Jeudi 18 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Top Banner
Societe

PAPA SOULEYE SOW, EXPERT AGREE / CONSULTANT EN RUDOLOGIE, « En vérité, il n’y avait rien de plus prévisible que l'échec de Ama »

Single Post
PAPA SOULEYE SOW, EXPERT AGREE / CONSULTANT EN RUDOLOGIE, « En vérité, il n’y avait rien de plus prévisible que l'échec de Ama »

Au Sénégal, Dakar comme toutes les grandes villes tardent à trouver une véritable solution à la question du nettoiement public. Echec, le mot n’est pas trop fort. Quand on sait que des indépendances à nos jours, l’Etat et les mairies de villes sont peu fiers de leur travail pour ce qui est du balayage et de la collecte des ordures. Sale, le pays tout entier demeure sous les ordures, en ces moments où sont tombées en faillite toutes les sociétés engagées pour rendre plus propre la cité. Ama, la dernière en date a vu certains travailleurs tenter une grève de la faim. Un acte de désespoir pour récupérer 5 mois d’arriérés de salaire et se sauver de la misère ou de la mort. Le malaise est donc réel. Et, c’est en toute logique que Pape Soulèye Sow, rudologue (gestion et prévention des déchets-risques et pollutions) et ancien directeur technique de la Sias, vous expose ses vues sur le gros nuage d’ordures installé sur Dakar et qui hante le sommeil des citoyens ordinaires que vous êtes.

M. Sow, depuis plus de quatre décennies, le Sénégal essaie de mettre en route une politique cohérente de gestion des ordures ménagères au niveau des grandes villes. Qu'est-ce qui explique qu'on ne trouve pas encore la bonne formule ?

Pape Soulèye SOW : La réponse se trouve en partie dans votre question. En réalité, et contrairement à ce que vous dites dans celle-ci, on ne peut à part quelques effets d’optique, soutenir que quelque chose aie été réellement fait ci au Sénégal justement, on n’a jamais cherché à asseoir une politique de gestion des déchets. C’est là que se situe le premier niveau d’erreurs à mon humble avis. On s’est toujours efforcé, devant un problème dont la caractéristique principale était marquée par un phénomène de logique et de dynamique, d’apporter des solutions à caractères statiques, c’est-à-dire comme dans les bâtiments et les travaux publics (entretien routier), en opérant par point à temps, à preuve, les formes, modes de gestion et types d’équipements n’ont pas évolué depuis près de trente ans. A force de vouloir apporter les mêmes réponses à un problème sociétal qui est constamment en mouvement (les données changeant tout le temps) ont fini par scléroser ses réponses. Les pays qui ont réussi à maîtriser au mieux du possible la question des déchets l’ont fait sur la base de solutions dynamiques, sans lesquelles il n’y a pas de réussite possible dans ce domaine.

On a souvent invoqué pour expliquer ces échecs à répétition, le flux démographique qui faisait que les populations des villes ne cessaient de croître. N'est-ce pas là une non réponse, quand on sait qu'aucune ville (grande comme Dakar ou petite comme Saint-Louis) n'a réellement résolu le problème ?

PSS : Vous avez parfaitement raison. Ici intervient un autre niveau ; je ne dirais pas d’erreur, mais plutôt de méconnaissance. En effet, dans le domaine de la rudologie, la démographie n’est ni une contrainte, encore moins un échappatoire, mais plutôt un des outils essentiels de planification stratégique. La notion de mouvement en matière de solutions que nous évoquions plus haut trouve dans la question démographique et son évolution, la base qui sert d’assise à la projection de solutions s’inscrivant dans la viabilité et la durabilité.
Cela relève à la fois de logique scientifique, du simple bon sens et se comprend aisément, puisque en matière de démographie les seules possibilités d’infléchissement de son accroissement résident soit dans la régulation des naissances, soit dans les guerres, ou enfin dans calamités naturelles. Je le répète donc, le facteur démographique dans la question des déchets n’est pas un élément du problème mais plutôt un outil de sa résolution.
Il en est de même de la question des équipements qui ont une importance secondaire ; puisque de toutes façons, dans le cadre d’une gestion stratégique planifiée, le rapport par exemple parc-type/ parc- utile, est déterminé par le cadrage qui est mis en place. En d’autres termes, c’est lui qui, de manière naturelle, sur la base de critères techniques et financiers irrévocables, va définir les rapports, les modalités d’aptitude et d’opérationnalité, et sélectionner naturellement les équipements et opérateurs adéquats.


