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Sénégalais d’Espagne : : du rêve d’Eldorado à l’enfer au quotidien

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Sénégalais d’Espagne : : du rêve d’Eldorado à l’enfer au quotidien

Lundi 23 juin 2008, 12 heures, le soleil darde ses rayons sur Madrid, la capitale espagnole. À côté d’un rond-point, trois jeunes font semblant de tailler bavette. Munis de sacs à dos, tous sont des émigrés sénégalais, tous avaient le rêve d’atteindre le paradis terrestre en débarquant en Espagne, mais tous portent le masque des mauvais jours. Du fait d’un espoir de départ ayant viré à l’abattement. Avec l’air d’un éternel fugitif, les aventuriers, comme piqués par le virus de la bougeotte, font des va-et-vient et flairent le moindre mouvement des policiers. Qui, dans leur opération de routine quotidienne, traquent les marchands ambulants constitués d’émigrés. Interpellé sur leurs activités au terme des salutations d’usage, Cheikh Diop, originaire de Rufisque, 32 ans, la mine froissée, le regard sombre, raconte : «En quittant ma ville, en septembre 2006, j’avais pris les pirogues, avec l’espoir de faire fortune en Espagne. Ici, je vends des articles parce que je n’ai aucun autre boulot à faire».

Vêtu d’un tee-shirt trempé de sueur, l’aventurier poursuit : «Malheureusement, au fil des jours, mon rêve ne cesse de voler en éclats, parce qu’au lieu d’amasser beaucoup d’argent, je tente quotidiennement de tirer le diable par la queue, mais en vain». L’air évasif, il insiste: «Chaque jour, du matin au crépuscule, je suis à pied d’œuvre à la recherche de mon gagne-pain, mais souvent, je rentre bredouille». Quid de son chiffre d’affaires mensuel ? Kheuch, comme l’appellent affectueusement ses amis, explique : «Ici, tout est aléatoire. Le seul bénéfice que j’ai actuellement, c’est de ne pas être embarqué dans le panier à salade des policiers. D’ailleurs, c’est la prière que je formule à l’endroit du Seigneur, quand je quitte chaque matin mon domicile».

Réticent au début de la conversation, son voisin d’à côté, Issa Lô (c’est un nom d’emprunt), consent à lâcher: «Lorsque la police débarque, nous n’avons qu’une solution : prendre la clé des champs et abandonner nos articles sur les lieux. Mais, si quelqu’un a la malchance d’être alpagué, on lui commet d’office un avocat». Et d’ajouter : «Une fois dans les locaux du commissariat, l’émigré peut nier la propriété de la marchandise saisie, mais l’avocat tente souvent de le convaincre, afin qu’il accepte de passer aux aveux. Seule condition pour négocier sa libération subordonnée à la présentation hebdomadaire de la personne arrêtée dans les locaux de la Police pour émarger». Toutefois, précise Issa Lô, «si quelqu’un reste deux semaines sans aller apposer sa signature, les limiers vont à sa recherche et s’ils le trouvent, il est immédiatement expulsé». Pour compléter les explications de son camarade, Cheikh Diop reprend la parole et martèle : «Même si après sa libération l’émigré se rend au commissariat pour signer, il n’en demeure pas moins que s’il récidive, il est jeté en prison pendant six jours avant d’être embarqué pour l’aéroport». Mais, en dépit de tout cela, Kheuch et ses amis sont contraints de braver l’interdiction des autorités espagnoles pour survivre. Car, privés de documents administratifs leur permettant de décrocher un contrat de travail dans les usines ou dans les champs, les jeunes n’ont pas d’autre alternative que la course-poursuite quotidienne avec les flics. Et les plus frileux n’ont aucune chance de tirer leur épingle du jeu.

Au quartier sénégalais de Madrid, le regard est rouge

Si Dakar compte de populeux quartiers, Madrid peut se targuer d’avoir en son sein une forte agglomération dénommée Quartier sénégalais. 14 heures, à côté d’un célèbre restaurant tenu par un Sénégalais, les lieux bourdonnent de dizaines de jeunes, qui rongent leurs freins dans un vaste terrain. Par petits groupes et engagés dans des discussions de toutes sortes, nos compatriotes font profil bas, baissent la tête et refusent même de répondre à la moindre salutation de «l’intrus», surtout quand ils savent que c’est un journaliste. Tous sont habités par la même crainte : franchir le seuil de leurs maisons pour écouler leurs articles. Tous attendent jusqu’à 20 heures, à la fin du service des policiers municipaux, pour tenter de vendre quelques Cd ou autres vêtements dans les rues.

