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VIOLENCES VERBALES : L’arme de l’insulte

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VIOLENCES VERBALES : L’arme de l’insulte

On insulte et on s’insulte partout au Sénégal, jusque dans la cour des marabouts hal pular. Un privilège laissé aux « almubbé ngay ». Si l’insulte et l’injure peuvent être infamantes et punies par le Code pénal, elles peuvent être tout aussi joyeuses entre amis sincères ou chez les Lawbés. Avec une société en déliquescence, l’insulte et l’injure ont de beaux jours devant elles.

La respiration haletante, le visage dégoulinant de sueur, un vendeur de tissus de luxe s’agrippe au collet d’un jeune homme, la bave à la bouche : « guiss naala fi rek, may k...na sa ndèye » (traduction littérale en wolof : je vais b... ta mère si je te revois encore roder dans les parages). Libéré de cette empoignade, le jeune mis en cause, sous les huées d’une foule de badauds, ne demande pas son reste pour prendre la poudre d’escampette. C’est sur ces entrefaites qu’une dame frôlant la cinquantaine s’invite aux commentaires pour lancer d’un ton sec au vendeur :« Ya niakk faydda !Ki dila sacc, nga diapp ko té téég... ndeyam, yobbou woo ko police » (quel poltron tu fais ! Tu le prends la main dans le sac en train de te voler, et tu n’excises pas sa mère, tu ne le conduis pas à la police). Une remarque partagée par la plupart des spectateurs qui, suivant de très près la scène, y sont allés de leurs commentaires. « Un voleur ne mérite aucune compassion ! », arguent-ils avant de trancher : « il fallait lui casser la gueule à cette espèce d’imbécile ». La scène se passe au marché Hlm à la veille de la dernière fête de l’Aïd El Kébir communément appelée Tabaski. Au fur et à mesure que la nouvelle se répand dans ce temple dakarois du commerce où se côtoie une forte concentration humaine, c’est une pluie d’insultes, les unes plus salées que les autres, qui s’abat sur le pauvre chapardeur qui tentait de faire main basse sur un rouleau de basin riche très prisé par les Sénégalais lors des fêtes religieuses. Témoin de ce tohu-bohu indescriptible, un monsieur, la quarantaine révolue, s’en va d’un hochement de tête pour déclarer d’un ton réprobateur : « pour avoir poussé des gens à traîner, d’une manière aussi ignoble, sa mère dans la boue, ce gars finira très mal. D’autant qu’il n’existe pas de femme plus brave intègre et pieuse que sa mère à qui tout le monde, à Niarry Tally (ancien quartier de Dakar), voue respect et considération ».

Ma langue, mon arme

 !

Jeune, adulte ou vieux, homme ou femme, ce Sénégalais est redoutable pour de nombreux ressortissants des autres communautés africaines vivant au pays de Léopold Sédar Senghor. « Je me montre très prudent dans mes propos avec les Sénégalais car je sais qu’ils sont capables de déraper très rapidement. Avec leur langue bien pendue, ils ont un pouvoir d’humiliation extraordinaire sur leur vis-à-vis sitôt que le ton monte un peu. Aussi, ai-je fixé certaines limites », confie un jeune Sénégalais, agent dans les télécommunications, ayant longtemps vécu en République Démocratique du Congo.

Alors, les Sénégalais sont-ils, à ce point, grossiers, comme semble les charger ce Sénégalo-congolais ? La réponse est bien évidemment oui si on se réfère à leur manie de se lancer dans des invectives à tout bout de champ. Pourtant combien de fois durant l’enfance, on s’était fait rabâcher les oreilles avec le sermon que :« doomou gor moomoul saaga (littéralement en wolof : une personne bien éduquée ne doit point insulter) ! ». À côté de cette mise en garde verbale, les parents se sont adossés sur toute une panoplie de sanctions allant des oreilles tirées aux gifles, en passant par des fessées pour dissuader les plus récalcitrants . N’empêche, en matière d’insulte, le Sénégalais ne passe pas pour un nain à la lumière des informations glanées auprès de certaines communautés africaines. En effet, pour un oui ou pour un non, on s’insulte. Et les lieux indiqués à fréquenter pour se rendre compte des écarts de langage des Sénégalais sont les endroits à forte concentration humaine comme les gares routières, les marchés, les grands-places et autres ateliers de mécanique.

