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Mouhamadou Bamba SALL, Docteur en Théologie : ‘ L’Etat est pris en otage par le pouvoir religieux ’

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Mouhamadou Bamba SALL, Docteur en Théologie : ‘ L’Etat est pris en otage par le pouvoir religieux ’

Si l’Etat s’empresse de satisfaire le moindre des désirs des religieux, c’est parce que, de l’avis du Docteur en Théologie, Mouhamadou Bamba Sall, par ailleurs président de l’Association pour l’éducation, l’enseignement et la culture (Apeec), c’est parce que le pouvoir politique est pris en otage par le pouvoir religieux. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, l’Imam Sall soutient que cette situation est due au fait que l’Etat ne joue pas franc-jeu avec la population. Ainsi est-il obligé de s’appuyer sur les religieux qui en profitent pour exercer du chantage sur lui. Par ailleurs, Mouhamadou Bamba Sall est revenu sur les failles qui entourent l’Organisation pour la conférence islamique (Oci). Une organisation qui, de son point de vue, doit être réformée.

Wal Fadjri : Au mois de mars prochain, le Sénégal va abriter le Sommet de l’Organisation pour la conférence islamique (Oci). Que vous inspire cette rencontre ?

Mouhamadou Lamine Sall : Il faut rendre grâce à Allah de voir toute la Ummah islamique se donner rendez-vous chez nous au Sénégal. Mais, au-delà, de la rencontre qui se tient dans notre pays et que nous considérons comme un succès pour le Sénégal, nous pensons que le fonctionnement de l’Oci doit être revu. Je pense qu’ils sont nombreux, les musulmans à formuler des critiques pour que l’Organisation change de politique et de fonctionnement. Nous souhaitons que le Sommet du Sénégal donne le déclic afin que l’Oci puisse répondre aux véritables aspirations de tous les musulmans du monde, tout en prenant en charge leurs véritables problèmes. La première chose que nous regrettons est que dans sa démarche, l’Oci semble être gérée par un nombre restreint de pays. Un nombre qui ne va pas au-delà de cinq. Lesquels constituent, par ailleurs, les seuls donateurs. On ne peut pas comprendre que l’on ne puisse dégager un budget exact de l’Oci. Ce ne sont que quelques monarchies qui gèrent le financement des sommets qui reste très variable. Il faudrait arriver à un niveau où tous les pays cotisent suivant leur taille démographique et économique. Cette politique allait permettre à l’Oci d’être une organisation libre où tous les pays membres pourront faire des propositions et les défendre en toute souveraineté.

Wal Fadjri : Pensez-vous qu’il soit possible à tous les pays de contribuer au même niveau ?

Mouhamadou Lamine Sall : Non, il ne s’agira pas d’aligner les cotisations. Elles devraient se faire suivant la taille économique et le poids démographique des pays. L’essentiel est que dès lors qu’un pays cotise, il se sente investi d’un droit à lui permettre de prendre une position, de la défendre sans aucune considération. Mais, tant que c’est seulement un nombre restreint de pays qui décident non seulement du pays à abriter le Sommet mais du budget à lui consacrer, les autres Chefs d’Etat n’auront pas la liberté totale d’exprimer leur opinion. C’est aussi le même problème qui secoue la Francophonie. Seuls la France et le Canada gèrent tout. Ainsi, les autres pays sont téléguidés. En plus de cette réforme, il faut inscrire les actions de l’Oci dans la continuité. Il faudra établir un programme qui va permettre de coordonner toutes les politiques extérieures des pays musulmans aussi bien au niveau des Nations unies que des autres organisations régionales et sous-régionales. Cette démarche permettra de mieux contrôler la violence et la lutte contre le terrorisme mais aussi de mieux défendre les intérêts les pays musulmans qui sont toujours opprimés. Ce que l’on constate, c’est que dans toutes ces questions, l’Oci ne réagit pas.

Wal Fadjri : Pouvez-vous nous citer des cas précis ?

Mouhamadou Lamine Sall : Comment peut-on admettre que l’Oci qui se dit être là pour la Ummah islamique ne puisse intervenir en faveur de la Palestine. 90 % des donateurs de la Palestine sont constitués des pays de l’Occident et des Etats-Unis alors que la contribution des pays de l’Oci n’atteint même pas les 5 %. Cela n’est pas normal et dénote que l’organisme n’est pas utile aux pays musulmans. Comment peut-on aussi concevoir que les Américains attaquent, délibérément, l’Irak sans que l’Oci ne fasse la moindre réaction encore moins ne dégage une position contre l’occupation de l’Irak. C’est le silence radio de l’Oci dans le dossier de la Tchétchénie. Plus de quatre mille Tchétchènes ont été tués par les Russes mais, en aucun moment l’Oci n’a pris de position encore moins mené une action. C’est le même scénario en Somalie, au Liban, etc. Partout, des musulmans sont exécutés mais l’on n’entend jamais l’Oci condamner ou faire un acte. C’est regrettable.