Malheureusement, là aussi, leur commerce ne dure que le temps d’un éclair, parce que, dès 21 heures, d’autres flics prennent la relève de leurs collègues et c’est encore la débandade au sein des émigrés. Pire, à en croire les témoignages d’un ancien cameraman d’une télévision de la place (Ndlr : il n’est pas un émigré clandestin et ne vit pas non plus les affres de nos compatriotes), plusieurs jeunes se retrouvent dans l’incapacité de payer leur loyer ou de manger à leur faim. D’autant qu’il faut casquer entre 800 et 900 euros, pour obtenir un appartement, alors que les chiffres d’affaires mensuels des plus nantis des émigrés trouvés dans ce quartier sénégalais oscillent entre 100 et 200 euros.

 Prière commune pour aventuriers désabusés

Comme s’ils avaient signé un bail avec le mal-vivre généralisé, les émigrés de Terrassa souffrent également le martyre. Taille moyenne, teint noir et fagoté, Mbaye Bâ, les paupières alourdies par un manque de sommeil, estime que des prières nationales doivent être organisées sur toute l’étendue du Sénégal, afin que l’horizon plus que bouché de ses camarades s’éclaircisse. «Nous avons un pied en Espagne et un autre au Sénégal, puisque nous sommes obligés de nous atteler à la vente d’articles interdits, pour pouvoir survivre», déclare-t-il. La conscience visiblement déchirée par une survie aléatoire, Mbaye Bâ jure sur tous les saints qu’il retournerait au Sénégal, si la première opportunité se présentait à lui. Et, désireux de convaincre son interlocuteur, il soutient : «Si je bénéficie des fameux projets de retour promis par les autorités espagnoles, je rentre chez moi, car il y a un grand fossé entre mes espérances de 2006 et la réalité du terrain». Comme s’ils s’étaient passé le mot, Baba Sylla, la cinquantaine, et Youssou Fall, prient afin que soient traduites en actes concrets les tentatives du ministre des Mines, de l’Industrie et des Pme, Ousmane Ngom, de convaincre les autorités espagnoles à financer le retour au bercail des émigrés. «En voilà au moins quelqu’un qui s’intéresse à notre triste sort, loin de la politique politicienne», disent-ils. Car, pour Youssou Fall, «non seulement Ousmane Ngom cherche à sauver les émigrés, mais également il a tout fait pour nous apporter ici des agents chargés de nous confectionner des passeports, sans lesquels nous ne pourrions prétendre à un contrat de travail dans les usines». Suffisant pour que Mbaye Bâ revienne à la charge, pour solliciter que tous ses camarades souhaitent longue vie à Ousmane Ngom.

Terrassa, summum de la détresse

Pendant que notre conversation se poursuit devant l’hôtel qui fait face au célèbre centre commercial El Corte, Mbaye Bâ pointe du doigt un de nos compatriotes, qui fouille dans une poubelle, à la quête de quoi se mettre sous la dent. Harcelé par la faim, le compatriote, dont le sort est subordonné aux restes des repas espagnols, a environ 32 ans, mais il semble en avoir 14 de plus. Face à cette scène, qui garde toute sa part d’insolite, Ndiaga Niang, un autre émigré, soutient que beaucoup de nos compatriotes vivent ainsi. «Je connais des compatriotes, qui ne mangent qu’un seul repas par jour, parce qu’ils n’en ont pas les moyens», révèle-t-il. Avant d’ajouter : «Regardez. Tous ces jeunes qui somnolent sous cet arbre sont rongés par la faim. Chaque jour, ces compatriotes déprimés investissent les lieux, pour scruter quelques pièces de la part de rares généreux clients de l’hôtel». Malheureusement, comme si dame nature avait décidé de resserrer davantage l’étau sur eux, les aventuriers sont concurrencés par certains Espagnols mendiants. Et, l’on n’a pas encore fini d’épiloguer sur le mal-vivre de ce groupe de jeunes massés devant l’hôtel, qu’un homme, victime d’une dépression surgit. Selon les témoignages concordants de certains émigrés, le bonhomme est tombé dans la déchéance à cause de la pauvreté. «C’est après un séjour de plus d’un an en Espagne, qu’il a commencé à perdre ses esprits et à plonger dans cette déchéance», nous explique-t-on.

