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Nassardine AIDARA : ‘ L'installation du Sénat ce matin est une tentative de noyer Le Joola ’

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Nassardine AIDARA : ‘ L'installation du Sénat ce matin est une tentative de noyer Le Joola ’

La manière dont les autorités sénégalaises ont géré jusqu’ici le dossier du naufrage du bateau Le Joola est catastrophique. Et le comble, selon Nassardine Aïdara, reste la coïncidence, cette année, entre l’anniversaire du naufrage et l’installation des sénateurs. Il voit là, comme toutes les autres familles de victimes d’ailleurs, un acte qui a été orchestré sciemment pour jeter les 1 863 victimes de cette catastrophe dans les méandres de l’oubli. Dans l’entretien qui suit, celui qui a perdu quatre de ses enfants dans le naufrage, refuse l’indemnisation. Ce qui est important pour lui, c’est de faire en sorte qu’un tel drame ne se reproduise.

Wal Fadjri : ‘Appel à l’érection d’un mémorial musée Le Joola’. C’est le thème retenu cette année pour la célébration du cinquième anniversaire du naufrage du bateau Le Joola. Quel commentaire cela vous inspire ?

Nassardine AIDARA : Dès le début du naufrage du bateau Le Joola, le président de la République avait lui-même promis d’ériger un mémorial à la mémoire des victimes de cet accident dramatique. Et il avait même, à cette occasion, désigné une place à cet effet. Nous pensons que c’était une proposition juste. Nous avons, par la suite, plusieurs fois lancé des appels pour la réalisation de ce projet. Malheureusement, cinq ans après, nous constatons que le projet n’a pas du tout avancé. Et cette année, nous le prenons à notre compte pour voir comment nous pouvons impulser une dynamique qui permettrait au projet d’aboutir très rapidement, dans les meilleurs délais. Récemment, la France a érigé un mémorial pour les Tirailleurs sénégalais décédés en 1917. Cela m’a fait un pincement dans le cœur, car si ces ancêtres décédés depuis si longtemps ont pu bénéficier d’un mémorial, pourquoi pas alors les victimes du Joola, qui ont disparu, il y a cinq années de cela. Aujourd’hui, nous ne sommes même pas capables de célébrer avec dignité l’anniversaire du naufrage. Le Joola fait partie actuellement de notre histoire. Et il nous faut un ‘mémorial musée’ qui fera dire à chaque visiteur, dès sa sortie : ‘plus jamais ça’.

Wal Fadjri : Le lieu qui a été choisi pour abriter ce musée a été détourné de son objectif. Est-ce que vous avez été informés de ce changement d’avis ?

Nassardine AIDARA : Nous l’avons constaté comme vous. Un jour, pendant que je passais à la corniche, je me suis arrêté et j’ai été surpris de voir que ce qui était mentionné n’était pas la destination qui était retenue. Et comme vous, nous n’avons pas été consultés et nous n’avons pas eu d’informations par rapport à ce changement de destination.

Wal Fadjri : Cinq après le naufrage, comment jugez-vous la gestion de ce dossier par les autorités ?

Nassardine AIDARA : Je pense que la gestion a été catastrophique. Au début, j’étais un peu tétanisé. J’ai marqué un temps de recueillement, de prière, de réflexion et un temps pour écrire. Quand je suis ‘revenu à la normale’, j’ai constaté que le débat était tourné autour des indemnisations. J’ai publié un livre dans lequel je me suis étonné de voir que tous les gens tournaient autour de la question des indemnités alors que ce n’était pas tellement ma perception. Et dans ce livre, j’ai indiqué ma position sur les différents points qui ont été soulevés. J’y ai aussi expliqué que la question des indemnités devait être placée seulement dans la question de consolidation de l’Etat de droit. Dans un Etat de droit, quand une catastrophe de cette nature survient, la justice doit se saisir du dossier, enquêter, situer les responsabilités, prendre les sanctions nécessaires et éventuellement indemniser les ayants droit. Cela est naturel et j’ai voulu, montrer que ce n’est pas une opération de charité ou un don de bienfaisance. C’est seulement la consolidation d’un Etat de droit. Il y en a qui se contenterait d’un franc symbolique d’indemnisation. Mais j’ai montré que ce qui était important au-delà de la question d’indemnisation, c’est faire en sorte qu’une pareille catastrophe ne puisse survenir dans notre pays.

