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TEMOIGNAGE - Abdou Sarr, jeune émigré clandestin rapatrié avant-hier : «Si ça ne dépendait que de moi, jamais je ne mettrais les pieds dans ce pays»

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TEMOIGNAGE - Abdou Sarr, jeune émigré clandestin rapatrié avant-hier : «Si ça ne dépendait que de moi, jamais je ne mettrais les pieds dans ce pays»

Autour d’un plat de riz à la viande, Abdou Sarr (25 ans) taquine son compagnon d’infortune. «Ici il n’ y a pas de rapido», souffle-t-il à l’intention de Djiby Guèye (30 ans) qui, sourire aux lèvres, acquiesce. Ils sont deux jeunes qui viennent de voir leur rêve d’exil en Espagne tomber comme châteaux de cartes. Ils étaient à bord d’une pirogue de fortune bravant la mer et ses vagues. Passant des nuits d’angoisse et de peur. Ils sont revenus à bord de vols charters, avec en prime 10 000 francs Cfa, un sandwich et une bouteille de boisson. Le «Paradis ou l’Eldorado espagnol, ils l’ont juste entrevu avant de retourner à «l’enfer» sénégalais. Aujourd’hui, ils sont amers contre le gouvernement, qui a orchestré cette vague de rapatriement qui ne pourra pas les empêcher de retourner si une issue se présente. Car, «il n’y a pas de boulot au Sénégal», tonnent-ils. A peine arrivés, ils ont la bave à la bouche et leurs langues se délient.

CONDITIONS D’ARRIVÉE

«On est arrivés, hier nuit, (Ndlr : lundi) d’Espagne à bord d’un avion, qui a atterri à l’aéroport de Saint-Louis. On a quitté, aux environs de 6 heures du matin, à bord de deux vols charters. Quand on a débarqué à l’aéroport, on a chacun reçu 10 000 francs Cfa, un sandwich et une bouteille de boisson, c’est ce avec quoi on a été accueillis. On aurait préféré rester en Espagne que de rentrer au pays. Parce que le retour est difficile d’autant que ce sont nos autorités qui devaient nous aider, elles ne l’ont pas fait. On a bravé la mer pour partir avec tous les dangers que cela implique, si elles n’ont d’autres choses à faire que de nous rapatrier, alors, c’est vraiment dommage. Certains ont liquidé leur cantine pour rallier l’Espagne, d’autres ont emprunté de l’argent pour partir. Il y a des gens qui sont descendus de l’avion, mais qui ont juré de ne pas mettre les pieds dans leur propre maison. Vraiment, c’est difficile !»

LE SEJOUR

«Le séjour, s’est passé sans gros problèmes. Les Espagnols ont été très disponibles, on les remercie, d’ailleurs, pour tout ce qu’ils ont fait.

On était dans le camp de Teneriffe, on y a passé 15 jours. Après, on nous a déplacés dans un autre camp dénommé Fuerte Ventura. Il est appelé Porte 23 par les Sénégalais. Dans ce camp, la particularité, c’est d’y passer les 40 jours avant d’être autorisé à entrer dans le territoire espagnol. C’est au 39ème jour qu’on a été rapatriés parce qu’on nous a dit que le gouvernement sénégalais avait besoin de nous pour qu’on rentre au pays.»

CONDITIONS DE VOYAGE

«On était 172 personnes à bord d’une pirogue, c’est le plus gros contingent de clandestins à quitter les côtes sénégalaises. On n’a rencontré aucun problème au cours du voyage. On faisait la cuisine et on servait à manger à bord jusqu’à notre arrivée sur les côtes espagnoles. On avait amené tout le ravitaillement nécessaire. Mais, voyager dans ces conditions est loin d’être une sinécure, il faut être un homme, un vrai, pour tenter l’aventure.»

SEULS LES SENEGALAIS RAPATRIES

«Chaque jour, on sortait des centaines de personnes, surtout des Sénégalais pour les rapatrier. Mais, les Maliens, les Guinéens ne sont pas inquiétés, les policiers ne cherchent que les Sénégalais. C’est un Sénégalais, qui est venu prendre nos compatriotes en aparté, pour leur dire qu’il y avait parmi les clandestins du pays des bandits de grands chemins. Et, qu’il fallait que tous les Sénégalais soient soumis à un interrogatoire serré, ils l’ont fait pendant des jours avant de commencer à rapatrier les gens par vol. C’est à la descente de l’avion que l’on nous a dit que c’était le septième vol sénégalais à atterrir au Sénégal. Et, puis, ce qui nous fait le plus mal, c’est que les avions ont atterri à Saint-Louis et non à Dakar.»

MOTIVATIONS

«Avant d’aller en Espagne, j’étais marchand ambulant. Quand ça ne marchait pas, j’ai réuni la somme de 400 000 francs Cfa que j’ai épargnée pendant des années. J’ai payé cet argent pour me porter volontaire à affronter la mer. J’ai bien observé la situation du pays avant de partir. Je sais qu’il n’ y a pas de boulot. Je me suis dit qu’il faut se sacrifier et risquer tout, pour quitter ce pays. On a quitté Ziguinchor, le 29 juillet, pour arriver le 8 août, quand on est arrivé aux abords de l’enclave espagnole la plus proche ; environ une distance équivalente à celle de Dakar-Thiès, les Espagnols ont amené un bateau pour nous aider. Ils nous ont donné des couvertures, des habits et remis de l’eau minérale. Ils nous ont mis, ensuite, à bord de cars. Vraiment, les Espagnols sont des hommes bien, on ne cessera jamais de les remercier.»

