VIE PRIVEE DES HOMMES PUBLICS DANS LES MEDIATS : TRANSPARENCE OU VOYEURISME ?

Doit-on parler de la vie privée des hommes publics dans les médiats. Quand ? Et comment ? Voila des questions qui méritent réflexion au moment où la presse sénégalaise, qui se trouve à la croisée des chemins, en fait ses choux gras. Journalistes, hommes publics, observateurs et public, à travers un regard croisé, apportent, chacun à sa manière, leurs témoignages sur le sujet.

Depuis quelques temps, une bonne partie de la presse sénégalaise se caractérise par son penchant pour les sujets ayant trait à la vie privée des hommes publics (hommes olitiques, célébrités de tout genre). Une simple revue des Unes des journaux nous permet de s’en rendre compte ; et les émissions de divertissement, qui n’hésitent pas à aborder ce genre de sujets, se multiplient, connaissant un réel succès.
L’argent, le sexe, le sang, le scandale font vendre un journal, apprend-on dans les écoles de journalisme. Surtout si ça concerne un homme public ! Ainsi, les médiats mettent le public en « situation d’appétence ».
A priori, on pourrait situer là la responsabilité. Le public, qui raffole de ce genre d’informations « croustillantes », est de plus en plus demandeur. Ce n’est pas Tapha, un employé de la Sde qui nous démentira. « J’aime des émissions telles que « Sortie », « Ataya » ou encore « Show tout chaud », confie-t-il. Mais pour une raison bien précise : en apprendre plus sur les moeurs des hommes publics qui sont sur le devant de la scène ».
Pour Mama, jeune étudiant, le kit de son Mp3 bien enfoncé dans l’oreille, c’est par simple curiosité, sans but précis, qu’il s’intéresse à ce que l’on dit sur la vie privée des célébrités. On pourrait dire par voyeurisme. Il symbolise un peu une génération qui préfère vivre les choses que de les méditer. A priori, on pourrait situer là la responsabilité.
Mais un public on le construit. Ses besoins aussi ! Cependant, de plus en plus, une partie des hommes publics notamment certains politiques n’hésitent plus à se mettre en scène et à mettre en scène leur vie privée dans l’espace médiatique. Derrière tout cela se cache souvent une communication politique savamment orchestrée. Les interconnexions entre les vedettes et le show-biz étant connues de tous. A priori, on pourrait situer également là, la responsabilité. Pourtant, le législateur a bien prévu une protection de la vie privée des personnes. D’après les dispositions de la loi, « la vie privée, c’est tout ce qui est en rapport avec le domicile, la vie professionnelle, la santé ainsi que tout ce qui est lié à la personne dans ses éléments intérieurs. Bref, l’intimité d’une personne », explique Bouna Manel Fall, professeur de droit des médiats.
« Par principe, c’est une sphère fermée qui bénéficie du principe de l’inviolabilité. Et le législateur a pris des dispositions pour protéger la vie privée. Il s’agit notamment du secret professionnel auquel sont astreints une catégorie de personnes (médecins, avocats,…) qui, par leurs statuts, ont accès à la vie privée des autres. Et des dispositions pénales de droit commun dont l’infraction est punie par le Code pénal », précise-t-il.

« Peopolisation »

Certes, il y a une multiplication de magazines ou de quotidiens spécialisés dont l’orientation éditoriale se spécialise clairement dans le traitement de ce genre de sujets… Normal ! Mais le hic, c’est qu’aujourd’hui, même la presse dite « sérieuse » c’est-à-dire d‘information générale est entraînée par cet « effet de mode », d’autant plus difficile à arrêter que des informations du genre : « Le ministre X entretient une relation amoureuse avec untel… », font vendre un journal ou attirent une part substantielle d’audience. D’après des estimations non-officielles, les ventes de la presse people représentent deux à trois fois plus que les ventes de la presse d’informations générales.
Cette « peopolisation » de la presse n’obéit pas uniquement à des impératifs de vente. Elle résulte d’une évolution même de la société, des acteurs (hommes publics) et même de la pratique journalistique. Donc la responsabilité ne peut être que partagée. De l’avis de Mame Less Camara, directeur de la radio Océan Fm, « les hommes politiques partagent cette responsabilité parce qu’ils sont de plus en plus enclins à apparaître dans des shows qui sont destinés à faire rire, à amuser et même à faire découvrir. Ils se mettent en avant, projettent en avant leur famille, se produisent en scène avec leurs épouses, laissent la caméra entrer chez eux, filmer leur intimité… ». Cette responsabilité se situe des deux sens (des journalistes et des hommes politiques), souligne Cheikh Bamba Dièye, leader du Front pour le socialisme et la démocratie/Bennö jubeul (Fsd/Bj). Il estime qu’il « appartient à l’homme public de se donner les moyens pour avoir une vie organisée et organisée autour de l’essentiel. D’avoir une vie responsable ; une vie loin des tumultes, non-ostentatoire et la moins décousue possible ». Bref, assise sur des principes ! Selon lui, on peut donner l’image d’un bon citoyen, comme tous les autres citoyens sans sentir le besoin de se mettre à nu. Il ajoute : « Nous vendons des idées, un comportement et un idéal de vie et ce que les citoyens attendent de nous, c’est notre capacité à les rassurer sur nos civilités et nos capacités à prendre en charge leurs problèmes. Mais le relationnel entre un homme politique et le public, c’est sa vie hors de sa maison », estime-t-il en fin de compte.