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PRISON DE REBEUSS UN ANCIEN DETENU ACCUSE : « En prison, on devient facilement un homosexuel »

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PRISON DE REBEUSS UN ANCIEN DETENU ACCUSE : « En prison, on devient facilement un homosexuel »

« Journal de prison », c’est le titre choisi par O.Cissé pour raconter son expérience à l’Association des prisonniers d’Afrique de l’Ouest (Apao). Placé sous mandat de dépôt pour une quinzaine de jours pour avoir levé le doigt lors du procès de son frère jumeau, O.Cissé a profité de l’occasion pour enregistrer les moindres détails, les moindres sentiments dans cette prison où « tout est excès ».

L’humiliation de la fouille

Tout détenu arrivant à Rebeuss doit être fouillé et cette fouille est assez spéciale. Cissé témoigne : « C’est le premier spectacle des plus humiliants auquel on doit, malgré soi, assister et participer, quand on vient juste d’arriver. Un choc traumatique auquel nul ne peut sortir tout à fait indemne. Les nouveaux arrivants sont alignés sur plusieurs mètres selon le nombre, et l’on demande à chacun de se mettre nu comme au premier jour de sa vie. Inutile de poser les mains sur vos parties intimes pour les cacher, on vous ordonnera de les enlever, l’humiliation étant comprise comme faisant partie de la peine à purger. Et la fouille peut commencer, d’abord par les vêtements qui gisent à vos pieds. Ensuite, chaque orifice du corps sera inspecté. On vous demande de vous appuyer contre le mur, bras et jambes écartés... Les porteurs de dreadlocks (coiffure rasta) sont systématiquement rasés, car l’administration mise en place par les toubabs noirs ne supporte pas cette coiffure ! Pour elle, c’est un look de rebelle et de bandit ». Après la fouille, confie Cissé : « Tout objet supposé suspect sera confisqué, montre, lunettes, argent liquide, agenda, gris-gris, bagues, bracelet, portefeuilles. Après la fouille et la saisie des objets, on se rhabille, en rang, direction un petit bureau où l’on entre un à un pour décliner son identité, raisons d’incarcération, prise d’empreintes digitales. La moindre lenteur peut être vue comme un acte de désobéissance, et vous valoir aussitôt harcèlement, menaces, quand ce n’est pas un passage à tabac. L’endroit est sinistre. On sent quelque chose de terriblement louche planer dans ces lieux ».

Camarades de misère

« Une fois qu’on franchit cette porte, le Bon-Dieu reste le seul recours. L’Unique à qui l’on peut faire appel. Pour cette raison évidemment, on y respecte les cinq prières quotidiennes, la lecture du Saint-Coran et les Khassaïdes du Cheikh Ahmadou Bamba, ainsi que la Bible. Les émissions radiophoniques sur la morale religieuse sont suivies et dans chaque cellule, il y a un Imam et son « naïm » (adjoint). Les détenus chrétiens portent des colliers avec une croix en pendentif, distribués par les curés au cours de leurs visites », confie Cissé. Ce dernier ajoute : « Le séjour carcéral donne l’occasion d’accomplir de bonnes oeuvres en aidant les plus faibles et les plus démunis. C’est l’exemple de Lamine Camara (je l’appelais mon cousin à plaisanterie). Il est sénégambien, vivant entre Dakar et Sérécounda (Gambie). Il est haut d’1m70, la cinquantaine, père de famille. Gros ventre, dodu et jovial, souvent de bonne humeur pour plaisanter. C’est lui le « Baay-Defal Yalla » (le Bon Samaritain) de la prison. Je l’ai vu consacrer ses maigres économies à l’achat de charbon pour chauffer de l’eau tous les matins afin que chaque détenu de notre cellule puisse boire son café. Je l’ai regardé passer son temps à collecter des restes de repas pour les envoyer aux affamés des autres cellules ».

Cissé continue la présentation de ces camarades de misère. « Modou Mbengue, dealer multirécidiviste et cul-de-jatte de surcroît. Modou Mbengue, la soixantaine, accepte de tout faire, sauf de tendre la main. Il est ambitieux, marié et père de six enfants. Tenant à les nourrir comme tout digne père de famille, il vend de l’herbe. Il a été cueilli chez lui pour la énième fois, et a écopé de 5 ans ferme. En cellule, son handicap ne lui donne droit à aucun traitement de faveur ou de respect. Sa place est à un mètre de l’entrée de la douche-toilette. Sur cette place où il dort et passe la journée, il y a un infernal va-et-vient. Des gens sortent de la douche sans serviette et laissent dégouliner leur corps mouillé sur lui sans le regarder. Il rouspète et s’énerve à longueur de journée. D’autres trébuchent sur lui en lui frôlant postérieur ou moignons ».

En prison, Cissé a vu des humains quitter ce stade pour celui de « bête ». « J’ai observé des gens dépouillés de toute dignité d’homme au point que j’en perdais la mienne. Ici, la promiscuité est un mode de vie. L’intimité, c’est dans le rêve. On est toujours vu, toujours touché et toujours entendu. Voici la bonne manière de récupérer un homme. C’est le prix à payer pour être récupéré. J’ai dormi dix jours durant à deux mètres de la douche-toilette avant que l’adjoint-chef de notre cellule décide de me déplacer ».

