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SÉNÉGAL: Les enfants déplacés de Casamance en mal d'avenir

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SÉNÉGAL: Les enfants déplacés de Casamance en mal d'avenir
Cet article ne reflète pas nécessairement les vues des Nations Unies


©  Pierre Holtz/IRIN

Les familles déplacées par le conflit casamançais s’entassent dans des petites maisons de terre, sans espoir de retour vers leurs terres natales, minées par les combattants.

ZIGUINCHOR, (IRIN) - Avoir une maison où s'abriter, un cartable pour ses cahiers et un ballon pour jouer: les rêves des enfants de Casamance, au sud du Sénégal, ressemblent à ceux de leurs parents, des milliers de familles, sans revenus ni domicile fixes, déplacées par un conflit qui dure depuis plus de vingt ans.

Des dizaines de milliers de personnes, dont une majorité d'enfants, vivent dans la banlieue de Ziguinchor, la principale ville de Casamance, entassées dans des petites maisons de terre recouvertes de tôle rouillée depuis longtemps perméable à la pluie.

Le quartier de Néma 2, construit à la hâte sur la route principale qui mène à la Guinée Bissau, 10 km plus au sud, abrite 23 000 personnes. L'habitat est spontané, sans égouts ni latrines, sans eau ni électricité ; l'école est bondée et les enfants doivent mendier ou faire du petit commerce pour améliorer le quotidien des familles.

«Les enfants sont les principales victimes du conflit casaman¬çais, ils manquent de tout, notamment de papiers d'identité, et sont mis au travail dans la rue de plus en plus tôt», note le docteur Albert Preira, du Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) à Ziguinchor.

Après des années d'errance, d'abris de fortune en colocations, les 13 membres de la famille Mané, dont huit enfants, ont fini par s'installer dans une de ces maisons de Néma 2, prêtée par un ami.

Le couple Mané a fui son village, près de la frontière guinéenne, en 1986 après sa destruction par les combattants du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), une rébellion séparatiste née en 1982 et qui demeure toujours active, recrutant toujours plus de combattants au sein de cette région riche, enclavée entre la Gambie et la Guinée Bissau.

Selon les estimations des Nations unies, plus de 60 000 personnes ont dû quitter leur village ou leur quartier depuis le déclenchement du conflit; des familles viennent régulièrement grossir les rangs des sans-abris et rares sont celles qui retournent dans leur village. Des milliers de personnes sont encore réfugiées dans les pays voisins, des chiffres qui varient en fonction de l'intensité des affrontements et de la régularité des attaques.

Fatou Mané a quitté son village il y a 20 ans, incendié par les rebelles du MFDC. Elle n’espère plus y retourner.


Enceinte de son onzième enfant, Fatou Mané continue de se rendre dans les champs, pour trouver des fruits et ramasser du bois, malgré les mines disséminées depuis dix ans par les combattants. Pour elle, comme pour beaucoup de familles déplacées de Néma 2, il n'est pas question que les enfants traînent dans les rues: leur place est à l'école.

Les enfants échouent dans la rue, faute de mieux

C'est aussi la première préoccupation de Mawdé Baldé, une femme de 55 ans, mère de 10 enfants, dont la maison abrite 22 personnes. «Qu'ils continuent d'aller à l'école, c'est le plus important», dit-elle, avouant que «des fois [elle est] obligée d'emmener les enfants mendier».

Malgré les violences, les déplacements réguliers des populations, la paupérisation et la dislocation des familles, la région de Ziguinchor, et la Casamance en général, ont toujours eu les taux de scolarisation les plus élevés du pays, avec des taux d'occupation des classes dépassant les 100 pour cent, remarque le docteur Preira.

En moyenne, le taux de scolarisation est estimé à 60 pour cent au Sénégal, contre plus de 90 pour cent en Casamance, selon les Nations unies.

«Les enfants font parfois des kilomètres pour venir étudier, ils sont scolarisés dans les endroits o¬ù les familles ont pu s'installer, fuyant les combats ou les mines», explique-t-il. Les mines anti-personnelles font en moyenne 20 victimes par an, un quart d'entre elles sont des enfants.

Les familles déplacées de Ziguinchor ont néanmoins de plus en plus de mal à offrir les fournitures scolaires, les uniformes et les repas à leurs enfants, ainsi qu'à s'acquitter des 2 500 francs CFA (cinq dollars) de frais de scolarité annuels exigés par l'éducation nationale.

«Compte tenu du nombre d'enfants et de la pauvreté liée à la guerre, nous rencontrons de plus en plus de situations difficiles, des enfants mis au travail très tôt, autour de cinq ans, des petits qui mendient, qui font des travaux domestiques ou qui traînent autour des cantonnements militaires», constate le docteur Preira.

