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Reportage Dans les quartiers inondés de la banlieue de Dakar : Les damnés de l’eau

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Reportage Dans les quartiers inondés de la banlieue de Dakar : Les damnés de l’eau
Le gouvernement du Sénégal a déboursé 2 milliards de francs Cfa pour venir en aide aux populations de la banlieue de Dakar, touchées par les inondations. Mais, sur le terrain, difficile de constater l'effectivité de la mesure. Reportage chez les ‘oubliés’ du plan Orsec.

Les petits ont plutôt l’air de s’y plaire. L’angoisse de la rentrée, ils ne connaissent pas. Ils ont d’ailleurs trouvé une vaste aire de jeu, dans la cour de l'école. Rien à voir avec les ruelles étroites de leurs quartiers.

Pourtant, ils devront bientôt suivre leurs familles, chercher un autre lieu où se recaser. Est-ce cela qui inquiète cette femme, assise sur les marches d’une salle de classe, le regard perdu dans le vide ? D’un geste fatigué, elle balaie les mouches convoitant le corps décharné de sa fillette, étendue devant elle. ‘Vous êtes venue ici avec qui ?

- Avec mes enfants’, répond-elle l’air absent. La voix grave et sèche n’incite guère à la discussion. C’est une dame d’âge mûr, la quarantaine peut-être, le visage bouffi, les yeux tournés vers un insondable horizon. La peau tendue sur les côtes, gît, inerte, sur un pagne plié en deux, une fillette de 10 ans environ. ‘Elle a de la fièvre’, rassure la maman, repoussant l’assaut des mouches.

‘Nous ne saurons pas où aller quand nous sortirons d’ici’

Chassées de leurs domiciles par les eaux, une quinzaine de familles a trouvé refuge à l’école élémentaire de Boune. Les conditions de vie y sont précaires. Pas d’électricité. L’eau, tirée du puits, doit être traitée au javel pour neutraliser les germes. Ici, la nappe est infestée de microbes.

La famille Dramé compte une vingtaine de membres. Elle vit depuis un mois dans une seule salle qui, à la rentrée, doit accueillir des élèves de Cm2. Tables et bancs ont été déplacés, empilés au fond de la salle pour faire plus de place. Les affaires sauvées des eaux sont entassées pêle-mêle. C’est essentiellement du linge et des ustensiles de cuisine. Deux matelas élimés sont posés par terre, sur lesquels trois ou quatre générations de sinistrés dorment chaque soir.

‘On se couche serrés les uns contre les autres’, décrit Khadidiatou Dramé, l’air désolé. La veuve d’une soixantaine d’années dit attendre un troisième matelas pour ‘plus de confort’. Les familles doivent pourtant bientôt libérer les salles de classe. Le 25 août au plus tard. ‘Elles ont signé une déclaration sur l’honneur avant d’être acceptées dans l’école’, rappelle Macoumba Thiam, instituteur.

En 2005, le premier passage des ‘sinistrés’ a laissé un mauvais souvenir dans l’établissement : W. C bouchés, cour impraticable et surtout une rentrée des classes différée. ‘Les familles ne voulaient pas quitter l’école’, se souvient encore M. Thiam. Cette année, la direction de l’établissement a pris les devants. ‘Les salles de classe doivent êtres évacuées avant octobre’, insiste le maître d’école.

Pourtant, l’équation de la rentrée est loin d’être résolue. ‘Nous ne savons pas où aller quand nous sortirons d’ici’, s’inquiète la veuve Dramé. Les familles qui squattent l’école élémentaire ont, pour la plupart, fui Djidah, un quartier situé sur la Route de Boune, inondé dès les premières pluies.

L’eau y est toujours abondante. ‘Ici, même la maison de Dieu est sinistrée, regardez’, signale Pape Dieng, pointant du doigt le minaret de la mosquée. L'exode des populations se poursuit. Hommes et femmes chargent leurs biens sur des charrettes. Un groupe de jeunes s’échine à faire démarrer une motopompe capricieuse. L’eau noirâtre leur arrive au genou. Pape Dieng joue les superviseurs. Causeur enragé, il déverse sa bile sur les autorités locales, introuvables depuis le début des inondations. ‘Personne n’est venu voir ce qui se passe ici’, peste le jeune homme, brandissant les factures de gasoil. Beaucoup d'habitants ont mis la main à la poche, de 25 à 1 000 F Cfa, selon les moyens, pour louer la motopompe et acheter du carburant.

Même pas une motopompe

A Gounass, une question ‘existentielle’ taraude Fatma, jeune femme à l’allure débrouillarde : ‘Comment aller aux toilettes quand les fosses septiques sont pleines ?’ Dans sa maison, trois pièces ont été vidées de leurs occupants. L’eau verdâtre et malodorante est partout : dans les chambres, le salon, les toilettes, la cuisine. Ici, la ‘marée’ a atteint des niveaux surprenants. Sur les murs, le tracé humide est à hauteur de poitrine. Le quartier est implanté dans une cuvette. Après la pluie, elle recueille les eaux de ruissellement des zones voisines. C’est un véritable cloaque. Toutes sortes de déchets y flottent.