À cela s’ajoutent les « plats » servis par l’administration pénitentiaire aux détenus : « La nourriture de la prison, si on peut l’appeler comme ça, est à peine comestible, mangeable et digestible. C’est presque de la m..., je ne peux pas la décrire autrement. Dieu me pardonne l’expression. Du riz cuit à l’eau (directement sans être lavé) avec un soupçon d’huile et d’oignon, et du poisson séché. Rarement du poisson frais, mais pourri. Quand c’est de la viande (très rarement), les morceaux ressemblent à des semelles de vieilles chaussures. Certains pensent que c’est de la viande d’âne ; de temps en temps, la semoule remplace le riz, histoire de changer, mais toujours cuit de la même façon. Chaque prisonnier a droit à une quantité de 125 grammes mesurés dans un pot en plastique. Pas le choix ! Le soir, on sert en plus petite quantité de la bouillie de riz, sans sucre ni lait. C’est au détenu de se débrouiller pour rajouter du goût. Certains ont leur stock d’ingrédients ; il y a une boutique dans la prison ; on y vend deux fois plus cher qu’à l’extérieur ».

Côte-à-côte avec les détraqués

Même si certains de ses camarades de cellule sont des anges, il n’en demeure pas moins que d’autres « voisins » de Cissé étaient de vrais détraqués. Il en est ainsi de « Amadou Bâ, alias Jean-Paul « ex-musulman », originaire de Saint-Louis. Il a poignardé sa petite amie et la mère de celle-ci. Il est ici depuis quinze ans en attente des assises. C’est le doyen de la cellule. Il est sorti une seule fois pour une visite médicale à l’hôpital Le Dantec. Il n’a jamais eu de visite. Choquée par son geste bestial, sa famille l’a renié et abandonné. Il a rejoint le troupeau de Jésus pour bénéficier de l’attention des bonnes-soeurs. De temps en temps, il pique des crises de démence. Les condamnés à une longue durée manifestent pour la plupart des troubles mentaux. Leur esprit lâche prise après avoir longtemps tenu dans l’atmosphère tendue régnant à tout instant. Entre la nervosité, l’hystérie et la virulence des paroles des gardes. Petit à petit, de la dépression chronique, ils sombrent dans la perte de raison et la démence ». Il y a aussi Ibrahima Sall : « Un fou toujours souriant. Il a tué son oncle. Il aime se coiffer d’un turban et passer son temps à égrener son chapelet et prier seul à part. Il ne fait rien avec les autres. Il peut faire n’importe quoi à n’importe quel moment, comme jeter de l’eau usagée ou bouillante sur quelqu’un. Tout le monde fait attention à lui. Il ne se pose pas de questions. Sortir de prison est le cadet de ses soucis. Il s’y sent comme chez lui. Un vrai dingue. Gormak Lô dit « Bouki » : « c’est un dégénéré spécialiste des rixes. Il revient souvent en prison, par « nostalgie », dit-il, de ses codétenus. C’est ici qu’il se sent mieux qu’au dehors ».

S’il y a des détenus qui ne sont pas digérés en prison, ce sont sans doute les pédophiles. Cissé confie : « A la cellule n°4, il y a un touriste européen inculpé pour une affaire de pédophilie. C’est le plus malheureux de tous dans le 100m2. Personne n’a envie de lui adresser la parole, à part l’insulter ou le tabasser quand c’est possible. Fou, il l’est déjà. Mais il mourra bientôt. Malick Guèye, compagnon de cellule de Cissé est lui aussi un vrai dingue. Présentation : « il a exterminé huit membres d’une même famille, à la machette. Ce gars n’est pas beau à voir dans le sens moral du terme. Il a un regard maléfique. Il ne parle avec personne. Il a tout le temps un air fâché. Une fois, j’étais en rang pour la douche-toilette. Comme j’étais le suivant, je me suis adossé à côté de sa place, touchant à peine son matelas, il m’a violemment repoussé. Je n’ai rien dit, pas par peur de lui, mais pour ne pas lui donner d’importance. Quelqu’un qui nous a vu, m’a dit que j’avais bien fait. Pourtant, la nuit, quand je m’allonge par terre sur l’allée, ce criminel en série dort sur la mezzanine en haut, à 1m10 au-dessus de moi. Ma tête est posée au-dessous du niveau de ses pieds.

Ces hommes devenus « femmes » en prison

En prison, on devient facilement un homosexuel. Cissé se souvient : « Un jour, à la cour des gardes (où seuls les détenus privilégiés ont accès), j’ai surpris un détenu en train de manger à la poubelle de la cuisine. J’ai fait semblant de ne pas le voir pour ne pas le gêner dans son appétit, mais il ne s’en cachait pas et s’en foutait éperdument. Le gars était arrivé au bout du rouleau et ne savait plus que faire de sa dignité. Je n’ai pas besoin de vous décrire combien j’étais sonné... Quelqu’un se fait nourrir le jour par un autre, de ses restes. La nuit, à l’extinction des lumières, ils dorment sous la même couverture. C’est ainsi que j’avais compris qu’un homme qui a faim, involontairement, est prêt à tout, et n’importe quoi, sans se poser de question. Parfois, il y a des disputes allant jusqu’à la bagarre pour une histoire de « femmes ».