Entre concubinage, prostitution et grossesse, les filles des champs defraises jouent et perdent

Les témoignages sur les jeunes filles qui avaient déserté les champs pour la récolte de fraises donnent le tournis. À écouter des présidents d’Associations d’émigrés, sous le couvert de l’anonymat, on tombe des nues. Certes, il y a eu des filles, qui ont fait l’objet de viols de la part des propriétaires des champs de fraises, mais il y a aussi certaines d’entre elles qui ont, de façon libre et consciente, décidé de s’offrir à ces derniers. En effet, expliquent les patrons desdites Associations : «Ce qui s’est passé est plus terrible que la prostitution car, celles qui avaient choisi de rester en Espagne, au terme de leurs contrats, avaient pensé qu’en ayant un enfant avec un Espagnol, elles pourraient facilement obtenir un permis de séjour. Ainsi, elles auraient un bon boulot et quitteraient leurs conjoints», narre un président d’Association. Qui ajoute : «Mais mal leur en a pris, parce que certaines filles, qui se sont donné aux Espagnols ont fait l’apprentissage de la déception». Et de révéler : «J’ai personnellement hébergé une fille qui avait fini par contracter une grossesse et quand je m’en suis rendu compte, j’étais obligé de continuer de la garder chez moi, jusqu’à ce qu’elle se lève un bon jour, pour me dire qu’elle avait trouvé un autre toit. Des cas comme cela, il y en a à gogo». Et, pour conforter les révélations de son «collègue», un autre président d’Association confie : «les Espagnols ont bon dos, mais je connais deux filles, qui, après avoir pris la poudre d’escampette dans les champs de fraises, n’ont rien trouvé de mieux à faire que d’être hébergées par des Nigérians. Après investigations, je me suis rendu compte que les fugitives vivaient en concubinage avec ces frères africains, qui les faisaient chanter, comme bon leur semble. Ce qui est plus ahurissant, c’est que ces bourreaux ne se gênaient pas d’aller raconter les moments d’intimité qu’ils avaient avec les filles sénégalaises», regrette-t-il du haut de ses 65 ans.

Mieux, pour convaincre les plus sceptiques, le sexagénaire renchérit : «Je suis plus proche de la mort que de la vie, donc, il n’y a rien qui puisse m’obliger à te raconter des balivernes». Il poursuit pour le regretter : «Seulement, les filles issues des champs de fraises ont administré un sacré coup à l’image de la gent féminine».  

«De grâce, que Wade arrête de nous tympaniser avec la Goana, sinon qu’il envoie Karim labourer les champs»

Même si des émigrés sont écartelés entre le rêve de bénéficier d’un financement avec les fonds promis par les autorités espagnoles, afin de retourner au bercail et celui d’obtenir un premier emploi en Espagne, il n’en demeure pas moins que certains de nos compatriotes étouffent de rage à l’idée de voir quelqu’un disserter sur la Goana. Autour d’une table devant un célèbre bar-restaurant situé en face de la municipalité de Materro, quatre émigrés sirotent paisiblement leurs verres.Parmi eux, un ancien membre de la Pépinière des cadres libéraux. Son nom : Cheikh Yankhoub, 34 ans, actuellement, inscrit en Master dans un Institut espagnol.

Sanglé dans un ensemble costume noir, il s’énerve lorsqu’il évoque la déception grandiose qu’il a piquée du règne du président de la République. «Que veut Me Wade ? Dites-le-moi, s’il vous plaît ! après avoir promis le paradis aux jeunes, il les a plongés en enfer». Avant de poursuivre : «S’il n’est pas convaincu de l’impertinence de son idée de Goana, Wade a le libre loisir de convaincre Karim Wade, qui n’a jamais connu les affres des champs d’aller labourer la terre». Très remonté contre le locataire du Palais, il ajoute : «Conscient de son incapacité à répondre aux besoins des populations, Wade tente de divertir les Sénégalais, mais il n’a qu’à arrêter son jeu de mauvais goût au Sénégal. Ici, nous avons d’autres chats à fouetter».

