer à leurs occupations, même si la préoccupation d'un avenir meilleur les habite. Avez-vous des chances d'en sortir ? Je le crois. Sincèrement. Et c'est pour cela qu'à toutes mes interventions, à mon allocution d'ouverture des assises, à la messe d'ouverture, à la paroisse Saint Ambroise.

A l'audience que le Président de la République nous a aimablement accordée. Je répète toujours qu'avec vous, nous demandons à Dieu de faire que l'année 2006 marque pour vous et pour nous tous, ce retour définitif à la paix. Et je crois que la nom ination d'un Premier ministre, de la trempe de celui qui a été désigné, est une bonne chance à saisir par vous tous, pour arriver à dépasser cette difficulté qui pèse sur votre pays et qui dure pour que vraiment elle ne persiste pas plus longtemps. Parce que plus elle dure et plus elle sera difficile à réparer.

Avant M. Charles Konan Banny, il y a eu un Premier ministre qui n'a pas réussi sa mission.

C'est vrai et là aussi, je me demande pourquoi, pourquoi. Mais, je me dis, celui qui vient d'arriver, peut-être étant donné justement que le premier n'a pas réussi, les uns et les autres saisiront l'occasion du changement, pour évaluer le passé, analyser les causes qui ont fait que cette première tentative de résolution de la crise a échoué. Si on connaît les causes, on serait plus à même de faire en sorte qu'on ne reproduise pas les mêmes facteurs bloquants qui pourraient empêcher que cette deuxième tentative réussisse. Il faut que nous puissions regarder les leçons du passé, les comprendre et en tenir compte. Donc, si on regarde ce passé-là et que tout le monde regrette, il peut être source de stimulation pour que la deuxième tentative puisse réussir et amener vraiment cette paix que la Côte d'Ivoire désire, et que nous tous nous désirons avec elle. Surtout nous qui sommes des pays voisins de la Côte d'Ivoire.

Le Chef de l'Etat vous a dit lors de l'audience qu'il vous a accordée qu'après 45 ans de développement, le pays a accumulé des problèmes que certains ont voulu régler par les armes. L'Afrique est-elle condamnée à vivre ces crises profondes chaque fois que le père fondateur d'une nation n'est plus ?

C'est évident, on peut se poser la question. Est-ce que l'Afrique est condamnée à vivre ces crises ? Il a signalé les crises qui peuvent intervenir à la mort d'un père fondateur, le Président Félix Houphouët Boigny. Mais, il a également souligné, et c'est cela que j'ai le plus retenu, que les crises surviennent parce que tel ou tel pays d'Afrique recèle de richesses dans son sol. Je le disais d'ailleurs au Président après la cérémonie officielle, que le Président Abdoulaye Wade et moi, faisions la même analyse au Sénégal.

En disant qu'une des chances du Sénégal, qui fait que le pays est tranquille, c'est qu'il n'a ni pétrole, ni or ni diamant. Peut-être que le jour où nous allons découvrir de pareilles richesses chez nous, il n'est pas dit que ce qui arrive au Tchad ne nous arrivera pas. C'est pour dire qu'il faut que nous les Africains, nous soyons davantage sûrs de nous-mêmes, autonomes. Que nous arrivions à penser par nous-mêmes.

A penser pour nous même ; au lieu de nous l aisser manipuler. Chaque fois que les gens voient des intérêts dans nos pays, ils arrivent toujours à nous manipuler, à nous opposer les uns aux autres. Nous soulever les uns contre les autres. Et dès qu'il y a des crises, évidemment ils nous vendent des armes. Ce sont eux qui en bénéficient et ils créent la pagaille chez nous ; et cela leur permet de s'approprier plus facilement de nos richesses. C'est à nous Africains d'être vraiment responsables.

Il nous faut un sursaut de responsabilité et d'autonomie de pensée, d'action pour arriver à résister à cela. Je sais que ce n'est pas facile parce qu'ils ont tous les moyens possibles pour nous attirer dans leur traquenards et nous faire marcher comme ils veulent même si parfois on n'a pas conscience de cela.

Vous croyez donc que les puissances étrangères et particulièrement la France, en ce qui concerne les pays francophones, est toujours derrière ces crises-là ? Pour l'or, l'argent ou le diamant ?

Je dis toutes les puissances étrangères. Je ne dis pas seulement la France, sans doute d'autres puissances. Mais, je dis sincèrement que les crises africaines ne s'expliquent pas par les faiblesses des Africains eux-mêmes. Elles s'expliquent aussi par des interventions étrangères sournoises, que nous ne voyons pas toujours. Nous sommes victimes de certains grands jeux de la géopolitique mondiale. J'en suis persuadé. Et je dis que la base de tout cela souvent, ce sont nos richesses, et deuxièmement peut-être, certaines positions stratégiques qu'on veut occuper dans nos pays afin de pouvoir mieux gérer nos sols, etc. Je suis persuadé que les crises africaines ne s'expliquent pas seulement par les carences des pays africains, mais aussi, par une mauvaise volonté et des manoeuvres mal intentionnées.

