Vendredi 29 Mars, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Societe

[ Contribution ] Pourquoi les sénégalais sont-ils amorphes ?

Single Post
[ Contribution ] Pourquoi les sénégalais sont-ils amorphes ?

S’il est une question qui revient comme un refrain et sur laquelle on a développé plusieurs allégations, c’est bien celle de savoir pourquoi les sénégalais ne réagissent-ils pas devant ces situations que l’on juge à tort ou à raison inacceptables ?

C’est en gros une situation, qui pour la schématiser, dessine les rapports entre les gouvernants que représente le pouvoir exécutif et les gouvernés, c’est-à-dire le peuple considéré dans ce cas de figure comme étant amorphe devant les décisions, les attitudes et les pratiques de ce pouvoir. Décisions, attitudes et pratiques, encore une fois jugées inacceptables ou à tout le moins inadéquates ou sinon incongrues.

Ce gouvernement, puisqu’il s’agit de lui, à travers son chef, non pas le premier ministre, mais le chef de l’état, peut se permettre de développer une chose et son contraire, d’augmenter vertigineusement les prix des denrées de première nécessité, de s’installer définitivement dans l’amateurisme, le dilettantisme sans coup férir, sans que le peuple ne réagisse.

Et l’on se permet de comparer en convoquant des exemples passés dans d’autres pays qui, pour bien moins que ce qui se passe au Sénégal, auraient réagi avec la plus grande détermination. Indépendamment de savoir si ces dires sont avérés ou non, il s’agit pour nous de nous pencher sur l’état social du pays, afin de voir ce qui fait que le peuple sénégalais donne l’expression d’un pays tétanisé ou sinon amorphe face à des enjeux généraux pour ne pas dire nationaux.

Pourquoi les sénégalais sont-ils très blasés, amorphes, apathiques, etc.?

Beaucoup de points de vue ont été soulevés, mais d’une manière invraisemblable.

Pêle-mêle, on nous a servi l’argument ethnique considérant que le Sénégal est un pays qui se « wolofise » et le Wolof étant apprécié comme quelqu’un de très paisible, pour ne pas dire de très lâche, ferait que finalement tout le pays œuvre dans le « yalla baakhna » ou le « grawoul ». Dans le même ordre d’idées, l’on se permet de dire que s’il y a une rébellion en Casamance depuis un quart de siècle, ce serait parce que cette partie du pays est habité par des Diolas qui seraient très belliqueux et très fiers pour ne pas se laisser entraîner dans des situations jugées dégradantes ou affligeantes.

D’autres pensent que ce serait à cause du fatalisme tiré de la religion islamique. Une certaine conception du destin ou de la prédestination aurait figé ce peuple dans une sorte d’attentisme ou de placidité très déconcertante. La religion serait ici l’opium du peuple comme le dirait Marx. Le peuple sénégalais à majorité musulman serait victime du poids de la religion qui recommanderait l’endurance à toute épreuve. Dans cette même veine, une autre thèse défendue ça et là voudrait que c’est parce que le peuple sénégalais ne croirait pas en Dieu comme il faut ou plutôt « ne croit en rien » qu’il est à la merci de cette léthargie.

D’aucuns pensent aussi que ce serait parce que l’on s’épanche trop dans les médias (radios en particulier), des hâbleurs professionnels, que finalement toute la tension nécessaire, qui aurait dû conduire au passage à l’acte, s’en trouve évaporée, édulcorée, amoindrie. Les radios seraient des lieux de lamentation. Et quand on se lamente souvent, on réagirait rarement !

Certains pensent que ce peuple serait victime d’une déception amoureuse vis-à-vis de ses hommes politiques qui n’auraient de regard que pour eux-mêmes. A force de déceptions répétitives, le peuple se serait résigné et anéanti par autant de duperies. 

Que dire aussi de cette autre allégation qui voudrait que le peuple sénégalais serait malléable et corvéable à souhait à cause d’un héritage historique. La société sénégalaise constituerait la survivance d’une société première féodale où la marque principale est l’obéissance aveugle aux chefs ou à tout le moins le besoin presque congénital d’aliéner leur existence à des chefs bons ou mauvais ?

Toutes ces considérations ont peut-être leur noyau de vérité, mais on reconnaîtra qu’elles pêchent par réductionnisme. Réduire un fait aussi total qu’est l’état social d’un pays au culturel, au religieux ou à l’héritage historique exclusivement serait une démarche très périlleuse et pouvant très facilement conduire à des jugements de valeur que nous préférons opter pour une démarche beaucoup plus englobant ou transcendante.

Il nous semble que pour comprendre pourquoi les sénégalais évoluent dans un pareil état social, il faudrait moins opposer une ethnie à une autre,  une religion à une autre ou une histoire à une autre.

Les sénégalais sont sans doute très passifs ! Mais, il est certain que pour en trouver la ou les causes, il faudrait voir que ce peuple a appris à déléguer d’autres personnes, d’autres individus, d’autres groupes (marabouts, gouvernement) pour régenter sa vie de tous les jours. C’est la situation la plus objective dans tous les cas de figure.

