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Témoignages d'un jeune clandestin Sénégalais : Mamadou NDOYE raconte sa misère en Espagne

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Témoignages d'un jeune clandestin Sénégalais : Mamadou NDOYE raconte sa misère en Espagne

Si c’était à refaire, il ne serait pas de l’aventure. Arrivé en Espagne au mois de mars dernier à l’aide d’une pirogue, Mamadou Ndoye n’a pas mis du temps pour découvrir les rigueurs de la vie en Europe. Aussi demande-t-il à ses jeunes compatriotes obnubilés par le désir de partir, de ne pas prendre le large. Car pour lui, l’Europe, c’est un mirage. Faute de travail et de papiers, on y crève de faim.

(Correspondant particulier à Madrid) - Le regard lointain, la mine triste, l'esprit ailleurs, Mamadou Ndoye a encore du mal à réaliser qu’il se trouve en Europe, plus précisément à Madrid. Des années durant, il n’a fait que rêver d’Europe, synonyme de vie meilleure et de réussite sociale. Mais aujourd’hui que son rêve de fouler le sol européen est devenu réalité, le jeune Mamadou à le mal du pays, un pincement de regret au cœur. Quid des énormes sacrifices consentis pour se retrouver enfin à Madrid, la capitale espagnole ? “C’est vrai que j’ai bravé la mort pour venir, mais franchement, ça n'en vaut pas la peine”, regrette-t-il entre deux gorgées de café. Et d’ajouter : “L’Europe est un véritable mirage, j’ai l’impression d’être dans un autre continent.”

En fait, depuis son arrivée en Espagne au mois de mars dernier, après avoir navigué pendant sept jours en mer, Mamadou Ndoye a encore du mal à voir le bout du tunnel. Libéré le 14 avril dernier suite à 40 jours de détention dans le centre d’accueil de Fuerteventura, il ne sait plus à quel saint se vouer. “En débarquant à l’aéroport de Madrid, je pensais que les soucis étaient derrière moi. Malheureusement, tel n’est pas le cas. En l’espace d’un mois, j’ai été hébergé à trois reprises par des gens différents. Au début on s’occupe bien de toi, mais après trois jours, on te fait savoir qu’il n'y a plus de place libre et te prie gentillement d’aller voir ailleurs”, se désole-t-il.

N’ayant pas de parents en Espagne, encore moins d’amis et sans le moindre sou, Mamadou est obligé de se débrouiller comme un diable pour se nourrir. Un jour, il a eu même à passer la nuit à la belle étoile. Et dire qu’il a beaucoup d’amis en France. “J’ai appelé des copains pour leur demander de m’aider à les rejoindre à Paris, mais ils ont tous refusé prétexant du fait que je serais refoulé au premier contrôle policier. Sans carte de séjour ni permis de travail, c’est très dur de se faire un trou ici. S’y ajoute que je ne connais rien de la vente ambulante et j’ai peur de jouer à cache-cache avec la police municipale”. Que faire alors ?

L’histoire de Mamadou, une histoire sans futur - pour le moment - mais une histoire avec un passé. Un passé fait de longs séjours en mer à la recherche de poissons devenus de plus en plus rares sur les côtes sénégalaises. Oui, Mamadou Ndoye est pêcheur. Et c’est de son statut de pêcheur que tout est parti : “Lorsque j’ai eu écho que des jeunes pêcheurs de Guet Ndar et de Thiaroye-sur-mer partaient depuis la Mauritanie, via les côtes de Nouadhibou, pour rejoindre les Iles Canaries, je me suis dit sur le coup, pourquoi pas moi”. L’idée de prendre le large en tête, Mamadou s’en ouvre à certains de ses compagnons de travail. Et avec l’aide d’un commerçant baol baol qui a pignon sur rue au marché Sandaga, lui et ses amis recruteront 40 candidats au voyage moyennant chacun 400 000 F Cfa.

“Nous travaillions pour un patron véreux qui nous payait quand cela lui enchantait. Aussi avions-nous décidé de voler la pirogue avec laquelle nous faisions la pêche. Toutefois, pour mieux préparer le voyage et suivant les conseils de ceux qui avaient déjà réussi l’aventure, il nous fallait acheter deux moteurs flambant neuf, des gilets de sauvetage, des vivres, du carburant et deux appareils Gps pour l’orientation”. Ces dépenses furent possibles grâce au pactole versé au commerçant baol baol par les 40 passagers recrutés. “Ces gens étaient tous des vendeurs à la sauvette entre Pompidou, Lamine Guèye et Colobane. Ils rêvaient tous de voyager. Certains avaient même réussi à épargner plus de 4 millons de francs Cfa rien que pour se procurer un visa. Par conséquent, nous n'avons eu aucun mal à les convaincre de faire le voyage avec nous, tout en gardant le silence”. Un silence qui sera brisé uniquement pour demander les bénédictions des marabouts pour la réussite et le succès de la traversée.

Les sacrifices faits, les prières dites, Ndoye et ses amis attendent que la lune soit pleine, la mer calme, pour enfin effectuer le voyage avec majuscule. Ce voyage, ils l’ont réussi sans grande difficulté. “Le plus dur de la traversée, c‘est la posture. C’est à peine si nous parvenions à bouger nos jambes”. Pas étonnant donc qu’ils débarquent au port de Los Cristianos, en Tenerife, les jambes ankylosées, sous le regard des curieux, les flash et les projecteurs des caméras.

En se remémorant de ces différentes étapes de son périple, Mamadou Ndoye, le lébou de Yarakh qui a voulu se faire passer pour Isaac Fofana, un persécuté de Trecheville en Côte d’Ivoire, a la gorge nouée par l’émotion. Sa demande d’asile non prise en compte, le délai de quinze jours pour sortir du territoire espagnol expiré, il s’interroge toujours sur son futur. “Quand on est l’aîné d’une famille et qu’on voit tous les jours ses parents se décarcasser dans des dificultés énormes, on n’hésite pas de prendre certains risques. Pourvu que cela vous aide à les sortir de la pauvreté, voire de la misère tout court”, professe-t-il sur un ton émouvant. A la fois soucieux et inquiet de son avenir en Europe, il confesse : “Je suis déjà en Europe, je ne peux plus faire marche arrière même si, de temps à autre, l’idée de demander à être rapatrié m’effleure l’esprit”.

Sa décision est donc prise. En dépit des nombreuses dificultés auxquelles il continue de faire face, Mamadou Ndoye tiendra le coup. “Si j’abdique, notre famille sera la risée de tout le quartier.”

A l’endroit de ces nombreux jeunes sénégalais pour qui, le temps s’est arrêté depuis longtemps, les jours, les semaines, les mois et les années chaque fois plus énormes, et qui voient en Europe l’unique bouée de sauvetage, le jeune Ndoye avertit : “L’Europe c’est pas ce que nous croyions. Ici, c’est le chacun pour soi. Sans papiers et sans travail on y crève de faim et passe la nuit à la belle étoile. Cela ne vaut pas la peine de se suicider en voulant la rejoindre par la mer.”

Un message on ne peut plus clair. Mais sera-t-il entendu ? Rien n’est moins sûr.

 



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