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PERIODE DU 20 AU 30 DES MOIS : Dans l’enfer des salariés

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PERIODE DU 20 AU 30 DES MOIS : Dans l’enfer des salariés

L’allégresse des fins de mois contraste nettement d’avec la tristesse affichée du 20 au 30 des mois. Une période des vaches maigres durant laquelle l’argent devient introuvable, les provisions alimentaires s’épuisent considérablement sans aucune chance d’être renouvelées et l’horizon complètement bouché. Même la jovialité légendaire des Sénégalais en prend rudement un sacré coup ! Car les populations dans l’impossibilité de boucler, au cours de cette période creuse, les fins du mois, sont gagnées par la grisaille. Et leurs nerfs à fleur de peau car ! Ils sont nombreux, ces Sénégalais, qui en plus devoir supporter la dèche, restent impuissants face aux diverses sollicitations de la famille comme l’achat de quelques morceaux de sucre pour le petit déj, une pièce de cinq cent francs indispensable pour le billet du transport des mômes pour l’école. C’est dire qu’en lieu et place d’une vie acceptable, les gens tentent de survivre comme les y obligent leurs maigres bourses. D’ailleurs, faute de pouvoir se déplacer en taxi pour aller au bout, bon nombre de salariés se rabattent, à partir de la période du 20 au 30, sur les cars rapides et autres « Ndiaga Ndiaye ».

« Bof, que voulez vous que je vous réponde ? », rétorque, avec rage, un monsieur d’une quarantaine d’années rencontré sur l’avenue Blaise Diagne, à hauteur de Keur Serigne Bi. Dégoulinant de sueur en cette après-midi d’août où sévit une forte canicule, il poursuit l’interrogatoire : « vous êtes salarié ? Dans ce cas, vous êtes bien placé pour répondre à votre question. Ecoutez, vous allez raconter à vos lecteurs ce que vous êtes en train de vivre actuellement et le tour est joué ». Circulez, y a rien à apprendre, semble dire monsieur pour qui la discussion est close. La question, à l’origine de cette marque de rudesse, a trait au vécu des salariés et autres travailleurs sénégalais pendant la période du 20 au 30 des mois. Communément période creuse, celle-ci se singularise par le fait que les populations, dans leur écrasante majorité, sont complètement à court d’argent. Il s’y ajoute que dans les foyers, le stock des provisions (riz, huile, sucre, lait, savons et autres produits) achetées pour couvrir le mois, s’épuise avant les délais requis. Toute une bordée de tracas qui s’amoncelle sur la tête de ces milliers et milliers d’hommes et femmes en charge de famille, souvent aux ramifications multiples. Aussi, les plaintes et complaintes fusent-elles de tout bord au détour des conversations.

Mame Khalil Fall, comptable dans une entreprise privée de la place, assure que son salaire ne couvre pas toute la durée du mois. Pour lui, « ceux dont les soucis financiers commencent à partir du 20 du mois peuvent s’estimer heureux et remercier le bon Dieu ! ». Et de confier : « depuis deux ans, il arrive rarement que je garde une somme de 15 000 Fcfa à partir du 15. Si j’enlève les 120 000 Fcfa de la location de l’appartement plus les factures d’eau et d’électricité et la part qui est dévolue à ma mère, il ne reste quasiment que l’argent devant servir à l’achat de la ration et au paiement de la scolarité de mes deux enfants qui vont dans une école privée ». Si bien que Mame Khalil Fall qui dispose d’une « Carina » éprouve toutes les peines du monde pour se payer du carburant. « Chaque fin du mois, je me démerde pour faire le plein et échapper ainsi pour quelques jours aux problèmes liés au transport. Mais au bout de dix jours, la voiture retrouve le garage ». Pourtant, côté traitement salarial, M.Fall juge les choses acceptables. Seulement, aîné de la famille et ayant perdu très tôt son père, une partie de son salaire est versée directement à sa mère qui vit dans la maison familiale avec ses frères et sœurs. Faute de temps pour exercer le travail noir, il mène une vie à crédit dans l’espoir de joindre les deux bouts.

Cette vie à crédit, Abdou Stanislas Diédhiou, 47 ans, la connaît parfaitement. Employé dans une société de gardiennage, il ne se retient guère de confier ses nombreux soucis durant la période creuse en les ponctuant d’anecdotes. « L’autre jour, j’ai surpris mon épouse en train de confier à une de ses copines mon fils aîné se plait à mettre en garde ses petites sœurs contre « Pa Méchant ». A chaque fois que le mois est creux, faites attention à Pa Méchant, leur répète-t-il. Et il se trouve que Pa Méchant, c’est moi ». Pourtant, Abdou Stanislas Diédhiou ne veut pas donner l’image d’un père austère et aboyeur à sa progéniture. Au contraire, il s’efforce d’installer une certaine complicité avec eux. Seulement, ses sempiternelles difficultés à boucler les fins de mois l’obligent à porter le masque des mauvais jours. Puisque « si la plupart du temps, les gens parlent de tirer le diable par la queue, à partir du 20 d’un mois, on cherche vainement le diable pour lui tirer la queue », affirme ce père de quatre enfants. Ses revenus parviennent à peine à couvrir les factures de courant, d’eau, le ravitaillement. Pour les frais médicaux de sa dernière fillette qui traîne des problèmes de vision qui nécessitent un tour, chez l’ophtalmologue, tous les deux mois, il les emprunte régulièrement chez le petit épicier du coin qui lui fait confiance. En outre, « dès le 15, il arrive que je me tape très fréquemment à pied les quatre kilomètres qui séparent ma maison du bureau. Pour un ancien militaire, c’est de l’eau à boire même si ça se trouve que je commence à vieillir ». Dans le souci d’alléger ses charges, il a résilié son abonnement pour le téléphone fixe. Quant au cellulaire qu’il possède, une carte de recharge de 5000 F le mois lui suffit largement.