Wal Fadjri : Qu’est-ce que vous proposez pour que cette catastrophe ne se reproduise plus ?

Nassardine AIDARA : Il y a plusieurs voies qui se posent. Il faut tirer toute la lumière sur ce naufrage, analyser les causes, les conséquences et prendre des mesures qui s’imposent. Et en son temps, on avait une série de mesures dont le mémorial que nous avons maintenant baptisé : ‘Mémorial Musée’, qui sert de repère de sensibilisation. Parce que les causes sont très profondes, il faut des actions d’éducation de sensibilisation. Le mémorial, ce n’est pas seulement tourner vers le passé. Mais le mémorial, c’est le fait de tourner vers l’avenir pour montrer à la société sénégalaise les voies à ne pas prendre. Parce que simplement ce sont des voies de danger pour leur vie. Un autre aspect mérite également d’être pris en compte. C’est le désenclavement de la zone sud du pays. Ceci est l’une des causes même de ce naufrage. La distribution inégale des richesses à l’intérieur du pays en est également une autre cause de cette catastrophe maritime sans précédent.

Wal Fadjri : Beaucoup de promesses ont été faites au lendemain du naufrage par les autorités sénégalaises. Ces promesses ont-elles été tenues ?

Nassardine AIDARA : Tout le monde constate aujourd’hui que rien a été fait à part la question des indemnisations. A analyser aujourd’hui, on constate que l’expérience nous a donné raison. Le gouvernement pense qu’en indemnisant les gens, le naufrage du bateau Le Joola sera oublié. C’est pourquoi il n’a pas voulu avancer sur toutes les autres promesses. Pour eux, il fallait donner de l’argent pour faire tout oublier, alors que ce n’est pas possible, car au-delà du naufrage, c’est toute la société qui est interpellée. Le problème est plus global. Les autorités ont pris des engagements parfois spontanés, mais jamais on aura l’occasion de les voir se réaliser.

Wal Fadjri : Vous avez perdu quatre enfants dans ce naufrage. Cette situation vous affecte-t-elle toujours ?

Nassardine AIDARA : Ce qui est gênant dans ça, c’est de sentir qu’on tente de placer ces disparitions dans le cadre des pertes et profits dans le jargon des entreprises. Ce n’est pas juste. Et cela fait vraiment mal. A chaque fois qu’une catastrophe intervient dans le monde, les gens prennent des mesures hardies pour éviter que cela ne se reproduise. L’Europe s’est construite après la Deuxième Guerre mondiale. Les gens ont fait beaucoup d’efforts pour pouvoir s’entendre parce qu’ils ont compris que la cause principale de ce conflit était l’hégémonie d’un peuple par rapport aux autres. C’est ainsi qu’ils se sont entendus et ont formé des institutions qui ont mené à la création, aujourd’hui, de l’Union européenne. Les populations ont le devoir de tirer des leçons à chaque survenue d’une catastrophe majeure et de proposer des solutions pour éviter que cela n’arrive encore à nouveau. Ici, on ne tire pas ces leçons. Et cela est grave. J’ai le sentiment que nos parents sont partis pour rien. Cela, nous ne devons pas l’accepter. Je me suis toujours montré patient et optimiste, car je me dis que la vérité finira par triompher. Et qu’on finira bien par reconnaître que nous avons des droits que la société nous doit pour évoluer convenablement. Regardez ce qui se passe aujourd’hui avec l’installation des Sénateurs qui va coïncider avec l’anniversaire du naufrage. Toutes les familles des victimes perçoivent là, une manière de noyer l’événement. Beaucoup m’ont interpellé sur cela et les gens ne comprennent toujours pas pourquoi on essaye de marginaliser cet événement. Cela confirme que le gouvernement veut oublier la question du Joola.

Wal Fadjri : Récemment, des voix se sont élevées pour réclamer la redistribution des six millions restants sur le fond d’indemnisation aux ayants droit. Quelle lecture en faites-vous ?

