En ce mois de février durant lequel on célèbre le grand historien Cheikh Anta Diop, ce mois qui aux Etats-Unis est « Le mois de l’histoire noire », des amis de notre association Re-Source / Sununet m’ont chargé d’informer les internautes du prix que vient de recevoir notre amie et consœur sénégalaise : Sylviane Diouf.
Il s’agit du prix Wesley-Logan de l'Association des Historiens Américains, attribué aux meilleurs livres dans cette discipline, reçu pour son ouvrage « Dreams of Africa in Alabama : The Slave Ship Clotilda and the Story of the Last Africans Brought to America ». Sylviane est le premier historien africain primé et c’est une grande fierté pour nos organisations (R/S et Senegalese Academic Society) et pour l’ensemble de l’Afrique. En rendant hommage à Sylviane, nous souhaitons que ce prix inspire d’autres jeunes Africains.
En effet ce prix, qui lui a été remis le 4 janvier dernier lors de la rencontre annuelle de l'association à Washington, récompense le meilleur livre sur l'histoire de la dispersion, de l'établissement , de l'ajustement ou du retour des peuples originaires d'Afrique.
Comme aiment l’appeler les Américains, Dr Diouf est l’une des figures intellectuelles africaines francophones des plus consultées aux USA ou elle est apparue plusieurs fois dans des documentaires télévisés. Cette chercheuse brillante, méthodique, toujours rigoureuse, est engagée aussi bien dans la reconquête de l’histoire de la diaspora noire que dans l’accompagnement de ses compatriotes pour la reconquête de l’espace publique et l’affirmation des droits. Ses recherches historiques sont d’actualité dans la société américaine dont la compréhension des phénomènes politiques contemporains se donne à saisir à partir de l’héritage historique.
Il faut dire qu’à la différence de beaucoup d’historiens qui se limitent à faire un bilan des brutalités de l’esclavage et du colonialisme, Sylviane cherche à appréhender à partir d’une méthodologie rigoureuse l’expérience détaillée des individus et groupes sur lesquels elle travaille.
Ainsi dans son livre « Dreams of Africa in Alabama » publié récemment par Oxford University Press, Dr Diouf retrace l'histoire inédite de 110 enfants et jeunes gens du Bénin et du Nigeria qui furent les derniers Africains déportés aux Etats-Unis en 1860, soit 52 ans après l'abolition de la traite négrière.
A l'aide de documents d'archives jamais explorés et après avoir effectué des recherches en Alabama et au Benin, Sylviane relate en détail la vie de ces jeunes gens en Afrique, sur la côte, et durant la traversée. Elle les suit à la trace pendant leur période d'esclavage, leur libération en 1865 et jusqu'à leur disparition. Elle nous révèle que le dernier survivant de ce groupe est mort en 1935 et il existe encore des gens qui l’ont connu. Le groupe, qui avait vainement tenté de retourner en Afrique, avait fini par fonder une petite ville, African Town en Alabama, qui existe toujours et où vivent leurs descendants.
Rappelons que le décryptage des documents historiques qui nous permettent à nous autres non historiens de revivre intensément les drames mais aussi les réussites de nos compatriotes déportés, n’est pas nouveau chez Dr Diouf. Hormis des dizaines d’articles, l’historienne d’origine sénégalaise a publié plusieurs livres sur la diaspora africaine. En 1999, dans un remarquable livre académique prime par l’Association des bibliothécaires américains, elle retraçait pour la première fois l’histoire particulière des musulmans d’Afrique de l’ouest mis en esclavage dans les Amériques. Ce livre intitulé « Servants of Allah: African Muslims Enslaved in the Americas (New York University Press) » qui est au programme de nombreuses universités fait revivre l’expérience, la vie religieuse et les contributions de ces esclaves musulmans.
De même, dans « Fighting the Slave Trade: West African Strategies » (Ohio University Press ), pour la première fois, notre consoeur fait découvrir les différentes résistances des Africains confrontés à la traite négrière. Ce livre est le premier du genre non seulement aux Etats-Unis mais dans le monde, à être entièrement consacré aux résistances déployées par les Africains pour se protéger de la traite et l’attaquer.
En explorant des figures considérées comme marginales par certains historiens plus à la recherche du sensationnel, Sylviane nous invite à réfléchir et à voir que les pratiques culturelles du moment se donnent à lire non seulement à partir de faits historiques, mais aussi à partir d’une étude minutieuse des enchaînements de ces faits. En montrant l’autonomie relative des pratiques religieuses des esclaves, Sylviane arrive à spécifier la problématique de la religion dans l’histoire des populations noires de la diaspora. Elle nous montre comment cette population volée et violée a fait face avec dignité, courage et créativité à une systématique tentative de déshumanisation et de dépossession de ses droits. Quelle que soit l’ampleur de ce processus, grâce notamment à la pratique religieuse, les Africains ont pu trouver des moyens pour maintenir ou reconstruire partiellement leurs identités. Les questions que pose l’étude de l’histoire de la traite et de l’esclavage, rejoignent les questions fondamentales que nous autres Africains nous posons constamment, les questions identitaires.
Lire les livres de Sylviane, ce n’est pas simplement comprendre les trajectoires de nos ancêtres réduits en esclavage, c’est aussi continuer à entendre leurs paroles, vivre leurs souffrances et leurs espoirs, saluer leur créativité, leur résistance et leurs réussites, et reconnaître leurs immenses contributions aux cultures du monde hier et aujourd’hui.
Pour Re-Source / Sununet
Mahamadou Lamine Sagna
P.S Pour être informé des activités (actions et débats) de Re-Source / Sununet vous pouvez vous inscrire a www.sununet.com et www.senegaleseacademicsociety
0 Commentaires
Participer à la Discussion