L’alibi médical est l’excuse la plus récurrente pour échapper aux exigences du mois de Ramadan. S’il n’est que prétexte pour certains, c’est une obligation pour bien des sujets de ne pas jeûner, au risque d’aggraver leurs maladies et d’encourir des complications fâcheuses. Dans cet entretien, le docteur Ousseynou Kâ, médecin chef du Centre de santé municipal de Ouakam (Csmo) et, par ailleurs, responsable du Centre gériartrique qui jouxte le Csmo, revient sur les maladies qui sont incompatibles avec le jeûne, quels posologie pour les sujets qui ne peuvent s’abstenir de respecter ce pilier de l’Islam, les bienfaits du jeûne pour l’organisme humain, etc.
MALADIES INCOMPATIBLES AVEC LE JEUNE
«Le jeûne signifie un moment d’abstinence. Un moment où la personne ne boit pas et ne prend pas son alimentation pendant toute la journée. Quand on dit qu’on doit faire le jeûne, cela suppose qu’on doit être en bonne santé, cela suppose aussi que vous n’ayez pas des maladies qui contre-indiquent le jeûne. Alors que dans le Coran, il y a toujours une solution et des remèdes, quand vous avez ces maladies-là, on vous trouve une alternative.
Les maladies qui sont vraiment contre-indiquées, qui ne permettent pas au sujet vraiment de jeûner, sont d’abord les maladies digestives en particulier l’ulcère gastroduodénal en évolution. Quand c’est un ulcère gastroduodénal en évolution il est formellement interdit de jeûner, parce que quand un tel sujet jeûne, il y a une sécrétion d’acide chlorhydrique et ça va aggraver l’ulcère, et ça peut entraîner une complication de l’ulcère. Parmi ces complications, on peut trouver l’hémorragie digestive ou bien une perforation de l’ulcère et toutes ces affections-là nécessitent une intervention chirurgicale.
La deuxième pathologie, c’est toute maladie chronique en situation de décompensation. Toute affection chronique chez un sujet, qu’il soit âgé ou jeune qui est décompensé, qui n’est pas en équilibre, il lui est interdit de jeûner, comme c’est le cas chez le diabétique. Le diabète est une maladie chronique qui est décompensée, c’est-à-dire que le taux de sucre dans le sang est extrêmement élevé. Cela suppose de ne pas jeûner. En fait, en cas d’ulcère en évolution, comme avec les maladies chroniques décompensées, si vous ne prenez pas régulièrement vos médicaments dans la journée, vous aggravez la décompensation et il peut y avoir des complications extrêmement graves et fâcheuses. Donc, il faut vraiment que les choses soient ramenées à leur situation d’équilibre.
On sait que si vous avez l’hypertension artérielle décompensée aussi, il n’est pas recommandé de jeûner. Quand vous êtes en train de jeûner et que vous avez une maladie aiguë qui est une maladie infectieuse, parasitaire, bactérienne, il ne faut pas jeûner, car le fait de jeûner aggrave la maladie ou ralentit le processus de guérison.
Aussi, en cas de maladie psychiatrique telle que la dépression, le jeûne n’est pas obligatoire. On ne peut pas demander à un sujet qui ne distingue pas le jour de la nuit de jeûner. Le quatrième point, ce sont les maladies aiguës tels que le paludisme, la fièvre typhoïde, les bronchopromopathies, les gastroentérites. Dans ces cas, il faut rompre le jeûne parce qu’il faut un traitement rapide.»
EFFETS DECLENCHEURS
«Si vous prenez l’ulcère gastroduodénal, les acides secrétés par l’estomac vont entraîner l’aggravation de la maladie. L’ulcère, d’une manière générale, c’est une plaie, quand l’estomac secrète de l’acide, cela aggrave la plaie ce qui peut entraîner une complication telle la perforation de l’estomac. Il s’agit alors d’une urgence. C’est la péritonite, ou la plaie va saigner, ce qu’on appelle les hémorragies digestives. Ces deux complications sont extrêmement graves et nécessitent une urgence médicale, une urgence chirurgicale. Quand vous êtes en déséquilibre, c’est-à-dire si vous avez une maladie chronique déséquilibrée, on ne peut pas équilibrer la maladie tant que vous n’avez pas pris les médicaments. Donc, le fait de jeûner dans ce cas aggrave la maladie.
Si au cours du jeûne vous avez une maladie aiguë, comme le paludisme ou la fièvre typhoïde, ne pas rompre le jeûne pour prendre des médicaments, c’est se créer des complications, car le jeûne va influencer négativement sur la santé.
Le seul moyen de limiter ces effets, c’est de prendre un traitement pour que ces maladies n’entraînent pas des complications graves. Donc le seul moyen, c’est d’arrêter le jeûne. Le jeûne, encore une fois, c’est une recommandation divine, si votre santé vous le permet.»