Nassardine AIDARA : Quand je l’ai lu à travers la presse, je me suis indigné dans la mesure où certains, après la survenue de cette catastrophe, ont pensé que le problème ne pouvait nullement se résumer uniquement à une question d’argent. Et ils ont refusé de prendre la somme qui leur a été allouée. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas d’autres revendications, car ils ont montré leurs soucis par rapport à d’autres questions. Et à ce niveau, ce qui est préférable, c’est de les écouter et les satisfaire dans leurs demandes. Il y en a, parmi ces gens, certains qui ne réclament que d’être écoutés ; d’autres veulent voir le bateau où ils souhaitent voir l’érection d’un musée ou d’un mémorial. Je crois qu’il serait pertinent d’écouter ceux qui n’ont pas accepté l’indemnisation et ne pas faire de la surenchère sur cette somme restante.

Wal Fadjri : Vous faites partie de ceux qui ont refusé d’être indemnisés. Qu’est-ce qui justifie cette position ?

Nassardine AIDARA : Je ne ferai jamais de reproche à ceux qui ont pris ou qui veulent prendre cet argent. Parmi eux, il y en a certains qui souffrent et ils en ont besoin. C’est légitime, car chacun à sa manière de ressentir le deuil et de vouloir honorer ses morts. Pour ma part, je ne serai honoré que par l’avènement d’un monde meilleur, un monde sécurisé où les comportements seront corrects, où la justice fonctionnera correctement et que les autres aspects de la vie quotidienne soient pris en compte. C’est cela qui m’importe et encore une fois de plus, il faut que les autorités écoutent les autres, ceux-là mêmes qui ont refusé l’indemnisation. J’ai rencontré des parents qui soutiennent que tant que le bateau demeure au fond de l’océan, ils ne pourront pas organiser les funérailles de leurs enfants. Mais il faut les écouter et prendre en compte leurs doléances et comprendre que ce n’est pas l’argent qui les intéresse mais c’est autre chose. Donc, il faut aller vers eux, il y en a même qui croient qu’ils sont maudits à jamais. Et ces gens, il faut les écouter et leur parler. C’est toute une panoplie de mesures qui, au départ, semblaient évidentes pour moi, mais qui n’ont pas finalement été appliquées. J’ai toujours pensé que les indemnisations vont de pair avec la consolidation d’un Etat de droit. C’est seulement en ce sens que je pourrai dire que je me sens indemnisé non pas par l’argent, mais par une série de mesures. Pour cela, nous avons dans le passé fait beaucoup d’actions à ce niveau. La première année, nous avions mis l’accent sur le changement de comportement. Et nous avions réuni plusieurs jeunes qui s’étaient engagés et avaient pris des mesures afin qu’une telle chose ne se reproduise plus jamais. Nous avions également discuté de la place qu’a jouée la corruption dans le naufrage du Joola. Imaginez un bateau avec 2 000 personnes à bord, alors qu’il ne devait en prendre que 555. Il y a forcément un phénomène de corruption et de négligence manifeste dans cette catastrophe. La place de la corruption dans la société sénégalaise avait également fait l’objet de débat, lors de la seconde année ayant suivi le naufrage. La troisième année, nous parlions des risques de catastrophes au Sénégal. Parce que ces risques existent dans notre pays, que ce soit des catastrophes naturelles ou industrielles. Nous pensons qu’il faut sensibiliser les gens sur cela. L’année dernière, nous avions sensibilisé sur le droit à la dignité humaine. Et cette année l’accent sera mis sur le ‘Mémorial Musée’. Donc, c’est toute une démarche qui montre que Le Joola n’est pas uniquement une question d’indemnisation. Mais, c’est toute une problématique qu’il faut régler dans son ensemble.

Wal Fadjri : Etes-vous pour le renflouement du bateau ?

Nassardine AIDARA : Je le suis et je l’ai dit dès le premier jour après le naufrage. Cela a toujours été ma position. Et je suis heureux de savoir qu’aujourd’hui, cette question qui paraissait atypique au début, trouve un consensus au niveau des différents acteurs, à part l’Etat qui fait du dilatoire. Toutes les familles des victimes du naufrage sont d’accord aujourd’hui pour dire que le point de départ, ce sera le renflouement.