Ici plus que partout ailleurs, les insultes fusent de toutes parts. Elles sortent de la bouche de personnes de tous âges et sexes, et de toutes catégories socioprofessionnelles. Mansour, la trentaine, apprenti-chauffeur de « car rapide » dispose d’un vocabulaire entièrement adapté à un bon bagarreur. Sur le marche-pied de sa vieille caisse et en hâbleur invétéré, il hèle, de gauche à droite, des connaissances pour leur lancer des insultes assassines à la figure, qui, paradoxalement, les accueillent avec un petit sourire, voire dans l’hilarité. Interrogé sur son langage qui frise l’insolence, Mansour argue qu’« il n’y a rien de méchant ! Ceux que je viens d’insulter sont des copains et ils savent pertinemment que je ne cherche pas à les offenser ». Face à la surprise que suscite sa réponse, il précise qu’on peut se permettre « cette liberté » entre copains. Notre interlocuteur de confier, cependant, qu’il est nécessaire d’avoir une bonne dose de répartie pour exister dans la jungle des transports. « On se fait inéluctablement massacrer si on ne sait pas répondre aux insultes. Il faut avoir une vie de rue si on ne veut pas se faire marcher sur les pieds. Sinon, on se fait emmerder ».

Définie par le Petit Robert comme « acte ou parole qui vise à outrager ou constitue un outrage », l’insulte doit être, selon le Pr Mamoussé Diagne, qui a effectué des études sur « l’évolution de la société Wolof », considérée comme plus grave que l’agression physique. « En effet, si l’agression physique qui se traduit en douleur ou en humiliation concerne la seule personne du sujet visé, il se trouve que l’insulte qui se présente sous la forme d’une agression verbale va plus loin que la personne ciblée puisqu’elle touche l’ascendance », analyse le philosophe. Ce dernier d’exhiber d’ailleurs la preuve que l’insulte est une forme d’agression, « c’est que précisément, elle peut avoir pour effet pratique de déclencher à titre de riposte une agression physique ». De ce fait, l’insulte est, en principe, plus grave et doit être perçue comme telle, d’autant qu’elle se situe toujours avant ou après l’agression physique. Cependant, pour le Pr Mamoussé Diagne, « l’insulte, en relation avec l’agression physique, est une hostilité posée entre deux personnes et qui défie la relation sociale en tant que telle ».

Touches pas à ma mère !

« Quelqu’un qui ose m’insulter de mère ? Mais je lui vends cher ma peau ! C’est la seule chose capable de me faire perdre la raison », tonne Moustapha Dième dans une gestuelle qui en dit long sur son attachement à sa maman. Itou pour Ousseynou qui, les yeux écarquillés, le visage renfrogné : « il ne faut surtout pas pousser l’affront jusque-là », avertit ce gérant de cyber-centre, d’ethnie wolof. Pourtant, selon une idée bien répandue, il existerait des variations selon les ethnies par rapport à l’insulte touchant le père ou celle visant la mère. D’autant que l’insulte touchant la mère est bien plus grave chez les hal pulaar, les sérères et les diolas, tandis que dans le cas des wolofs, l’insulte visant le père s’avère plus blâmable.