QUELS POSOLOGIE EN PERIODE DE RAMADAN ?
«En fait, tout dépend de la stabilité du patient. Par exemple, il y a des médicaments dits à libération prolongée. Il y a des médicaments qui peuvent rester dans l’organisme 24h/24, mais cela suppose que ce soit une maladie vraiment stabilisée, compensée. Si la maladie est bien compensée, on peut vous donner des médicaments qui ont une durée d’action extrêmement longue, c’est-à-dire qui peut couvrir 24h. Mais il est inimaginable en cas de diabète, qui est une maladie décompensée, que le sujet soit à 3 ou 4 grammes, on ne peut pas lui donner ces médicaments-là.
Ces médicaments supposent que le patient soit bien équilibré et c’est pourquoi, je disais tantôt que quand la maladie chronique est déséquilibrée le jeûne doit être interrompu pour que l’on se retrouve à la situation normale. Je pense que c’est ce qui est fondamental. Je pense aussi que ce qui est le plus important c’est qu’on fasse une réévaluation du traitement. Ce n’est pas parce que quelqu’un prenait des médicaments régulièrement qu’il entre dans une situation de jeûne, il faut qu’il aille voir le médecin pour qu’on puisse réévaluer le traitement. Par exemple, quelqu’un peut avoir une maladie compensée stable et décide de jeûner. Donc, il faut adapter la posologie en fonction du jeûne. Quand, une personne affectée par le diabète jeûne, on peut donner des médicaments à prendre deux fois par jour ou un médicament à prendre uniquement le matin.
Ce qui est important, c’est que certaines personnes, en particulier, ne doivent pas sauter des repas. Elles doivent manger régulièrement. C’est-à-dire prendre le repas du soir, avant de se coucher prendre un repas, particulièrement celui du matin. On ne doit jamais sauter ce repas-là. Parce que c’est celui qui permet de maintenir l’individu, pour que son organisme puisse avoir le maximum de réserve pour traverser toute la journée. Si vous n’avez rien, l’organisme va puiser dans ses réserves et en puisant dans ses réserves, la personne va davantage maigrir. Donc c’est pourquoi, c’est important d’évaluer le traitement et peut-être aussi que l’autre problème c’est que la personne doit boire régulièrement. Jeûner en disant que le soir je n’ai pas envie de boire, ce n’est pas bon, car le fait de boire devient une obligation. Il faut boire après le couper, le soir avant de se coucher et le matin au réveil pour charger l’organisme pour qu’il puisse utiliser ces boissons dans la journée pour avoir une solidité qui lui permet de faire face toute la journée.»
HYPERTENSION ARTERIELLE
«Je ne sais pas pourquoi vous faites un lien entre jeûne et hypertension artérielle, parce que ce sont deux notions qui ne sont pas compatibles, car étant différentes. Le jeûne n’est pas un facteur d’hypertension artérielle. Souvent l’expérience montre que quand l’individu jeûne, il amoindrit le métabolisme, il peut se trouver qui, si la maladie est stable, il pourra exiger un peu de médicament. Donc, est-ce qu’il y a un lien entre le jeûne et l’hypertension artérielle ? Moi, je n’ai pas trouvé d’études qui supposent que le jeûne abaisse l’hypertension artérielle ou l’augmente, mais je sais que le jeûne a un effet positif sur le métabolisme. Donc peut-être de manière indirecte, le jeûne peut avoir une incidence sur l’hypertension artérielle. Seulement, le jeûne c’est un moment, or pour avoir un effet, il faut une période de très longue durée. Le jeûne ne signifie pas avoir faim, quand on jeûne on mange correctement. Il ne faut pas penser qu’on doit maigrir. Mais, il faut manger des aliments qui puissent permettre à l’organisme de se recharger directement et éviter qu’il puisse utiliser ses réserves.
En outre, l’hypertension artérielle fait partie des maladies chroniques. Quand j’ai une hypertension artérielle stable, cela ne m’empêche pas de jeûner et le médecin va réévaluer le traitement pour donner un médicament qui a une durée d’action de 24h. Mais quand elle est instable, il n’est pas recommandé de jeûner et il faut la traiter le plus rapidement possible avant qu’il ne survienne des complications.»
PRISE DE POIDS
«Imaginez-vous certaines personnes jeûnent, mais à l’heure du repas, ils peuvent charger l’estomac de telle sorte que c’est extrêmement difficile même de respirer. D’autres, après la rupture, passent toute la nuit à manger. Le matin aussi, ils prennent un repas caustique et coûteux qui est souvent très gras. Cela peut autoriser une prise de poids. Quand on jeûne il faut manger de manière modérée et équilibrée. Le jeûne n’est pas un mécanisme de compensation de ce qu’on n’a pas mangé toute la journée. Vous jeûnez, mais le soir, vous mangez normalement et modérément, mais aussi de manière varié et équilibré. Car le fait de mélanger beaucoup de plats peut perturber le système métabolique. Donc c’est de savoir qu’est-ce que je mange et quel est mon type d’alimentation après les repas. Si je jeûne et le soir je mange de façon modérée, variée et équilibrée en respectant les trois plats, c’est sûr que vous n’allez pas perdre de poids.