DUREE DU VOYAGE

«On a fait, en tout et pour tout, neuf jours de voyage. Car, notre pirogue a eu des problèmes au départ.»

LES DANGERS

«Chaque candidat au voyage est conscient du risque encouru. On peut arriver à bon port, comme on peut rester au fond de l’eau. Si les gens font tout ce sacrifice, pour rallier l’Espagne, c’est tout simplement parce qu’ils n’ont plus d’espoir.»

RETOURNER EN ESPAGNE

«Actuellement, si j’entrevois une autre issue, je vais tenter encore ma chance. Car, je ne vais pas rester dans ce pays où il n’y a pas de travail. Le Plan Reva qu’on nous propose ne répond pas à nos aspirations. Et, puis, si ce plan était viable, les premiers clandestins à débarquer devraient y travailler, mais rien de tout cela. Ce n’est qu’une promesse de Farba Senghor (Ndlr : le ministre de l’Agriculture), une autre de ses promesses. On nous donne 10 000 Cfa, une somme qui ne permet même pas à ceux qui habitent Ziguinchor de payer leur billet du retour et d’acheter des étrennes pour leurs enfants. Ce n’est pas normal.»

VOLONTE DE RETOURNER

«Si ça ne dépendait que de moi, je ne mettrais jamais les pieds dans ce pays, si on me réveillait, en pleine nuit, pour me dire que c’est Abdoulaye Wade qui a orchestré notre retour, je n’y croirais pas. Car, c’est à lui de nous apporter aide et assistance. Et, quand il se met maintenant à nous créer des problèmes et milite pour notre rapatriement, on ne comprend plus. On est déçus de la démarche du gouvernement qui nous a rapatriés. Car, entre 400 000 francs Cfa et 10 000 francs Cfa, la différence est énorme.»

TRAVAILLER AVEC 400 000 FRANCS CFA AU SENEGAL

«Il m’a fallu des années d’efforts, de sacrifices pour mobiliser les 400 000 francs Cfa. Car, je suis conscient qu’une fois, en Espagne, cet argent pouvait me rapporter des millions en un mois. Alors qu’au Sénégal, il faut travailler cinq ans voire sept ans pour avoir un retour sur investissement. Avec une telle différence, rester au pays signifie manquer d’ambitions. C’est pourquoi, les gens se sacrifient pour rallier l’Espagne.»

NOUVELLES DU PAYS

«On avait des nouvelles du pays. Et, souvent, nos parents nous disaient de rester tranquilles, de ne pas faire du bruit. Ils nous invitaient à garder notre calme, ils nous demandaient d’avoir foi en Dieu.»

ENSEIGNEMENT

«Ce voyage m’a ouvert les yeux sur la vie, car j’ai appris plein de choses au cours de ce voyage. Je me suis rendu compte du courage dont les premiers passagers clandestins ont fait preuve. Je ne savais pas ce que c’était. Mais, quand on a passé deux jours en mer, je me suis rendu compte que c’était dangereux. Mais, il fallait y aller, on ne pouvait plus reculer.»

PEUR AU VENTRE

«Quand, loin de la mer, il se met à souffler du vent. La pirogue a tendance à tanguer et l’on se protége comme on peut et, la peur était visible sur tous les visages. On se couchait comme on pouvait, de façon talibé quoi.»

LES DJINNS EN PLEINE MER

«Ce n’est que des choses que j’entends évoquer, mais personnellement je n’ai pas vécu ces genres de situations à l’intérieur de notre pirogue.»

LES BIENFAITS D’UN SEJOUR

«On n’avait aucun problème, on mangeait bien et buvait de l’eau en abondance. Je peux dire que c’est au Sénégal que j’ai recommencé à boire l’eau de robinet. Car, on buvait de l’eau minérale et, après le manger, il y avait du dessert pour tout le monde. Les toilettes étaient bien faites et les lits reposants. On avait aucun problème, notre problème c’est le retour dans ce pays avec l’appel du Président à regagner le pays, cela ne nous arrange pas.»

NOMBRE DE SENEGALAIS

«Il y avait beaucoup de Sénégalais. Rien qu’à Fuente Ventura, on était des milliers de Sénégalais.»

CONDITIONS DE RAPATRIEMENT

«Un beau jour, les policiers espagnols sont venus nous dire qu’il y a leurs collègues sénégalais qui sont là et, qu’ils feraient tout pour nous ramener chez nous. Les policiers nous ont dit qu’ils ne pouvaient prendre aucun risque et que c’était à nous de prendre nos responsabilités. C’était le jour où l’on célébrait le Magal de Darou Mousty. Les Sénégalais étaient entrés en rébellion. On est restés, pendant deux jours, à observer la grève de la faim et on avait coupé tout contact avec l’extérieur. On a posé comme condition, le départ des policiers sénégalais, pour cesser la grève. Les policiers espagnols nous avaient assurés qu’ils allaient partir. Mais, ce n’était qu’un leurre.»



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