Wal Fadjri : A vous entendre parler, l’Oci ne sert à rien ?

Mouhamadou Lamine Sall : Aucune utilité dans la mesure où l’Organisation n’a pas agi là où l’on l’attendait c’est-à-dire dans la prise en charge des questions qui interpellent le monde des musulmans. Les Nations unies appliquent l’embargo aux pays de leur choix sans que l’Oci ne soit en mesure de réagir. Le paradoxe est que l’Oci est dirigée par les pays qui ont le plus de moyens à travers le monde. Et puis, les pays membres de l’Oci n’ont aucune notion de la solidarité. Et l’on sait les deux problèmes qui perturbent le monde musulman ont pour nom terrorisme et pauvreté. Le terrorisme est la cause directe de la pauvreté. La seule chose que connaît l’Oci c’est de prendre de l’argent et de le remettre aux pays organisateurs du sommet. L’organisation doit dépasser ce stade et faire des descentes au niveau des populations et leur manifester sa solidarité. Ce sont toutes ces raisons qui font que nous pensons qu’il faut réformer l’organisation. Lui trouver des chartes et lui définir des orientations dans tous les domaines de la vie, que ce soit la culture, la politique, la solidarité. S’investir dans la défense les opprimés et se donner les moyens d’être puissant afin de défendre comme il se doit les intérêts des musulmans partout à travers le monde.

Wal Fadjri : En tant qu’Islamologue, quelle lecture faites-vous de la polémique qui précède la célébration des fêtes religieuses, notamment la Korité et la Tabaski, au Sénégal ?

Mouhamadou Lamine Sall : L’Islam n’est pas à la base de la divergence des familles religieuses sur cette question. Ce n’est ni son orientation, ni son enseignement encore moins son fonctionnement. La cause de ces divergences vient de trois faits : il s’agit du pouvoir, de l’argent mais aussi de la recherche de prestige.

Wal Fadjri : Pouvez-vous être plus explicite ?

Mouhamadou Lamine Sall : Les divergences sur l’apparition de la lune, ce n’est pas seulement au Sénégal qu’on les trouve. Elles sont propres à tous les pays musulmans. Ces divergences viennent du fait que l’école Wahabite est soutenue par des pouvoirs politiques qui ont des intérêts différents de ceux qui soutiennent l’autre école, Chiite. Aussi, le jour retenu par une de ces écoles pour célébrer la prière est toujours différente de l’autre jour arrêté par l’autre école. Ceci est dû au fait qu’ils mettent en avant leurs intérêts politiques. Et puis, ce sont les autorités politiques qui dirigent les autorités religieuses. Pour preuve, les Imams sont considérés comme des fonctionnaires et ont des salaires. Et comme le pouvoir Wahabite et le pouvoir Chiite n’ont pas les mêmes intérêts, les divergences des religieux ne découlent pas de l’enseignement de la religion mais de l’opposition de ces deux pouvoirs politiques qui, en réalité, dirigent le monde musulman.

Wal Fadjri : Ce sont donc ces querelles politiques qui étendent leurs tentacules jusque chez les religieux ?

Mouhamadou Lamine Sall : Tout à fait. En fait, les Wahabites qui sont là et que l’on appelle Sunnites ou Ibadou ne suivent que les ordres qui viennent de leurs supérieurs qui sont, par ailleurs, leurs bailleurs. Lesquels financent toutes leurs activités et actions. C’est cette dépendance financière qui fait qu’ils sont obligés de ne suivre que les instructions venues d’ailleurs. L’autre chose qui explique les divergences chez nous est liée à l’existence des tarikha. Au début, elles ont été créées pour faciliter la pratique religieuse des gens, c’est-à-dire leur donner les moyens nécessaires d’accéder à la grâce divine. C’est un bon système pour l’Islam. Seulement, il est maintenant dévoyé. Alors, les garants des tarikha cherchent d’abord à s’investir pour ne pas perdre leur pouvoir de prestige. Pour rappel, c’est ce problème qui avait fait éclater la commission nationale qui existait en son temps et autour de laquelle se retrouvaient toutes les familles religieuses. Le problème qui se posait était qu’à chaque fois qu’un membre d’une Tarikha aperçoit le croissant lunaire, les autres se disaient si cela continue comme ça, nous n’aurons plus de légitimité auprès de nos fidèles. C’est un problème de leadership. Une situation entretenue par le fait que tous les khalifes religieux se sont entourés de leurs fils ou proches parents. Ce sont des gens issus des groupes des renseignements généraux ou de mafia qui n’ont pour religion que la recherche de l’argent. C’est ce qui explique les erreurs que l’on note chez les chefs religieux.

Wal Fadjri : Certains proposent la création d’un ministère chargé des Affaires religieuses pour régler cette question de ‘plusieurs lunes’. Pensez-vous que cela soit la solution ?