Pouvez-vous faire un diagnostic de la situation en Côte d'Ivoire. N'y a-t-il pas aussi une crise de confiance entre les acteurs politiques ?

Je pense qu'effectivement entre les Ivoiriens il y a un problème. Mais que veulent les Ivoiriens ? Qu'attendent-ils ?. Veulent-ils vraiment la paix entre eux ? C'est une question que l'on peut se poser. On ne peut pas dire que vous Ivoiriens, vous n'avez pas un certain nombre de responsabilités dans ce qui arrive dans le pays. Ce sont des questions de méfiance mutuelle, les antagonismes. Surtout entre les membres des partis, les groupes ; ce qui fait que c'est difficile de négocier.

C'est pour cela que j'ai lancé un appel au dépassement. Si on ne dépasse pas les intérêts de personnes, les intérêts de groupes, les intérêts de partis, pour voir le grand intérêt national, voir le bien de toutes les populations. Vous pourrez rester longtemps comme cela à vous opposer. Je crois que c'est le dépassement qui est pour moi la vraie solution du problème. Il faut pouvoir nous dépasser en nous référant à des valeurs et à des intérêts en bien, qui transcendent les intérêts particuliers. A ce moment-là, la communion des esprits et des coeurs peut se refaire autour du bien d'ensemble, autour du bien de la population, autour du bien de la Côte d'Ivoire.

Ce qui fait blocage, c'est que très souvent, on voit une puissance étrangère derrière tel acteur politique et une autre derrière tel autre.

C'est pour cela que je dis qu'il faut que nous Africains soyons des personnes qui arrivons à penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Que nous arrivions à ne plus nous laisser influencer d'une manière ou d'une autre par tel acteur ou tel autre. Si vraiment nous arrivons à mettre en avant le bien du pays, le bien des populations, le bien de nos frères et soeurs. Nous arriverons à penser pour ce bien-là, comment le promouvoir et non pas à nous laisser influencer. Je pense que c'est l'autonomie de penser, l'autonomie de nous fixer des objectifs nous-mêmes qui sera aussi l'un des facteurs de sortie de crise.

La présence de la CERAO en Côte d'Ivoire est réconfortante, parce que beaucoup d'Ivoiriens ont pensé que leur pays était victime d'un complot sous-régional. Il a été écrit dans les médias étrangers que les Ivoiriens sont xénophobes. Qu'est-ce que Mgr Sarr peut dire à ce sujet ?

Ce que Mgr Sarr peut dire c'est que nous tous et sincèrement, nous aimons la Côte d'Ivoire. Nous aimons nos frères et soeurs Ivoiriens, croyez-le. Nous n'avons pas toujours l'occasion de parler, nous n'avons pas toujours l'occasion de venir ; mais la pensée de votre pays est toujours en nous. Au Sénégal, toujours je demande aux gens de prier pour la Côte d'Ivoire. Certains de vos compatriotes qui vivent à Dakar peuvent le dire.

Cela se traduit par des messes que je préside. Nous vous aimons et nous voulons que la paix revienne très vite en Côte d'Ivoire. Et nous avons choisi une occasion comme celle qui nous a été donnée, une Assemblée plénière de la CERAO après celle de 2003 à Bamako et des locaux du siège qui étaient aptes à nous recevoir pour venir en Côte d'Ivoire en masse. Vous voyez, 44 évêques sinon plus présents chez-vous pour vous montrer que nous ne nous méfions pas de vous. Nous ne nous méfions pas de votre pays et que nous sommes prêts à prendre des risques pour v ous montrer que nous sommes avec vous.

Au cours de vos ateliers, avez-vous pensé à des stratégies pour rapprocher les fils d'Afrique ? Pour que l'unité ne soit pas uniquement au niveau de l'Eglise institution, mais une unité de coeur entre les peuples ?

L'idée est là. Nous savons que nous n'avons pas à bâtir l'unité uniquement entre nous. Un chrétien ne doit pas être quelqu'un qui se referme sur ses intérêts. Ce qui fait que tout ce que Dieu lui donne il doit le partager. Quand vous parcourez la Bible, vous voyez que tous ceux à qui Dieu fait des grâces, des dons puissants, ce sont ceux qui se mettent au service des autres. L'unité que nous cherchons à bâtir dans l'Eglise, doit rejaillir sur l'humanité ; parce que l'Eglise selon le concile de Vatican II, est le sacrement de l'unité de l'humanité, la communion de l'humanité. Nous devons trouver des stratégies qui permettront que l'action que nous entreprenons pour réconcilier les gens (bâtir la paix) soit plus efficace. J'ai participé, il y a quelques mois, à un atelier aux Etats-Unis sur le " peace bulding ", la construction de la paix. Et j'ai découvert que l'Eglise se dote aujourd'hui d'instruments d'analyses et d'instruments d'actions méthodiques pour vraiment rétablir la communion là où elle est blessée, pour construire la paix.