« La liquidation de la Soadip relevait en grande partie d’une confrontation politique entre barons d’un même régime. »

Il y a eu beaucoup de sociétés comme la Soadip, la Sias, récemment Ama et demain peut-être Veolia. Qu'est-ce qui explique en plus des questions de gestion, les véritables problèmes qui ont emporté ces différentes structures ?

PSS : De façon générale, on a toujours raté les orientations stratégiques qui ont présidé la création de ces sociétés ou la mise en oeuvre des différents choix. Et, jamais il n’y a eu d'évaluation d’étapes pour quantifier les manquements et déviances constatées et amené les correctifs par rapport aux choix à venir. On constate là d'ailleurs, que des indépendances à nos jours, quel que soit le niveau de crise traversé par le secteur du nettoiement public, ce sont toujours les agents de l'exécution qui en ont fait les frais et plus récemment les concessionnaires sous-traitants, mais surtout les employés, puisque ce sont eux qui auront connu l'errance, la mendicité, la misère, l’éclatement des familles etc. Concernant, les sociétés, en dehors des problèmes structurels, il va s’en dire que pour certaines, même si elles ont été condamnées à mort pour fautes graves de gestion, la politique a non seulement beaucoup influé sur les chefs d’accusation ayant conduit à la condamnation, mais aussi elle a servi de bourreau lors de leur mise à mort. Par exemple, la liquidation de la Soadip qui relevait en grande partie d’une confrontation politique entre barons d’un même régime. D'ailleurs, cette liquidation n'a pas manqué d'avoir des effets collatéraux très cachés jusque dans les résultats de l'équipe nationale de football du Sénégal concernant la campagne de Caire 86. Ce que peu de gens savent.
Dans le cas de la Sias, on peut dire que cette société est née avec les germes de sa propre mort, puisque issue des cendres d'une bataille politique ayant opposé de grandes figures du régime. L'un, fort de la volonté politique et du pouvoir régalien de l’Etat, a tenu à contraindre l'autre de se soumettre à la création d'une société d'économie mixte avec participation majoritaire de l'état et de ses principaux partenaires sociaux ou démembrements que sont la Sicap, la Snhlm, l’Ipres, la Caisse de Sécurité sociale et l'autre lui, fort de la loi dans ses dispositions institutionnelles est réglementaires, qui s'érigeait en seule autorité habilité à déterminer les choix stratégiques de gestion de par son mandat …

Au-delà des enjeux de gestion des ces sociétés, peut- on penser finalement que la collecte et le traitement des déchets ne sont que des moyens pour enrichir certains lobbies au sein de l’Etat ? Pourquoi il y a beaucoup d'affaires autour de la question ?

PSS : En vérité, ce n'est pas seulement au Sénégal que le secteur de la gestion des déchets est considéré à tort ou à raison comme une nébuleuse par la plupart des les observateurs extérieurs. Cela tient aux difficultés de lisibilité technique et financière qui ici ou ailleurs peuvent entretenir l’idée de « trous normands » difficiles à cerner pour l’oeil extérieur ;

« Ce sont toujours les agents de l'exécution qui ont fait les frais des faillites »

On parle d’ailleurs du secteur comme un paradis pour blanchiment d'argent. D'où viennent toutes ces sociétés qui viennent et qui partent sans aucun problème et qui semblent n’avoir été mises en place par certains privés que pour se faire de l'argent dans des brefs délais et partir sans crier gare à la moindre alerte

PSS : Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à la question. Mais, pour vous donner une idée de la délicatesse du secteur, je puis vous affirmer qu'en Europe par exemple près de 90 % des élus locaux qui ont eu maille à partir avec la justice ont de près ou de loin touché aux déchets qui peuvent, dans le domaine du contrôle s’avérer être le fourre-tout politique idéal et le plus manipulable puisque je le répète, il est difficile pour un non initié et même parfois pour un non spécialiste de lire correctement le secteur.

Revenons à l'actualité récente et à l’échec de la société Ama Sénégal. Quelles en sont les origines ? L'Etat n'est- il pas le premier responsable ? Quand on sait que de nombreuses zones d’ombre existent encore dans la signature ou non du contrat de prestations de cette société ?