Dans le premier cas, le Pr Mamoussé Diagne explique cette homogénéité par le cousinage à plaisanterie unissant ces trois groupes ethniques. Cela dit, Mamoussé Diagne souligne qu’il peut y avoir une relativité de ce genre selon que la relation filiale se définit en termes d’intensité davantage en direction du père ou davantage en direction de la mère. Seulement, l’universitaire demeure circonspect sur cette distinction et affirme : « mon sentiment est que même dans le cas des wolofs, cela dépend ». Le Pr Diagne est convaincu que, même chez les wolofs, l’insulte en direction de la mère est jugée plus grave. En ce sens que, renseigne-t-il, on a l’habitude de dire « Baaye baayou nieppeula » (le père appartient à tous les enfants). Autrement dit, on a tendance à considérer qu’un homme trompera toujours sa femme du fait même qu’il va être polygame, explique le philosophe qui a beaucoup travaillé sur la société sénégalaise. En revanche une femme trompant son homme relève d’un péché capital dans toutes les cultures. La preuve, assure le Pr Mamoussé Diagne, « c’est à la limite une faute légère que de voir un homme faire un enfant en dehors du mariage. Tandis qu’une femme soupçonnée simplement d’avoir un enfant qui ne serait pas de son mari est immédiatement répudiée. C’est pourquoi, l’insulte étant une convocation de l’imaginaire qui vaut pratiquement un effet réel, est mal vécue par le sujet visé. Un enfant, à qui son camarade dit : « j’ai couché avec ta mère », pouvait simplement se limiter à lui dire : tu as menti. Mais non, il lui envoie un coup de poing à la figure, car il est attesté par toutes les études psychologiques que le rapport à la mère est beaucoup plus obscur et irrationnel car la mère est la seule personne qui vous porte pendant neuf mois et avec qui on a vécu une intimité réelle ». En effet, l’imaginaire ciblant la mère est beaucoup plus grave parce que, renseigne le Pr Diagne, l’interdit mis en jeu est plus profond étant entendu que le rapport à la mère est très spécial. Par conséquent, toucher à ce lien qui a même précédé la naissance, revient à profaner quelque chose dont le caractère sacré est beaucoup plus important et dangereux. Ce qui fait que l’agression est beaucoup plus violente mesurée à ce que cela touche par rapport au père, argue-t-on.

Au nom de la banalisation !

Il est aujourd’hui reconnu au Sénégal qu’une certaine banalisation de l’insulte a été instaurée en dépit d’un arsenal juridique répressif. Dans certaines familles d’ailleurs, c’est devenu quasiment banal de voir des frères et sœurs s’invectiver à longueur de journée, sans que personne en soit scandalisé. Et c’est le cas chez certaines catégories sociales comme les « laobés » et les « mabos », qui ont la possibilité de transgresser l’interdit que constitue l’insulte. Ces derniers peuvent se permettre ce que la société globale s’interdit en principe. Non seulement la société les tolère sur ces marges, mais elle les convoque également à l’occasion d’un certain nombre de phénomènes ou de manifestations comme le « khakhar » (cérémonie pendant laquelle une femme quitte le domicile de ses parents pour rejoindre le domicile conjugal), le « kassack » (cérémonie faisant suite à la circoncision), le « taajabone » durant lesquels on peut dire des choses agressives. Celles-ci, selon l’analyse qu’en fait le Pr Mamoussé Diagne, « ne constituent pas tout à fait des insultes, mais elles ne sont pas permises en temps normal ». Là, ne se joue plus la catégorie sociale, mais le contexte. « Le temps normal est aboli au profit d’un autre temps qui est celui de la permissivité », dixit le philosophe soutenant au passage qu’il s’agit là d’un phénomène pratiquement universel. Dans toutes les sociétés, il y a des moments ritualisés durant lesquels on s’autorise des choses qu’on ne se permettrait pas en temps normal.

D’autre part, la banalisation de l’insulte peut découler des formes des relations sociales qui ne lui donnent plus la même teneur d’agressivité. Il y a une possibilité de mutations de l’insulte pour établir une relation curieusement affective, pour lui donner même une coloration amicale.C’est le cas à Guet-Ndar où les gens entretiennent des rapports de ce genre : « doomou kharam bi, ya baax... ». En milieu « Baye Fall » tout comme chez les « Almoubé Ngaye » (des érudits du Coran dans la communauté haal pulaar) aussi, l’insulte a une fonction qui définit une relation d’appartenance. « Nous appartenons à un corps, une communauté dans laquelle le fait de s’injurier a été complètement émoussé, dépossédé de sa pensée agressive. Et en ce moment-là, quelqu’un qui n’appartient pas à notre communauté perçoit l’insulte comme étant une agressivité », renseigne un « Almoudo Ngaye », sous le sceau de l’anonymat. Au Djolof où les habitants traînent l’habitus « Thiédo », l’insulte a une valeur « symbolique ». Pour preuve, « au Ferlo, si je souhaite que les gens me croient sur parole, il faut jurer par les insultes. D’ailleurs, même s’ils se réclament musulmans, il n’en demeure pas moins que les gens de mon terroir, qui jurent sur Dieu, sur les guides religieux ou sur le prophète, ne sont jamais pris au sérieux. Il faut jurer par l’insulte, c’est la règle », confie, un habitant du Djolof. En ce moment donc, l’insulte n’a aucune épaisseur ontologique et elle tombe dans la dérision ou la foi.