Au cours d’une promenade, un de mes voisins de chambre, me dit : « Tu vois ce gars, là-bas ? C’est une femme, il se prostitue. » « Tu sais », lui dis-je, « si la bouffe était suffisante, même sans être bonne, ces gens n’iraient pas jusqu’à faire ça. ». En prison, raconte Cissé : « Ces gens sont devenus homosexuels par la souffrance et le hasard. À leur sortie, il y a de fortes chances qu’ils le restent. Aussi, peut-on ressortir avec des maladies vénériennes comme le Sida, car ces relations sont sans protection ». On a raconté à notre ex-détenu l’histoire d’un inculpé travaillant dans le milieu du sexe. Un proxénète. Il a passé son séjour de deux années à se masturber frénétiquement tous les jours. Il produisait des litres de sp...par mois. Il avait fini par maigrir, les yeux creux, les gestes lents, et ses articulations se raidirent. Devenu un vieillard de 42 ans à sa sortie, il mourra quelques mois plus tard.

Ici, grands et petits vices se côtoient. C’est le cercle du vice, donc des vicieux. Que la protection divine veille sur les innocents ! Surtout les faibles ».

Ces innocents qui croupissent en taule

Cissé soutient que plusieurs innocents sont en prison. Il cite des exemples. « José Manuela. Il est dans la maison du silence pour délit de tapage nocturne dans un pays où le tam-tam est roi. Il faisait la fête chez lui, et ses invités étaient bourrés. Un de ses voisins anonyme de rue, a appelé la police. Il sera relaxé au bout de trois jours, sans preuve, à part l’appel anonyme ». Thierno Sall, « l’homme tranquille, originaire de Rufisque. On peut tout lui reprocher, sauf d’être violent. Lors d’une rafle, on a trouvé sur lui cinq cornets de chanvre indien. Pour cela, il couchera deux années ferme. Il n’a jamais de visite. Je partageais souvent mes repas et mes cigarettes avec lui. Il me cédait sa place, la journée. C’est une table en pierre d’un mètre carré à peine. Il faut un peu d’acrobatie pour arriver à y dormir ». Moussé Diouf travaillait au Centre des oeuvres universitaires de Dakar, accusé d’escroquerie qu’il nie toujours. Sa femme a accouché. Il passe très souvent son temps à regarder la photo de sa femme et de son nouveau-né. Il doit attendre six mois pour les voir ».

Le « jail », la prison, confie Cissé « est une décharge humaine, un dépotoir d’hommes où s’érigent les barbelés de l’avenir. Le but du « hundread » est de stocker des personnes jugées indésirables et dangereuses pour la société, par une justice. On les maintient en vie pour mieux les punir. Les gardiens rivalisent de sévérité et n’ont d’autre façon de communiquer que par des hurlements et des harcèlements. Pas de télé dans les cellules. Seulement des postes de transistors grésillant à longueur de journée et de nuit, faute de piles, mille fois utilisées et rechargées au soleil. La radio est pour le détenu, ce que le tube est pour le plongeur. C’est le cordon ombilical, entre lui et l’extérieur. On fait de gros efforts de concentration pour l’écouter, à cause du brouhaha constant. Parce que pour chasser l’ennui, on parle de tout et de rien. On rigole pour une raison ou pour une autre. On chante même parfois. On peut passer des heures à chanter des louanges à Dieu, parce que dans ce trou du silence, il ne reste plus que Lui pour nous entendre ». L’ex-détenu poursuit : « Minuit, l’heure du crime, les lumières s’éteignent. Ainsi, toutes les nuits, quelqu’un raconte une histoire. C’est du roman oral. Du film raconté. Y en a qui sont doués pour cela. Ils le commencent par une musique de générique, comme dans un vrai film, en insistant jusque sur les bruits de voiture, de voix d’hommes, de femmes ou d’enfants, des cris d’animaux, en guise de bruitage. Ils font tout de la bouche. C’est magnifique et génial. Y en a du porno aussi. Et ça fait rêver. Presque tout le monde est abonné. Alioune Badara dit « Boy naar » était le meilleur romancier de notre chambre. Pour moi, il mérite le prix Pulitzer. C’est un aventurier arrêté pour braquage. Il a traversé le désert du Sahara jusqu’en Libye, dont huit jours de voyage sans eau. Un vrai dur. Son casier judiciaire est plein ».



3 Commentaires

  1. Auteur

    Fayesanor Pro

    En Juillet, 2016 (16:08 PM)
    Je suis vraiment abattu, c'est plus qu'horrible, que Dieu nous assiste et nous aide à toujours vivre libre et sans condition!
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  2. Auteur

    Anonyme

    En Août, 2016 (08:40 AM)
     :emoshoot:  :emoshoot:  :emoshoot:  :emoshoot:  :emoshoot: 
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    Auteur

    En Mai, 2019 (02:41 AM)
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