Le Pape Benoît XVI vous a interpellés face aux souffrances d'un peuple éprouvé par de multiples divisions. Très souvent, les pays sont en conflit les uns contre les autres. Mais, il y a aussi les guerres civiles à l'intérieur de ces pays. L'Afrique serait-elle un continent damné ?

Non, l'Afrique n'est pas un continent damné. Ça, je ne le dirai jamais. Je refuse de le faire. Aujourd'hui, nous accumulons pas mal de malheurs. Et cela dure depuis des années sinon des siècles. Mais, l'Afrique est appelée à se ressaisir. A ressusciter. La foi en Dieu nous fait penser que Dieu n'a condamné aucun être humain, ni aucune race. Nous chrétiens savons que Jésus-Christ mort et ressuscité veut sauver tous les hommes. Il leur donne la puissance de se relever de toute situation dans laquelle ils se trouvent pour se remettre debout et se reprendre en main. Christ était mort, il a vécu la passion, il a été vaincu par ses ennemis, mais il est ressuscité et il nous entraîne dans sa résurrection.

Donc nous aussi Africains, nous sommes appelés à nous ressaisir, à nous mettre debout, et à nous prendre en main. Si bien qu'au Synode de 1994, nous avons parlé de l'Afrique blessée et meurtrie. Mais, ce synode était aussi pour ce continent le Synode de l'espérance. Je crois que no us Africains, nous allons bientôt prendre conscience de notre sort et prendre conscience de notre capacité à prendre en charge les destinées de nos pays pour mieux les gérer.

Le ministre de l'Intérieur a dit à l'ouverture des travaux que la Côte d'Ivoire a pour obligation de former un nouveau type d'Ivoiriens ayant un sens aigu des valeurs que prône l'Eglise.

Nous le voyons dans l'Eglise. Le Christ dit : " je suis venu pour servir et non pas pour être servi. " L'Eglise prône la culture du service, c'est-à-dire mettre en avant la disponibilité, la responsabilité ; faire le bien aux autres et dans la société, faire du bien à l'ensemble. C'est une vertu chrétienne que le service désintéressé des autres. De même aussi tout ce qui est honnêteté. Cela veut dire "travailler en respectant le bien commun entre mes mains". Non pas pour m'en servir, mais pour le bien des autres. Le Christ dit aussi que votre parole soit la vérité. Que votre oui, soit oui. Et votre non, non. Il faut refuser le mensonge. Là aussi c'est une valeur évangélique. La vérité est une vertu que prône l'Eglise. Tout cela peut contribuer à construire une société ou la paix règne.

Monseigneur Anselme Sanon, un évêque Burkinabé, a lui parlé d'une crise de la foi, en faisant allusion aux jeunes qui ont semé des troubles et brûlé plusieurs voitures en France récemment.

L'occident a beaucoup perdu la foi chrétienne, la foi religieuse, la référence à Dieu. Dans ce cas-là, aussi c'est très dommage pour l'être humain quand il n'a pas une autorité qui le transcende et à laquelle il peut se référer. Afin de pouvoir se demander, " dois-je faire ceci ou ne pas le faire", avant d'agir. Mais, quand ces valeurs de référence supérieures sont perdues, l'homme agit selon son intérêt, son besoin du moment. C'est ce qui fait le grand mal de l'occident, avec la corruption, le mensonge et donc les intérêts particuliers. Sans la foi, on perd une source de référence qui nous permet de mieux agir.

La crise de la foi n'est-elle pas due au fait que les fidèles ont très souvent en face d'eux des "maîtres" ? Alors que pour la nouvelle évangélisation, le Pape Jean Paul II a dit que le monde a beaucoup plus besoin de témoins que de maîtres ?

Cela peut être lié à des causes différentes. Cela peut vouloir dire qu'on manque de maîtres pour nous aider à voir plus haut et aussi peut-être que le contexte de la société elle-même n'est pas facile. Si on met en avant le matérialisme, la jouissance immédiate et que cela devient la philosophie sociale, moi, je dis, les maîtres ont beau parler, on ne les écoute pas. C'est vrai qu'en occident c'est un contexte d'ensemble qui fait que la foi pavoise. L'Eglise n'a pas à dire qu'elle n'a pas de responsabilité dans cette perte de la foi. Mais, il y a le fait que la société est emportée par un courant de matérialisme pratique qui fait que ce qui compte pour les gens, c'est la sécurisation immédiate, la jouissance immédiate, la possession immédiate de ceci ou de cela. Les gens n'ont pas de références lointaines.



2 Commentaires

  1. Auteur

    Anonyme

    En Octobre, 2018 (19:42 PM)
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  2. Auteur

    Anonyme

    En Octobre, 2018 (19:42 PM)
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