Mouhamadou Lamine Sall : A un moment, j’avais soutenu dans un livre que c’est une nécessité pour le Sénégal de se doter d’un ministère des Affaires religieuses. Mais, avec le temps, je me suis rendu compte que c’était une erreur de ma part. Nous ne sommes pas mûrs pour cela. Il faudrait que nous puissions nous entendre sur l’essentiel. Et l’essentiel, on ne peut pas le trouver ailleurs que dans le consensus sur l’apparition du croissant lunaire. En l’état actuel de la situation, un ministère des Affaires religieuses ne fera que compliquer les choses. On ne pourra pas trouver un ministre neutre. Et aucun camp n’acceptera que l’on prenne quelqu’un d’un autre camp. On ne pourra pas prendre également un chrétien parce qu’ils sont minoritaires. Tout comme on ne pourra trouver un laïc qui n’a pas de pensées religieuses et lui dire d’occuper le ministère des Affaires religieuses. Donc, tant que l’on ne changera pas nos mentalités, un ministère des Affaires religieuses ne servira à rien.

Wal Fadjri : Mais que faut-il faire réellement pour dépasser ces divergences ?

Mouhamadou Lamine Sall : Il faut la mise sur pied d’une commission nationale qui sera composée par l’ensemble des familles religieuses, des associations islamiques et tous les acteurs islamiques. C’est la seule chose qui peut permettre de mettre fin à cette situation. Il faut seulement choisir les hommes qu’il faut pour réussir le pari. Des hommes qui ne sont pas fanatiques et qui viennent des familles religieuses.

Wal Fadjri : Certains accusent les chefs religieux de ne plus jouer leur rôle envers la société. Partagez-vous ce point de vue ?

Mouhamadou Lamine Sall : Les anciens chefs religieux avaient vraiment joué leur rôle envers tout le monde. Mais actuellement, l’on n’a pas quelqu’un qui se lève pour défendre les problèmes sociaux des populations. Ce que faisait, à merveille, Abdou Aziz Sy Dabakh. La mission d’un chef religieux, ce n’est pas de faire travailler les gens ou de leur demander de l’argent mais c’est une mission sociale. Tous les prophètes ont été investis de la mission de défendre une cause sociale. Abraham défendait la liberté de culte ; Jésus luttait contre les déséquilibres sociaux ; Moise combattait l’injustice sociale et Mohamed (Psl) œuvrait pour la promotion des droits de l’homme. Donc, c’est pour te dire que tous les prophètes avaient une mission sociale. Et comme ce sont les Chefs religieux qui sont leurs héritiers sur terre, leur mission ne doit être que sociale. Mais, quelle que puisse être la profondeur des crises sociales, jamais on a entendu des chefs religieux se prononçer. La mission d’un chef religieux n’est pas de faire de la politique pour se retrouver au Senat ou à l’Assemblée nationale mais de s’engager dans l’humanitaire et faire comme nos parents catholiques qui s’investissent jusqu’au plus profond du pays pour assister les populations.

Wal Fadjri : Cela découle-t-il de leur proximité avec les pouvoirs en place ?

Mouhamadou Lamine Sall : Non, cela n’arrange même pas le pouvoir qui est d’ailleurs fatigué du fait des problèmes des chefs religieux. Qui peut estimer le nombre de milliards que dégage annuellement le pouvoir pour satisfaire les besoins des chefs religieux. Et c’est du gâchis. Surtout que les sermons qu’ils font lors des cérémonies religieuses n’ont aucun effet pour le changement de comportement des gens. Par contre, c’est comme si cela a contribué à la dégradation des mœurs. Leur message n’est plus fiable. Il faut qu’ils changent le contenu. Fort de tout cela, je pense que l’Etat doit revoir sa politique d’appui aux chefs religieux pour se focaliser sur les talibés afin de mettre fin à la mendicité. C’est possible ! En outre, l’Etat est fatigué de la pression des religieux qui poussent le bouchon jusqu’à réclamer des postes pour lesquels ils n’ont aucune compétence.

Wal Fadjri : Mais comment expliquez-vous cette situation ?

Mouhamadou Lamine Sall : L’Etat est pris en otage par le pouvoir religieux. Cela est facilité par le fait que le pouvoir politique joue un faux jeu avec les populations. Au lieu de s’appuyer sur des programmes fiables, le pouvoir politique a préféré s’allier avec les pouvoirs religieux sur qui il s’appuie pour gagner les voix du peuple. Ce qui fait qu’il est obligé d’obéir à tous les caprices des religieux. Et je pense que pour longtemps, il en sera ainsi. Il faut que les pouvoirs politiques africains aient des programmes bien ficelés pour leur nation. Ce qui leur permettrait d’être libres de toute pression et d’agir en toute responsabilité. Le malheur est que partout à travers l’Afrique, les dirigeants n’ont que deux projets : celui visant à obtenir le pouvoir et celui qui leur permet de s’éterniser au pouvoir.



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