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RETOUR DES PELERINS DE LA MECQUE : Les folles dépenses du « nganalé »

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RETOUR DES PELERINS DE LA MECQUE : Les folles dépenses du « nganalé »

Subitement, un groupe de quatre personnes fait irruption sous la tente dressée devant cette maison à étages des Parcelles assainies à Dakar. L’une d’elles s’empare du micro et commence à dire des poèmes à la gloire du prophète Mouhamed (Psl). Ses compagnons reprennent en écho son rythme. L’animation augmente sous la tente qui se remplit au fur et à mesure. De la maison, sortent des femmes et des hommes d’un âge mûr, tous tirés à quatre épingles. Ici, les grands-boubous teints à la mode « ganila », un tissu qui fait fureur au Sénégal et sa proche sous-région, ont la côte. Leur « froufrou » ne dérange personne puisqu’il fait partie du décor.

La tente s’anime davantage. Elle est remplie de chaises. Au fur et à mesure que les animateurs religieux augmentent le timbre de leurs voix, hommes et femmes prennent place sur les chaises. Au milieu, une moquette multicolore est posée. 12 heures 30, une dame, un peu plus de la soixantaine, s’y dirige lentement. Elle est tout de blanc vêtue et accompagnée de deux femmes d’âge mûr, l’une portant une grosse carafe contenant sans doute de l’eau bénite, l’autre, de petits verres à l’ornement oriental. Ce samedi est jour de « nganalé » chez cette famille des Parcelles assainies, dans la banlieue dakaroise. Le terme est puisé de la langue nationale wolof. Il renvoie aux festivités qui marquent le retour La Mecque des pèlerins. « Une occasion de folles dépenses et de grandes ripailles », pour reprendre les propos d’Abdoulaye Fall, neveu d’une « Adja ». Un jour de communion religieuse et de « ziar », trouve Awa Mané, épouse d’un « El Hadj ». Le constat général, depuis la fin du mois de décembre et tout le long de ce mois de janvier, est que les « nganalé » font fureur actuellement dans le pays, comme nous avons pu nous en rendre compte durant nos investigations. Nombreuses sont les ruelles et rues où des tentes sont souvent dressées avec des haut-parleurs émettant des versets de Coran. Certaines d’entre ces manifestations prennent de plus en plus une tournure qui ne leur est pas assignée au départ.

Boeufs

D’importantes sommes d’argent sont, en effet, dépensées pour organiser ces accueils. Alpha Mbaye, témoigne en ces termes : « outre les deux millions Cfa que nous avions réservés pour le billet d’avion de ma mère, chaque membre de la famille a déboursé entre 50 et cent mille Cfa en fonction de son niveau de revenu, pour préparer le nganalé ». Cela fait un gros budget qui prend en charge, en dehors de l’achat d’un bœuf, les repas, la boisson et les autres dépenses diverses. Mme Alimatou Ndiaye ne semble guère gênée par de telles dépenses. « Où avez-vous vu une folle dépense ? Ces dépenses, elles sont normales. Si vous faites venir des gens chez vous, la moindre des choses est de leur donner à manger et à boire. Notre famille n’a fait que le nécessaire, sans aucune ostentation », déclare-t-elle, manifestement agacée. Et de poursuivre, sur le même ton : « nous sommes dans un pays où les gens ont des amis et des parents. Nous nous entraidons chaque jour. Et puis, La Mecque, ce n’est pas n’importe où. Si on a de l’argent pour y aller au nom de la religion, il faut aussi prévoir des festivités pour l’accueil. On n’est pas complexé, nous... ».

Comment alors expliquer cette forte propension à beaucoup dépenser dans ces « nganalé » ? Sociologue et enseignant à l’Université de Dakar, Djiby Diakhaté met de tels comportements dans le compte de ce qu’il appelle un « besoin de valorisation de son moi au niveau du groupe social ». Son analyse est que, de plus en plus, certains se rendent à La Mecque non pas pour des considérations canoniques, mais pour des besoins de prestige social. « En cela, ils rejoignent ce qu’Abraham Maslow appelle la satisfaction du besoin d’estime, c’est-à-dire que l’homme n’est pas uniquement dans une posture pour manger et boire, mais aussi dans une logique de valorisation de son moi au niveau du groupe », explique Djiby Diakhaté. Cadre moyen dans une entreprise de la place, ce pèlerin, confie sous le sceau de l’anonymat que : « il faut de l’argent. Car le pèlerinage, de bout en bout, c’est de l’argent. C’est une dimension que les gens oublient souvent ». Et alors ? « j’ai parlé en responsable à mon épouse qui a compris et a fait juste le nécessaire. L’ostentation, ce n’est pas mon fort. De toute façon, je n’ai pas besoin de montrer que je suis allé à La Mecque. La religion, c’est aussi une affaire personnelle », laisse entendre notre interlocuteur.