En fait, si on perd du poids, c’est qu’on ne mange pas assez et l’organisme va puiser sur les réserves. Cela dit qu’il n’y a pas assez d’aliments exogènes, d’aliments qui viennent de l’extérieur donc l’organisme va puiser dans les réserves particulièrement chez les personnes âgées et on maigrit. Quand on jeûne, on ne doit pas forcément maigrir, ni forcément grossir, on doit garder son poids de manière stationnaire. Il faut que les gens apprennent à manger correctement de manière variée, équilibrée et saine, c’est le plus important. Jeûner toute la journée après prendre du tabac ou de l’alcool tout cela ça coupe l’appétit et cela va se ressentir sur la santé.
Quand on jeûne aussi, il ne faut pas faire des efforts démesurés. Il faut faire une activité physique adaptée à votre organisme. On ne peut pas jeûner et faire des efforts démesurés. Comme il n’y a pas un apport extérieur, l’organisme puise sur ses réserves, on maigrit davantage et on devient fragile. Et une petite infection, une petite grippe peut entraîner des conséquences fâcheuses.»
JEUNE ET BONNE SANTE
«Le jeûne réduit le métabolisme ; quand on parle de corps humain, il faut penser à la personne qui est en bonne santé ; je ne parle pas d’une personne en situation de déséquilibre. Mais pour la personne en bonne santé, le jeûne a des effets bénéfiques. Par exemple, on a fait des expériences avec des types de rats. Le premier groupe, on leur donnait à manger correctement, on les engraisser à longueur de journée et dans le deuxième groupe, on avait mis une diète alimentaire. Et l’expérience a montré que dans le second groupe, la longévité était beaucoup plus importante que dans le premier. Manger trop rassasié ne participe pas à la santé, mais il faut manger de manière équilibrée, variée et prendre ce dont l’organisme a besoin. Tout ce qu’on en rajoute peut entraîner ce que l’on appelle des radicaux libres. Ce sont des substances qui agressent l’organisme. Le jeûne a un effet bénéfique sur certaines maladies, mais l’individu doit être en situation d’équilibre.»
PERSONNES AGEES, FEMMES ENCEINTES OU ALLAITANTES
«La plus part de nos personnes âgées jeûnent, donc il faut donner des recommandations, parce que sur le plan physiologique, elles sont dans un état d’anorexie physiologique, c’est-à-dire qu’elles n’expriment pas le besoin de la faim. La personne âgée est dans une situation d’asepsie c’est-à-dire n’exprime pas le besoin de la soif. Quand on prend de l’âge aussi, il y a des modifications physiologiques qui ont des répercussions sur l’absorption des nutriments, donc ça c’est fondamental. C’est pourquoi, quand la personne âgée jeûne, il faut qu’il y ait des recommandations pour qu’elle mange régulièrement au couper, avant de se coucher et au petit matin.
En dehors de ces repas, il est préconisé qu’elle mange encore une ou deux plats et cela lui fera 4 à 5 repas, mais aussi boire régulièrement de l’eau et particulièrement le matin ; ça peut même être une obligation pour elle le matin. Et comme elle est polymédiquée, c’est-à-dire à plusieurs pathologies, elle doit se rapprocher du corps médical pour évaluer sa situation sanitaire, mais aussi apprécier l’utilité des médicaments qu’elle est en train de prendre. Durant le Ramadan, elle doit manger de manière variée, équilibrée et saine sinon elle va puiser dans ses réserves et c’est ce qu’on appelle la dénutrition endogène. Donc elle devient vulnérable aux infections et aux agressions infectieuses et bactériennes. Et ce qui fait qu’une petite grippe, une petite infection respiratoire, aura des conséquences vraiment fâcheuses. C’est dire que le jeûne chez la personne, il faudra y faire très attention.
«Quand on allaite ou qu’on est une femme enceinte, on n’est pas seul, car on doit nourrir son fœtus à partir des apports extérieurs. Je ne préconise pas le jeûne chez la femme enceinte surtout en fin de grossesse. En tant que professionnel de la santé, je pen-se que ce n’est pas recommandé. Sinon, il faudra demander à la femme de manger de manière équilibrée, variée et saine si elle décide de jeûner. Il en est de même pour la femme qui allaite qui puise dans ses réserves et cela peut poser des problèmes si elle jeûne. Si elle ne compense pas ses besoins nutritionnels, c’est mieux d’attendre après le Ramadan.»
0 Commentaires
Participer à la Discussion