Dans les ruelles étroites, sont disposées des planches en bois, des sacs de sable et autres blocs de pierre, jalons de fortune pour accéder aux maisons. Mme Dia joue les équilibristes, une calebasse sur la tête. Un seul faux-pas, et elle bascule dans l’eau fétide, avec ses provisions. Nous l’avons suivie. Sa maison, située à l’angle de la ruelle, ressemble à une petite mare. Un vieux magnétophone, des assiettes, des débris en plastique et divers objets flottent sous la véranda. L’eau, vert-de-grisée, dégage une odeur pestilentielle. Quand nous arrivons, vers 11 h, une partie de la famille est encore au lit, assoupie sous des moustiquaires, seule parade contre la malaria. Autour des lits, l'eau est encore à 15 cm de hauteur.

Le chef de famille, Amadou Dia, vieil instituteur, prie que le ciel accorde un moment de répit. Il est encore tombé quelques gouttes d’eau ce dimanche matin. ‘Nous attendons que le niveau de l’eau baisse alentour pour reprendre le travail’, dit-il. Dans un coin, sont rangés seaux et casseroles, maculés de boue, témoin d’un important effort de vidange mené la veille. ‘L’année passée, nous étions partis louer une maison, mais cette année, nous n’avons plus les moyens’, indique le directeur d’école, jeune retraité.

L’hivernage est la saison maudite chez les Dia. Le domicile jouxte un étang qui y déverse son trop plein. Juste derrière les mûrs détrempés, l’herbe pousse, épaisse et haute. Les crapauds y ont évidemment établi domicile et chantent toute la nuit, hantant le sommeil du voisinage. L’endroit serait aussi le repaire de bêtes féroces. Il y a quelque mois, informe-t–on, un garçon de 10-11ans s’est noyé dans l’étang. Le corps sans vie a été sorti des eaux après plusieurs heures de recherche.

Les sinistrés de Gounass ne baissent pas les bras. Ils se mobilisent. Quelques jeunes du quartier déchargent des pelletées de gravats. Chaque ménage a déboursé 500 F Cfa pour louer les brouettes. Le plan Orsec ? ‘Nous n’avons rien vu, même pas une motopompe’, s’indigne Mame Diarra Dieng, cernée de gamins ventrus, plutôt égayés par la tournure des évènements.

Un Réseau de volontaires des inondations

Le sentiment d’être ‘négligées’ est très répandu parmi les populations des zones inondées. A Gounass, Boune, Keur Massar, l’administration joue l'Arlésienne. En remplacement, des initiatives spontanées et souvent mal coordonnées. Curieusement, le gouvernement du Sénégal dit avoir dégagé une enveloppe de 2 milliards de francs Cfa pour organiser les secours dans la banlieue de Dakar. Cheikh Faye, fils du chef de quartier de Darou Salam (commune d’arrondissement de Wakhinane Nimzatt), a sa petite idée sur l’absence de soutien des autorités centrales : ‘C’est une sanction du gouvernement de l’alternance.’ Le motif ? Lors des élections municipales, les populations ont massivement voté pour l’opposition Benno Siggil Sénégal. Accolé à la grosse agglomération de Guédiawaye, Wakhinane Nimzatt présente le profil-type des zones périphériques de Dakar touchées de façon récurrente par les inondations. C’étaient pour la plupart des habitations spontanées qui se sont développées de façon vertigineuse, au mépris de toute règle d’urbanisme, sans souci d’assainissement.

Entre les ruelles de Darou Salam, serpente un caniveau creusé dans la boue. Il draine les eaux de pluie vers un marécage situé à la lisière du quartier. Cette tranchée a été réalisée par les soins de la municipalité. Devenu un égout public, le caniveau charrie une eau noirâtre, gorgée de matières douteuses, d’abats de poissons et autres ordures ménagères.

La municipalité a également créé un ‘Réseau de volontaires des inondations’. Un bataillon de jeunes, reconnaissables à leurs gilets lumineux, sillonne les rues pour édicter des mesures d’hygiène, sensibiliser aux risques d’infection et distribuer au besoin des moustiquaires imprégnées. Mais ce sont souvent les enfants qui sont les plus affectés par les inondations. Ils sont, paradoxalement, les plus insouciants. Le poste de santé de Wakhinane Nimzatt signale des cas de dermatose et de diarrhée chez les 5-12 ans. ‘Même si ce n’est pas encore le rush’, tempère l’infirmier, Mambaye Niang. Il faudra repasser en novembre pour estimer les ravages du paludisme... A chaque jour suffit sa peine.

Abdou Rahmane MBENGUE & Rémi BRANCATO (Stagiaire)



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