Astuces

Confidences de son épouse : « Je suis partie au marché des Hlm, à deux jours de son arrivée, acheter moins cher des produits comme l’encens, des foulards, des chapelets, qu’il a distribués aux parents. Notre expérience montre qu’il faut penser spécialement à tous ceux qui lui ont donné quelque chose avant de partir. C’est cela la pratique. » L’analyse d’une telle pratique fait dire à Djiby Diakhaté que le voyage à La Mecque est un phénomène intermédiaire rythmé par deux phénomènes externes. « Le premier est le tapage en amont appelé « taggu » pour montrer qu’il y a un élément du groupe qui va à La Mecque ; le deuxième est appelé tapage en aval avec l’arrivée ponctuée par des cérémonies festives », souligne le sociologue selon qui « nous sommes dans un contexte où tout voyage à La Mecque fait dans la discrétion signifie que l’acteur en question est incapable de mobiliser toutes les ressources nécessaires pour rendre visible au plan social cette exigence religieuse ».

Les femmes sont accusées d’être les principales organisatrices des « nganalé ». « Mon frère était zen, c’est son épouse qui a mis les choses en grand », peste un jeune frère d’un « El Hadj » dont le « nganalé » a débordé la semaine dernière. « C’est une pratique qui se développe de plus en plus en milieu urbain et périurbain avec la coprésence de groupes primaires différents qui sont dans une logique de compétition et qui font la promotion de certains de leurs membres. Cela passe souvent par plusieurs canaux », éclaire encore Djiby Diakhaté. De plus en plus, les festivités marquant le retour des pèlerins de La Mecque sont formalisées avec l’invitation de certains guides religieux et chefs traditionnels, en plus du recours à des restaurants traiteurs.

Ce qui donne une véritable allure de réception. « Nous sommes en face d’un brouillage des repères entretenus par les acteurs qui veulent se mettre en exergue », estime Djiby Diakhaté selon qui, dans l’imaginaire local, La Mecque, c’est aussi un espace de valorisation sociale.

ABDOUL AZIZ KEBE, ISLAMOLOGUE : « La conscience de Dieu ne s’exprime pas par le gaspillage »

« Il est tout à fait normal que les amis et parents de quelqu’un qui revient de La Mecque l’accueillent pour bénéficier de l’aura qu’il aurait apportée des lieux saints. C’est une manière de chercher la baraka qui émane des lieux saints et que transmettrait la personne qui en revient. Il y a donc un bénéfice que les gens recherchent dans un tel accueil.

Il y a une époque lointaine où le voyage à La Mecque durait près ou plus d’un an. Donc, c’était tout à fait normal pour quelqu’un qui a quitté famille et parents pendant tout ce moment, et qui est revenu sain et sauf d’un périple où il y avait des dangers, que les gens organisent une cérémonie pour remercier Dieu de l’avoir fait revenir sain et sauf. Dans un contexte où le voyage ne dure, au pire des cas, qu’un mois, il n’est pas nécessaire de procéder aux festivités telles qu’on le fait actuellement. Je ne vois pas pourquoi on étalerait autant de richesses pour accueillir quelqu’un qui était là parmi nous, il y a seulement un mois. Sur un autre niveau, il faut voir que le gaspillage est interdit par l’islam. Dieu dit dans le Coran qu’Il n’aime pas ceux qui gaspillent. Il dit que ceux qui gaspillent leur argent sont, en vérité, des alliés de satan. Il dit même que ce sont des frères de satan. Or, il y a beaucoup de gaspillages dans la façon dont les pèlerins sont accueillis de nos jours. Il y a aussi beaucoup d’ostentation. C’est une manière de montrer le statut que l’on a dans la société par rapport au symbole de richesse, à celui de l’avoir et à celui aussi du pouvoir. L’avoir et le pouvoir sont les ciments du tissu relationnel que l’on a au niveau des personnes qui décident, qui pèsent lourd dans la société et qui viennent lors du « nganalé ».

Or ces deux éléments, l’avoir et le pouvoir ne sont pas considérés dans le domaine de la religion. Ce qui est pris en compte dans la religion, c’est la piété, la conscience de Dieu. On ne peut pas exprimer la conscience de Dieu ni par le gaspillage, ni par le voyez-moi, c’est-à-dire par l’exhibitionnisme de l’avoir ou du pouvoir. La société sénégalaise extériorise non pas les valeurs, mais des symboles de l’appartenance à un clan, à un courant de pensée, à une société qui gagne et qui a de l’argent. Ce sont des symboles et ces derniers n’emportent pas toujours les valeurs. L’Islam, la religion pour laquelle les gens sont allés à La Mecque, met en priorité les valeurs plus que les symboles. Or les valeurs, on les intériorise et cela transparaît dans les actes. Et ce que l’on voit lors de ces « nganalé » nous montre que ce qui transparaît n’a rien à voir avec les valeurs qu’enseigne l’Islam Il y a même des réceptions où on a battu le tam-tams et dansé. En vérité, la société sénégalaise fait de l’amalgame. Il y a beaucoup de confusion dans les genres. C’est-à-dire que la frontière entre le religieux et le profane n’est pas très claire au niveau de la tête des gens. C’est comme si on respecte le religieux pour entretenir le profane. C’est aussi comme si le Sénégalais ou la Sénégalaise se sentait mieux dans sa tradition profane que dans sa religion. Et, même s’il respecte les principes de sa religion, c’est pour qu’en retour cela lui donne une autre dimension au niveau de la société et de la tradition sociale.

Maintenant, quand on bat le tam-tam dans les « nganalé », il faut dire que c’est excessivement grave. Cela montre que la confusion est excessive au niveau de la mentalité des Sénégalais ».

Un reportage de SADIBOU MARONE et Amadou Maguette NDAW (Stagiaire)



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