Wal Fadjri : Quel est le sentiment qui vous anime au su de ce qui se passe autour de la gestion de l’après-naufrage, avec notamment la création d’un collectif par-ci et d’une association par-là… Et souvent on ne parle que d’argent au sein de ces appareils ?

Nassardine AIDARA : L’Etat a voulu diviser pour mieux régner. Et je pense qu’à ce niveau, tout le monde a suivi le bras de fer entre le Collectif des victimes et l’Etat, mais aussi la naissance de l’Association des victimes. Cela est le propre de l’Etat qui crée des instruments qui lui sont toujours favorables. A mon avis, il faut poser le problème de façon professionnelle. En tous les cas, l’analyse de la situation, j’ai dû la faire dans la douleur, la colère et le recueillement. Et la chance que j’ai eue est que j’ai tout consigné par écrit. Jusqu’à présent, la réalité prouve, qu’au-delà de l’indemnisation, c’est la solidarité qui importait le plus. Une société ne peut se construire sans mécanisme de solidarité. Parmi les gens qui ont accepté cette indemnisation, plusieurs ont utilisé cet argent en laps de temps à cause d’une mauvaise gestion. Ils sont aujourd’hui restés au point de départ sans plus rien. Ce qui fragilise encore leur position. Ces mécanismes de solidarité devaient être mis en branle pour espérer des résultats meilleurs que ce que nous avons actuellement. Et c’est vraiment là où j’invite la société dans son ensemble à renforcer les mécanismes naturels de solidarité pour aboutir à de meilleurs résultats.

Wal Fadjri : Le nouveau bateau sera confié en partie à des civils, selon le souhait des autorités. S’il y a eu naufrage avec une gestion militaire, qu’arrivera-t-il avec une gestion civile ?

Nassardine AIDARA : J’ai eu à en parler aux autorités. Pour moi, le baromètre sur la question des comportements constitue les cars rapides. Je pense que si on n’arrive pas à discipliner ces gens, partout on fera échec. C’est une volonté politique et une nécessité pour avancer. C’est aussi un signal fort à donner au peuple sénégalais pour dire que nous ne voulons plus que les questions de sécurité soient reléguées en arrière plan. Il faut les mettre en avant. En ce moment, on sera capable de suivre correctement le reste. Mais tant que ce baromètre n’existera pas, moi je ne croirai pas à la réussite d’un quelconque projet. Je crois que le début sera bon, mais après le laxisme reprendra surface.

Wal Fadjri : D’aucuns soutiennent même que le nouveau bateau doit uniquement transporter les voyageurs mais non le fret et les véhicules. Partagez-vous cette position ?

Nassardine AIDARA : Je ne crois pas à ces mesures. N’empêche que c’est bien. On peut les prendre. Mais si vous avez un bateau qui prend 555 personnes, on y met 2 000, ce n’est pas simplement une question de contenance, mais c’est tout un ensemble. C’est la corruption, le mauvais comportement, le manque de professionnalisme. Je crois que nous devons d’abord commencer par revoir nos comportements. Ce n’est pas ce que je regrette, mais si jamais j’avais pu deviner qu’il y avait une quelconque surcharge dans le bateau, je n’allais pas accepter que mes enfants l’empruntent. Malheureusement, j’étais à Dakar. Je pense que c’est le changement de comportement qui est primordial et il passe par une volonté politique qui n’existe malheureusement pas encore. Un jour, j’ai suivi à la télé un reportage sur la desserte de Dakar-Gorée, tous les gens qui y étaient avaient mis des gilets de sauvetage. Mais ma surprise a été grande lorsque j’ai emprunté cette même chaloupe pour me rendre à Gorée. On nous a seulement informé de l’emplacement des gilets qui étaient en dessous. Personne n’en portait pratiquement. C’est tout à fait le contraire de ce qu’on nous a montré à la télé. Pour vous dire que cinq années après le naufrage, on note aujourd’hui la recrudescence du laxisme. La sécurité est une procédure permanente.



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