Mines grises des restaurateurs et des gargotiers

Sur le seuil du restaurant « Mame Coumba » implanté en plein cœur du campus universitaire de Dakar à quelques jets de pierres de l’Ucad II, un groupe de jeunes filles commentent les derniers faits d’armes de la plantureuse « Rubi, » l’héroine du feuilleton qui porte le même nom et qui fait fureur à Dakar. A l’intérieur du resto, la gérante Mame Coumba Diouf, seule au milieu de tables superposées pour les besoins du nettoyage, dresse les comptes de sa demi-journée de travail. Interpellée sur la marche de son business pendant la période du 20 au 30, elle lâche dans un haussement d’épaules : « on ne voit pratiquement pas de clients en cette période. Ils se font cruellement désirer peut-être parce qu’ils sont à court d’argent ». Pour amoindrir les risques de perte, elle divise par deux voire trois la quantité de riz qu’elle cuisine en temps normal. « D’habitude, je prépare jusqu’à quinze kilogrammes par jour, mais si le mois creux je me contente de 5 kilos seulement afin de ne pas remplir utilement les poubelles », confie cette mariée et chargée de famille. A la tête d’une équipe de sept personnes(quatre hommes et trois femmes), elle se plaint de la rareté des clients constitués en majorité d’étudiants, de secrétaires et de travailleurs de l’université, Mame Coumba Diouf qui s’est installée sur les lieux depuis 1984, parvient à tirer son épingle du jeu au cours de la période creuse grâce à ses clients étrangers (mauritaniens, ivoiriens, gabonais, béninois...) qui ont souscrit un abonnement où mensuel. « Sinon, c’est la galère », martèle-t-elle.

C’est la même rengaine du côté du fast food « Ali Baba » situé sur l’avenue Ponty. Adama Goudiaby, un des responsables du fast-food, soutient d’emblée que les affaires s’affaissent comme château de cartes en milieu de mois. En effet, « à partir du 15 et ce jusqu’au 27, on reçoit moins de monde », indique Adama Goudiaby. Et de poursuivre, avec une once de lassitude, « les gens sont carrément à l’intérieur ». Si certains, à partir de cette période, parviennent à se payer des charwarma, il n’en demeure pas moins, pour notre interlocuteur, que les plats sont souvent en souffrance faute d’acheteur. Les rares clients qui assurent pendant la période, informe Adama Goudiaby, « ce sont les étrangers ». Les Sénégalais, dit-il, se font désirer.

Maître d’hôtel de la Pointe des Almadies, Assane Guèye n’a pas à se plaindre. Son établissement ne connaît guère les difficiles fins de mois comme c’est le cas dans beaucoup de milieux. Cette baraka s’explique, selon Assane Guèye, par le fait que « nous avons une clientèle européenne. Ce sont pour la plupart des gens nantis. D’ailleurs, mêmes nos clients fixes de nationalité sénégalaise sont dans les affaires ». Raison pour laquelle dans ce restaurant où il faut débourser au bas mot 10 000 Fcfa pour un menu complet, on ne sent pas trop les affres des difficiles fins de mois. Toutefois, note notre interlocuteur, « il y a des moments où les gens font beaucoup attention à la note ».

Plaintes et complaintes des mendiants

« Le repas que vous nous avez trouvées en train de manger, on s’est cotisé ma camarade et moi chacune 150 Fcfa pour pouvoir le payer ». C’est la confidence faite par Binta Diop, une handicapée motrice trouvée en cette journée du 23 juillet devant la Cathédrale de Dakar. C’est ici que depuis 8 ans, armée de sa chaise roulante, elle cherche, chaque jour en quittant sa maison sise à Yeumbeul, à amasser un peu d’argent. Ceci grâce aux bonnes volontés. Cependant, Binta Diop estime la mendicité ne rapporte rien, passés les dix premiers jours dans le mois. Peut-être, argue-t-elle parce que les gens sont aussi fauchés au delà de cette période. « Alors qu’à la fin du mois, on descend avec 3500 à 4000 Fcfa par jour, à partir du 20 on arrive rarement à gagner 700Fcfa », confie la dame Diop qui ne tarit toutefois pas d’éloges à l’endroit du Premier secrétaire du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng. Ce dernier, affirme t-elle, « nous donne au minimum

10 000 Fcfa à chaque fois qu’il passe par là. S’il y avait deux Tanor dans ce pays, nos soucis, nous autres mendiants, ne seraient que de mauvais souvenirs ». « Walahi, Tanor beuri na yeurmendé ! Yal na ko yalla fay (Tanor a un gros cœur ! Qu’il ait la récompense du tout puissant !), renchérit sa camarade Téné Thiam, également handicapé motrice. A en croire celle-ci, arpenter les rues de Dakar à partir du 20 traduit une grosse perte de temps et des soucis supplémentaires. D’autant que dit-elle, « on ne parvient même pas à avoir de quoi payer le Ndiaga Ndiaye pour rentrer à la maison ». « Yaakar ra foor rek », plaide-t-elle.



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