Environ 700 enfants erraient dans les rues de Ziguinchor en 2005, sur une population d'environ 250 000 habitants, selon l'Unicef. Le revenu moyen d'une famille déplacée vivant à Ziguinchor excède rarement les 40 dollars par mois.

La municipalité n’a aucun moyen pour répondre aux besoins des enfants en situation vulnérable vivant dans le quartier de Nema 2.


«Ce sont des situations très préoccupantes: quand il y a trop de problèmes, la famille abandonne et les enfants se retrouvent seuls. Il est alors très difficile de les sortir de là, parce qu'ils n'ont pas de quoi manger chez eux ou dans la famille d'accueil. Ils vivent près des casernes, ils fréquentent les camps ou le maquis et sont parfois utilisés comme indicateurs», poursuit le médecin.

Ces enfants en situation difficile quitteraient plus facilement l'école que les autres, admet-il, une situation aggravée par un suivi scolaire défaillant dû à des établissements bondés, les effectifs dépassant 100 enfants par classe.

Selon les acteurs locaux, le nombre d'écoles toujours fermées est bien supérieur au nombre d'établissements ouverts et sécurisés.

«Le problème principal des enfants, c'est trouver un endroit pour étudier», renchérit Oumar Diatta, le directeur du Centre public de sauvegarde, un établissement sans moyens censé accueillir les enfants en situation difficile. «Nos enfants veulent étudier, mais ils ne savent pas où aller.»

Des méthodes alternatives pour suppléer l'Etat

Pour répondre aux besoins des populations démunies de Néma 2, les habitants du quartier, organisés au sein de l'association ASFATE, ont mis en place, avec l'appui de l'ONG internationale Enda, l'un des quatre écoles dites 'alternatives' de la ville: depuis 1996, 150 à 200 enfants de Néma 2 sont scolarisés chaque année, et gratuitement, dans trois classes du primaire, suivant une méthode reconnue par l'Etat sénégalais.

Les ‘écoles alternatives’, mises en place par des associations locales, permettent à 200 enfants vulnérables d’aller à l’école chaque année.


«Nous avons beaucoup d'enfants qui ont quitté les écoles des villages pour venir se réfugier en ville ; dans leur fuite, ils ont perdu leurs papiers d'identité ou n'en ont jamais eu, ils sont renvoyés de l'école ou ils l'ont abandonnée, faute d'argent pour se nourrir et s'habiller», explique Marcel Myafouna, le président bénévole d'ASFATE.

Par conséquent, des adolescents de 15 ans côtoient des enfants de huit ans, certains reprenant une scolarité interrompue cinq ans auparavant. Mais cela fonctionne: près de 300 enfants ont pu ainsi poursuivre leurs études dans le secondaire, et beaucoup passent chaque année leur examen d'entrée en sixième.

L'accès à un extrait de naissance, des micro-projets pour permettre aux mères de gagner un peu d'argent et une sensibilisation aux droits fondamentaux de l'enfant et aux pires formes de travail, achèvent de convaincre les familles, ajoute M. Myafouna, qui admet pourtant ne pas répondre «à tous les besoins», notamment alimentaires.

«Nous voulons être des gens qui assumons nos responsabilités, nous voulons avoir une bonne éducation», soutient un adolescent scolarisé à l'école alternative, quatre bâtiments flambant neufs entourant une cour en sable. «Nous avons durement travaillé toute l'année parce que nous voulons aller au collège comme nos camarades du même âge», ajoute Honorine, 15 ans.

Sans ces initiatives communautaires, et l'intervention de quelques ONG et agences des Nations unies, les populations déplacées ne pourraient faire face à la dégradation accélérée de leurs conditions de vie, constate l'adjoint au maire de Ziguinchor, Moustapha Diédhou.

«La mairie n'a aucun moyen, nous avons perdu la moitié de nos recettes avec la fermeture des entreprises et nous n'avons jamais rien reçu de l'Etat malgré nos appels répétés», explique-t-il. «C'est comme la négation d'une crise qui existe bel et bien: la population de Ziguinchor est montée en flèche, l'économie s'est effondrée et prendre en charge les déplacés est impossible.»

Pour Moustapha Diédhou, la situation est loin d'être réglée. «Il n'y a aucune sécurité dans les campagnes, la population de Casamance souffre et nous ne voyons pas les prémisses d'une paix durable», malgré les accords de paix signés en décembre 2004 entre le gouvernement et le mouvement indépendantiste -- et sans cesse malmenés, notamment depuis l'intervention de l'armée bissau-guinéenne en mars 2006.

Faute de pouvoir répondre aux besoins croissants des habitants de la ville et des alentours, le responsable municipal appelle à la sécurisation des champs, seules sources de revenus, avec la pêche, des populations casamançaises. «Le déminage est devenu une nécessité, les organisations humanitaires doivent continuer à nous aider pour qu'enfin les gens puissent rentrer chez eux.»



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