PSS : En vérité, il n’y avait rien de plus prévisible que l'échec de Ama. Et pourtant, des voix expertes se sont élevées par rapport à cette expérience, que ce soit au début du contrat, ou à mi-parcours, ou à la veille de la première résiliation ou enfin entre les deux résiliations. Rien qu'à lire le cahier des charges qui avait signé, n'importe quel spécialiste pouvait se rendre compte de la non faisabilité des engagements pris et surtout de l'utopie de certaines propositions notamment en matière de traitement par valorisation dont certains process énoncés n’existaient nulle part dans le monde . L'expérience Ama ne pouvait prospérer puisque sous-tendu par un mélange d'ignorance, de roublardise et d’inintelligence. Un seul exemple permet d'illustrer cette affirmation.
Au moment de construire une station de transfert comme point de rupture de charges, la société a choisi un site situé aux environs de Mbao. Or, le plus petit débutant en rudologie qui aurait à faire le calcul de productivité et d’optimisation de la collecte et du transfert dans le cas de Dakar par rapport à la réalisation d’une station de transfert, trouverait que pour des véhicules assurant la collecte à la Médina est à Dakar- plateau, ce point de rupture de charges au lieu de comprimer les coûts, les augmentait dans les faits et ce, dans des proportions démesurées. Le choix d’une station de transfert obéit à de rigoureuses règles de calcul et ne laisse aucune place à l’à-peu-près.
N'ayant jamais eu les compétences (ressources humaines requises), donc guidée par l’ignorance et la nécessité de réaliser coûte que coûte quelque chose pour se dédouaner aux yeux des autorités, puisque n’ayant jusque-là rien réalisé en matière d'investissements concrets d’où la roublardise et enfin l’inintelligence parce qu’obligée de sous-traiter la réalisation du centre d'enfouissement technique à une autre société étrangère , la société n’a vu venir ni son étouffement financier, ni la découverte du pot aux roses par les autorités sénégalaises et partant enfin la résiliation de son contrat.

Il y a eu des accusations respectives entre ministres de l'environnement successifs, Lamine BA , Modou Diagne FADA, Thierno LO… Comment expliquer qu'on parle autant de malversations entre gens d’un même bord politique ? Il semble qu’on soit revenu aux mauvaises pratiques qui ont entraîné la mort de la Soadip ?

PSS : En vérité, je suis dans l’impossibilité d'affirmer que tel Ministre ou tel autre est auteur de malversations puisque n’en ayant eu ni connaissance, encore moins de preuves. Je ne suis pas dans la position d'auditeurs dans cette affaire, mais plutôt dans celle de supposé spécialiste et observateur ne se prononçant que sur la base de faits avérés. Cependant, si c’est pour parler du fameux centre d'enfouissement technique de Thiès par exemple, la lecture que j'en fais débouche sur un constat d’incompétence et de mauvaise foi graduelles et manifestes. À mon avis, voilà une entreprise et des gens qui se sont engagés à réaliser un centre d'enfouissement technique de classe II, sans jamais savoir de quoi il s’agissait encore moins avoir visité ou vu un pareil ouvrage.
Mais, rien que le rapport prix catégorie d'ouvrage pouvait permettre de n’accorder aucun crédit à cette affaire techniquement et financièrement incohérente. Cela va de soi aussi qu'il aurait fallu avoir le concours de gens susceptibles de se prononcer avec autorité sur la question. Je ne suis guère surpris puisque c’est l’année derrière simplement que je vu acheminer une mission en Europe des agents pour s'imprégner de cette technologie dont ils n’avaient aucune connaissance et qui, pourtant sont à de très hauts niveaux censés, apporter l'aide à la décision aux autorités supérieures. Cela n'étonne guère quand on connaît l’horreur que nous Sénégalais avons à dire et à reconnaître notre incompétence dans tel ou tel autre domaine. Parce que quand même un centre d’enfouissement technique de classe II pour plus de 200.000 habitants dont le coût est estimé à 450.000.000 Fcfa. N’est-ce pas là, le début d’une escroquerie tellement les coûts sont sous-évalués

« L'expérience AMA ne pouvait prospérer puisque sous-tendu par un mélange d'ignorance, de roublardise et d’inintelligence. »


N’est-ce pas la preuve qu'il y a d’énormes enjeux financiers autour de la question des déchets ?

PSS : Certes la question des déchets représente un enjeu financier d'importance, mais de là à voir la pourriture partout, il y a un pas à ne pas franchir. Il est parfaitement possible de gérer ce secteur sans qu'il soit rythmé par les traînées de casseroles. Pour vous donner un exemple , en France, quand il a fallu réagir devant la multiplicité des scandales liés aux déchets, l’on a conçu entre autres textes, cadres et outils , le M 14 qui est un logiciel comptable spécifique à la gestion du secteur.
(A suivre)

Propos recueillis par Mame Aly KONTE



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email