Sous le coup de l’article 293

Dans le Code pénal, sont répertoriés deux types d’injures. Il y a l’injure publique faite à l’aide de moyens de diffusions publiques (radiodiffusion, presse écrite, télévision, criée, affichage...) et qui est passible d’une peine de prison ferme allant de six mois à trois ans, selon Me Ciré Clédor Ly, avocat à la Cour. Tandis que l’injure non publique est commise lorsqu’elle est basée sur une correspondance où il n’y a pas la publicité requise. La peine est une simple contravention (allant d’un jour à un mois de prison plus une amende qui va de 200 francs à 100 000 francs).

Cette décision que comprend parfaitement Mamoussé Diagne, selon qui il est normal que le législateur ait eu à prendre des dispositions répressives concernant l’insulte qui, qu’on le veuille ou non, est une forme d’agression. Même si elle est spécifique du fait que sa modalité n’est pas physique. « Ce n’est pas comme si on donnait un coup de poing à quelqu’un ou une gifle ». Tout de même, l’insulte est une forme d’agression qui fait mal selon une modalité particulière. La preuve qu’elle est une forme d’agression, c’est que précisément l’insulte peut avoir pour effet pratique de déclencher à titre de riposte une agression physique. « Vous insultez quelqu’un, il vous donne une gifle, un coup de poing cela veut dire déjà que dans la représentation qu’il a de l’insulte, il y a une équivalence réelle entre le coup de poing et l’insulte. Vous voyez bien que la violence verbale ici et la violence physique dans l’autre cas s’équivalent, selon une normativité que le législateur a suivi immédiatement en pénalisant les deux. Vous frappez quelqu’un, vous devez être pénalement puni, mais vous insultez quelqu’un aussi, vous devez être pénalement puni en vertu de cette équivalence posée entre agression physique et agression verbale ».


Les religieux se prononcent ... :Oustaz Alioune Sall, Prédicateur à « Sud Fm »« Un grave péché »


Dans l’islam, l’insulte est formellement interdite en ce sens qu’elle relève de l’indécence. D’ailleurs, c’est un grave péché qui peut conduire un individu en enfer. Le Prophète Mohamed (Psl) aimait dire souvent à son entourage qu’il n’y a pas plus répréhensible que le fait d’insulter ses deux parents. À la suite de quoi, ses proches lui posaient la question de savoir comment quelqu’un peut-il insulter ses parents. Et le Prophète de leur répondre : « une personne qui insulte les parents d’autrui s’attend à ce qu’on lui retourne ces insultes. »

Abbe Michel Kama, vicaire a la Cathedrale de Dakar « Vice capital ! »

« On retient de l’injure qu’elle est une injustice en parole, un terme de mépris sans imputation d’un fait précis. L’insulte, expliquée par Mathieu, chapitre 5 sur les Béatitudes et Mathieu 6 sur le Notre Père, donne directement obligation à réparer l’injustice. D’ailleurs, la colère, désir violent et déréglé de vengeance qui pousse à faire subir à un adversaire un mal, est liée à l’injure. En conséquence, c’est un vice capital. Dans la théologie morale, l’effet extérieur de l’injustice est défini comme une violation d’un droit qui est toujours un désordre matériel lorsque la responsabilité morale de son auteur n’est pas engagée.
Pour qu’un dommage puisse être réputé injuste, il faut qu’il corresponde réellement à la violation d’un droit ou au refus d’un bien rigoureux. Il constituera alors une injure au sens strict du mot. Il y a différentes espèces d’injustices liées à l’injure comme le vol, le meurtre, l’adultère. L’insulte est répréhensible mais réparable d’autant que le pardon des injures est une obligation grave de la loi évangélique en matière biblique. Ce qui suppose que la personne doit faire preuve d’humilité et se confesser pour prendre la communion. C’est là une demande de pardon à l’église et une demande de pardon à Dieu ».



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