Rite initiatique de KARTHIAK : Le chemin vers l’accomplissement de l’homme Diola

Depuis le mois de février dernier, période de l’annonce de la rentrée des initiés de Karthiak dans le bois sacré, les populations de Karthiak, dans le département de Bignona (Région de Ziguinchor), les ressortissants de cette localité, au Sénégal tout comme à l’extérieur du pays, les alliés et les autorités du pays n’ont de cesse de préparer l’événement. C’est finalement le samedi 22 septembre dernier que les initiés ont franchi le seuil des quatre bois sacrés de Karthiak pour un séjour d’une semaine. Une épreuve redoutable et obligatoire qui permet l’accomplissement de l’initié dans le système d’apprentissage des valeurs sociétales du Diola. La célébration des rites initiatiques en milieu diola mobilise toute la communauté, qu’elle soit Kassa, Fogny, Blouf, etc. Le Bukut de Karthiak n’a pas dérogé à la règle. Elle a mobilisé, malgré une semaine très pluvieuse, des milliers de personnes venues accompagner les initiés dans cette redoutable épreuve. 

A la gare routière de Bignona, tous les chemins mènent à Karthiak, en cette matinée du 21 septembre, veille de la rentrée dans les bois des initiés. Ce village de l’arrondissement de Tendouck, à deux jours de la date du 22 septembre, a fini de refuser du monde. Et ce n’est ni la distance, ni les pluies intermittentes, ni cette foule opaque qui ont émoussé ce désir des parents et autres alliés à vivre cet événement dont la périodicité peut dépasser les vingt ans, d’autant que les derniers rites se sont déroulés respectivement en 1979, 1949, 1928 et 1906, à en croire Alpha Diatta, un des sages de Diatoumboune, un quartier de Kartiack. Cette effervescence en cette journée de vendredi s’explique d’une part, par les dernières cérémonies de tondaison dans les quartiers du village, mais aussi par la cérémonie officielle d’ouverture du Bukut, notamment avec la présence des autorités, comme le gouverneur Cheikh Tidiane Dieng qui avait à ses côtés le président du Conseil régional, Lamine Sagna, et le ministre conseiller Amsatou Sow Sidibé qui a représenté le chef de l’Etat en compagnie de son homologue Benoît Sambou.

Accompagnement des autorités 

D’ailleurs, lors du grand rassemblement qui a servi d’accueil pour les autorités, le représentant du chef de l’Etat, Mme Sidibé, a réaffirmé les assurances que l’Etat sera toujours aux côtés des populations de la Casamance pour réaliser la croissance économique du pays, dans la concorde des cœurs et des esprits. « Sans la paix, nous le savons, rien n’est possible », note-t-elle, avant de formuler des prières à l’endroit des milliers de futurs initiés qui vont rentrer dans les bois. Sur sa lancée, le président du Conseil régional de Ziguinchor, Lamine Sagna, a demandé aux populations de la Casamance de méditer davantage, lors de cet événement, sur les vertus cardinales de paix, de pardon et de réconciliation que les ancêtres ont si généreusement cultivées et transmises sous forme de legs fondant le socle sur lequel sont assis la stabilité et la solidarité de notre peuple. 

Les populations de Karthiak, à travers Sounkarou Diatta, plus connu sous le sobriquet de « Bauger ou bossé selon votre convenance », ont remercié les autorités qui ont soutenu financièrement et matériellement le village de Karthiak.Des rites à l’épreuve de la modernité Rappelons qu’outre les enveloppes remises par les présidents Wade et Sall lors des audiences accordées aux ressortissants de Karthiak, 20 tonnes de riz et 10 millions de FCfa ont été remis en soutien aux organisateurs du Bukut. Le soutien s’est aussi matérialisé sous forme de remise de médicaments et de l’installation de robinets… Les quatre bois n’ont pas suffi à absorber tous les initiés. 

Il est difficile, quasi impossible, de contrôler et de suivre tout le processus d’entrée des initiés dans les bois de Karthiak compte tenu de la grandeur du village qui, au même titre que certaines localités du Blouf, peut être érigé valablement, à l’image de Thionck Essyl, en commune d’arrondissement. 1906, 1928, 1949, 1979, 2012, aussi longtemps que cette pratique du Bukut a duré dans le temps, les sages de Karthiak ne se rappellent que des cinq dernières éditions. Et jusqu’en 1949, le séjour dans le bois sacré lors d’une cérémonie de « Bukut » durait trois mois et deux semaines. 

Depuis lors, les temps ont changé et les organisateurs des rites initiatiques sont obligés de se conformer aux nouvelles dispositions imposées par la modernité pour organiser les rites dans une période limite de 7 voire 10 jours. L’école, l’emploi salarié et les autres contraintes qui échappent au fonctionnement sociétal de la localité de Karthiak ont imposé des réformes à l’organisation des rites diolas. Le nombre impressionnant des futurs initiés a fait que l’entrée dans les bois sacrés s’est faite en plusieurs jours. La capacité d’accueil des bois a été largement dépassée par les initiés venus des quatre coins du monde. C’est pourquoi, pendant les deux premiers jours et les derniers jours du séjour dans les bois, il a été recensé plusieurs mouvements d’entrée et de sortie d’initiés. Quatre grands bois ont été recensés dans la localité de Karthiak. 

Il s’agit d’abord du bois ou « Kareng Bouamouk », du nom de son créateur Baoumouk Diédhiou de Diatoumboune. Ce bois recueille aussi une famille Diatta du quartier Diongotte. Le second bois est le « Kareng de Diatoumboune » du nom du quartier. Le premier bois cité est celui qui enclenche généralement le processus d’entrée des initiés dans le bois. Lors du Bukut de 2012, les initiés de Baoumouk ont été les premiers à rentrer dans leur bois en même temps qu’une personne de la famille Badji (responsable de la forêt) dans le bois de Diatoumboune.

 Le troisième bois, le « Kareng Betek » est une création du vieux Betek de la famille Goudiaby. La famille Goudiaby n’est pas la seule concernée par ce bois sacré. On y dénombre, les familles Diédhiou et Sadio. Enfin, le dernier bois sacré est celui du « Kareng Dianiak ». Il regroupe plusieurs familles. Cette forêt appartient à la famille Sadio. La majorité des familles vivant à Diongotte envoie leurs enfants dans ce bois. Dans l’édition 2012 du Bukut de Karthiak, avant 17 h 30, tous les bois sacrés ont accueilli leurs pensionnaires qui ont séjourné dans les bois pendant huit jours.