Originaire de Ziguinchor, Albert Badji peste contre tout : «S’ils ont la certitude de relancer l’agriculture, Wade et sa pléthore de ministres n’ont qu’à aider nos parents paysans, en leur offrant des semences et des engrais en quantité et en qualité. Tout comme, s’il a de l’argent, qu’il fasse tout pour que cessent les coupures intempestives d’électricité et que baissent les prix des denrées de première nécessité. C’est du bluff», tranche-t-il. De passage sur les lieux de la contestation, un compatriote, venu à la mairie de Materro, dans l’espoir de trouver sur les lieux l’équipe mobile déplacée de Dakar par le ministre des Mines, afin de doter les émigrés de passeports, s’arrête, écoute religieusement nos échanges puis déclare : «S’il vous plaît, est-ce que je peux donner mon avis sur la Goana ?». Dans un mélange de wolof et de français, le bonhomme se fend d’une commission : «De grâce, dites au Président des nouveaux riches de nous laisser en paix. Qu’il arrête de nous tympaniser avec cette idée illusionniste, car nous n’avons rien à cirer avec sa fameuse Goana. Mon père, mon grand-père, mes aïeux ont toujours cultivé la terre, en vain. Et, lorsque nous avons pris la relève, nous nous sommes aussi enfoncés dans l’abîme. Pendant ce temps, Karim Wade poursuivait ses études en Europe».

Ex-enseignante dans une école privée de Dakar, une fille qui préfère garder l’anonymat, soutient que, même torturée, elle ne quitterait jamais l’Espagne pour allonger les rangs des jeunes déprimés. «Je compte rester ici, quitte à y mourir. Je ne retournerai au Sénégal que si j’amasse une fortune qui me permette d’ouvrir ma propre école élémentaire. J’adore le métier d’instituteur. Certes, avant de tenter l’aventure espagnole, j’avais réussi à obtenir un Certificat d’aptitude pédagogique, mais avec Wade, la profession ne nourrit plus personne, parce qu’au lieu de s’occuper de l’école, il passe tout son temps à faire de la politique».

Les côtés pile et face de l’Espagne

27 juin 2008, le crépuscule s’abat sur la ville de Terrassa. Les rues bruissent de monde, de rutilantes voitures empruntent les principales artères de la mythique ville, où la discipline semble érigée en règle d’or chez les conducteurs de véhicules. Pas de klaxons ni de feux brûlés par les chauffeurs encore moins de querelles d’enfants gâtés, pour se disputer le passage. Pourtant, curieusement, il n’y a pas l’ombre d’un seul policier chargé de veiller à la circulation. Ce serait d’ailleurs pédaler dans le néant pour ces hommes de tenue, car les Espagnols sont très disciplinés. Ils n’ont pas besoin de se faire tirer les oreilles, pour se conformer aux règles en vigueur. Tout comme les citoyens espagnols ne jettent jamais le moindre objet dans les rues, qui, on ne sait par quelle magie, sont propres. Preuve symptomatique de cette discipline : à quelques jets de pierres d’un feu rouge situé à côté de l’hôtel …, une femme du troisième âge se promène avec un chien, un sachet à la main. Et le visiteur, qui débarque, pour la première fois, chez Zapaterro, jurerait sur tous les saints que la vieille va au marché pour faire ses provisions. Que nenni ! Car le sachet sert à ramasser les excréments du cabot.

L’Espagne, c’est aussi une oasis de liberté pour les jeunes tourtereaux. De Madrid à Valencia en passant par Terrassa et Materro, on flirte au vu et au su de tous. Aux arrêts des bus, dans les restaurants, le fait attire l’attention du visiteur qui débarque en terre espagnole. Et les homosexuels jouent pleinement leur partition. Ils s’embrassent, sans scrupule, en pleine rue, parce que la loi espagnole ne l’interdit pas. Aussi, devant les bars, des racoleurs n’hésitent pas à apostropher les passants, pour leur proposer les services d’une clientèle variée. Si certaines prostituées font le pied de grue devant les hôtels, d’autres par contre, attendent patiemment dans leurs véhicules, qu’un client sollicite leurs services. Autant dire que l’Espagne, à l’image de son beau relief accidenté, est un pays à multiples facettes.



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