Mais, on rétorquera que c’est ce peuple démocratique qui élit ses dirigeants, en tout cas dans le domaine politique, et qu’en les élisant, il a aussi  le pouvoir de les sanctionner. Sans doute, hormis le cas de figure de fraudes électorales, le peuple élit ses dirigeants politiques, mais comme le dirait A. de Tocqueville, dans ce système, les « citoyens » sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent. La caste maraboutique et le clergé catholique sont le meilleur moyen pour manifester si besoin en est que le peuple sénégalais a besoin de tuteur dans tous les domaines. De cette même manière que le marabout (bon ou mauvais) ou le clerc (bon ou mauvais) intercède entre le peuple et Dieu ; les politiciens sont pris comme des marabouts devant intercéder entre le peuple et le Dieu-développement. Avons-nous déjà vu un quelconque sénégalais se privait de mentor religieux dans sa vie de tous les jours ? Non, bien au contraire, on nous rabâche les oreilles qu’il faudrait en avoir pour être un authentique croyant.

Ce que démontre cette situation c’est que le sénégalais a besoin de tuteur. Mais chose paradoxale, le tuteur s’emploie toujours à maintenir ses protégés (le peuple) dans ce statut de dépendance, d’infériorité « soudoul mann dou baax ! ». Et le peuple de se croire souverain parce qu’il aurait choisi librement ses dirigeants qui vont se transformer très rapidement en maîtres, comme maître Abdoulaye Wade !

Voyez-vous comment ce maître a tellement compris la mentalité de ses serfs, si bien qu’il essaye par tous les moyens d’être incontournable ? Quand bien même, il y aurait grève à l’université, il faut appeler le maître pour qu’il décante la situation ! Quand bien même cela ne va pas dans cette société de transport en commun Dakar Dem-Dikk, on se tourne aussitôt vers le maître. Tout le monde appelle au secours au maître. Maître par ci, maître par là !

Malheureusement, ceux qui passent tout leur temps à critiquer, à brocarder le maître, ne font rien d’autre que fortifier cette croyance qu’il nous faudrait un bon maître. Alors que ce qu’il faudrait, c’est pas de maître du tout !

Voyez-vous comment certains esprits se croyant très éclairés se mettent à défendre l’idée qu’il faudrait que l’armée prenne le pouvoir et dirige ce pays d’une main de fer afin d’amener les gens à être plus disciplinés ? Joli résultat en tout cas !

Aurions-nous besoin de l’armée, d’un marabout, d’un politicien, d’un guide, en somme d’un maître pour vivre, pour exister, pour nous développer ?

En vilipendant ou en louant les qualités d’Abdoulaye Wade, on finit par faire croire que nous avons besoin inexorablement d’un mentor, d’un maître. Je pense qu’il faudrait qu’on arrête de faire cette fixation sur un être ou un groupe d’êtres afin de libérer le peuple du joug de qui que ce soit. Abdoulaye WADE aussi bien intentionné soit-il, ne pourrait nous livrer sur un plateau d’argent le développement que nous appelons tous de tous nos vœux. Et il est à parier qu’il est très bien intentionné, comme le sont sans doute Robert Mougabé, Laurent Gbagbo, Nicolas Sarkozy, Barack Obama, Mouhamed VI, etc. Ils sont tous très bien intentionnés. Mais que pourraient toutes ces bonnes intentions individuelles sans le concours de toutes les autres ? Toutes ces bonnes intentions ne pourraient rien sauf se transformer très rapidement en despotisme car contrairement à ce que l’on croit, devenir despote ou totalitaire, ce n’est pas nier la vérité, encore moins être mal intentionné, mais c’est plutôt croire détenir la vérité et de vouloir coûte que coûte commander en son nom.

Un despote demeure toujours un despote, éclairé ou non, parce que tout simplement il aurait fait croire ou son peuple s’est laissé faire croire en le choisissant qu’il aurait les capacités de faire le bonheur des autres, de tous les autres à leur place.

Ce qui est évidemment faux et archi faux, bien entendu !

On nous sert comme exemple, le développement des Dragons et autres Tigres de l’Asie du sud-est (Taiwan, Malaisie, Singapour, Indonésie, Corée du Sud etc.) qui se seraient développés grâce à des despotes éclairés tout en oubliant que c’est le peuple de ces pays qui était prêt réellement et mentalement à se prendre en charge, à se surpasser pour en arriver là où ils en sont.

Ainsi, la question fondamentale, pour nous autres qui aspirons à s’affranchir de ce servage, de ce tutorat sclérosant, serait de savoir comment y parvenir ?

Si l’on interroge l’histoire de l’humanité, il n’y a pas eu deux façons. La seule et unique façon a été d’amener les peuples à se prendre en charge en les intéressant plus à la chose publique. Et cette façon est ce qu’on pourrait appeler la décentralisation et la déconcentration effectives du pouvoir et des mécanismes de gouvernance auprès des populations.

La bonne gouvernance dans un pays commence toujours du bas vers le haut, et non du haut vers le bas et ce quelque bien intentionné soit ce haut. Surtout à l’heure actuelle où l’on parle de mondialisation, phénomène dans lequel un Etat quel qu’il soit est devenu un acteur comme tous les autres, c’est-à-dire un acteur très limité et toujours à la recherche de ses propres intérêts. Des intérêts qui ne coïncident que rarement avec ceux des autres acteurs et au premier desquels, les populations à la base.

Ainsi tous les mécanismes visant à mettre le pouvoir à la portée des populations seraient à encourager pour éviter d’avoir un peuple inerte, apathique, amorphe et courtisant.


Mamadou Moustapha WONE

Sociologue

BP : 15812 Dakar-Fann

[email protected]



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email