Particularité du régime de l'alternance: Les religieux à l'assaut du pouvoir

Exception faite de Serigne Cheikh Tidiane Sy, de Léopold Sédar Senghor à Abdou Diouf, quand les guides religieux quittaient leurs tapis de prières pour aller au-devant du pouvoir temporel, c'était soit pour négocier une faveur, soit participer à la décrispation du climat politico-social. Mais, depuis Me Wade et particulièrement suite à la déclaration de candidature de Idrissa Seck, c'est comme qui dirait que le pouvoir spirituel tient coûte que coûte à revêtir également le manteau politique. Au grand dam de la laïcité et des disciples !

Certes, des marabouts n'ont pas manqué par le passé de manifester leur amitié à Léopld Sédar Senghor. Mais ils n'en avaient pas pour autant plié leurs tapis de prières pour aller battre campagne pour lui. D'autres s'étaient opposés à lui ; par le truchement de partis opposés à la politique de l'Union progressiste sénégalaise. Si son successeur Abdou Diouf a eu à bénéficier de "Ndigël" (directives) et de pronostics favorables de guides religieux, ceux-ci s'en étaient tenus là. Mais, depuis l'avènement du régime politique de l'alternance, la cloison entre pouvoirs spirituel et temporel n'est plus si nette. C'est même comme qui dirait que les guides vers l'au-delà sont de plus en plus frappés par l'attraction de ce bas monde, qu'organise et régente la politique. Il y a eu d'abord en 2002 la "tentative" de Me Abdoulaye Wade, le chef de l'État, de faire diriger la liste de la "Coalition sopi" de la communauté rurale de Touba par le Khalife général des mourides, Serigne Saliou Mbacké. Les choses se tasseront, mais des marabouts siègeront à l'Assemblée nationale ou seront nommés au Conseil de la République (Craes). Avec les renouvellements des instances du parti libéral, d'autres sont venus augmenter le nombre et entretenir la polémique avec leurs "talibés" (disciples). Le bras de fer entre Aminata Tall et Serigne Fallou Mbacké, pour le contrôle de la région de Diourbel, reste très illustratif à ce propos. Mais, depuis la déclaration de candidature à la prochaine élection présidentielle de l'ancien Premier ministre, Idrissa Seck, le mur qui séparait le pouvoir spirituel d'avec le temporel s'est renversé sur une plus grande échelle. Lui-même a déclaré avoir pris sa décision suite à un entretien avec un "grand guide" du pays. Et depuis, les familles religieuses sont divisées en deux camps : où l'on est avec Me Wade, ou l'on est "pro-idy". Depuis aussi, ceux qui étaient censés prêcher la parole de Dieu battent campagne pour l'un ou l'autre ; s'ils ne prennent fait et cause pour un leader de l'opposition. Les émissions interactives sont le théâtre de leurs "entraînements" aux invectives et controverses d'ici-bas, qu'ils expérimenteront en 2007. Des "marabouts" sont même devenus, "responsables" de partis politiques : Serigne Mamoune Niasse, Serigne Modou Kara Mbacké, Serigne Moustapha Sy, Serigne Ousseynou Fall et Ahmeth Khalifa Niasse. La présence massive de "marabouts" à Tombouctou, derrière le "guide" libyen, est un tableau qui étale toute l'attraction que le temporel exerce sur le spirituel. Le placement sous mandat de dépôt du "prisonnier politique", Jean Paul Dias, a été encore l'occasion pour des religieux d'investir dans "l'industrie de la politique". La tendance culminera certainement ce matin avec la rencontre entre le chef de l'État et les imams et oulémas du Sénégal. Une tendance quand même inquiétante pour notre République, jusque-là ancrée dans la laïcité. En effet, en 2007, de deux choses l'une : des votes confrériques en masse ou des directives de vote massivement enfreintes. C'est dire que Montesquieu, qui prêchait la séparation des pouvoirs (exécutif législatif et judiciaire) peut encore, sous nos cieux, attendre dans les couloirs.