Soudain, il déboule sa moyenne silhouette, le sourire aux lèvres. Très à l’aise dans son grand boubou blanc, il tient sa canne argentée et fait face à son imposant piano doré. Un piano pas comme les autres, car il est représenté sous la forme de la maquette de la grande mosquée de Touba. Et quand il appuie ses frêles doigts sur les touches, de belles sonorités envahissent les oreilles. Mais quand il parle de la politique et de la situation du pays, ses mots virent à la catastrophe. Serigne Modou Kara Mbacké ne mâche pas ses mots dans cet entretien où il révèle l’état de ses relations avec Wade, ses convictions actuelles et son point de vue sur des faits d’actualité comme l’affaire Tfm, Bara Tall…
Depuis quelque temps, l’on a
constaté une certaine agitation inhabituelle de votre part avec des
sorties et des annonces permanentes. Qu’est-ce qui l’explique ?
C’est
plutôt un dynamisme. L’explication est simple : toute chose à son
temps, c’est comme les informations que vous livrez aux lecteurs au
moment qu’il faut. Il est du devoir de chaque citoyen de faire le point
de la situation de sa démarche et de son pays, surtout quand ce citoyen
est un responsable et, de surcroît, un guide religieux comme moi.
Seulement, le vocable marabout est tellement galvaudé au Sénégal qu’à
l’évocation de ce nom, les gens pensent plus à l’éducation islamique
qu’au rôle qu’il doit jouer dans la vie de son pays. C’est pour jouer
notre rôle que s’inscrit le regain de dynamisme de notre part, mais
aussi il s’agit de préparer le rassemblement au cours duquel nous devons
faire la lumière sur beaucoup de choses. A mon avis, il y a des points
qui, dans le passé, n’ont pas été bien compris. D’où la nécessité, au
sein du mouvement «Silkoul Jawahir», dirigé par mon frère Mame Thierno
Birahim Mbacké, de nous rappeler de certains principes en partant des
bases référentielles alors édictées par Serigne Saliou Mbacké. Ce devoir
de rappel est plus nécessaire en ces moments de la vie. Cela va nous
permettre d’échanger sur la situation nationale du pays.
On ne peut pas évoquer la
situation nationale du Sénégal sans parler de la politique…
(Il
coupe) Absolument pas ! C’est lié à la politique.
Donc, vous êtes toujours en
train de mettre progressivement en place la Coalition du siècle en vue
de la prochaine Présidentielle ?
La coalition du siècle est
une stratégie. On a constaté que la plupart des Sénégalais ne se
retrouvent pas dans le jeu politique tel qu’il est développé dans le
pays. Dans le but de ratisser le plus large possible, nous avons mis en
place le parti (Pvd) pour ceux qui sont intéressés par la politique et,
pour ceux qui veulent s’activer dans le social, on les rassemble au sein
de la Coalition nationale du siècle. Ce sera un mouvement social qui
viendra renforcer le parti en cas de besoin et vice-versa. C’est comme
les deux jambes dans un même corps. Elles se complètent.
N’est-ce pas là un plan secret
que vous avez mis en place pour mieux préparer la Présidentielle.
C’est ça. Vous avez tout compris. «Dankou fanaanal la.» Je ne vous
dirai pas si c’est pour la Présidentielle ou pour autre chose, mais
c’est bien un plan secret. Je puis vous dire qu’il ne s’agit pas d’un
seul coup, mais de nombreux coups qui seront assénés en même temps.
Pour qui et contre qui ?
Ce
sera pour l’intérêt exclusif du Sénégal et des Sénégalais. Parce que je
n’ai vu aucun pôle politique actuellement qui défend les intérêts du
pays et des Sénégalais. Ni du côté du pouvoir ni du côté de
l’opposition.
Et même du côté de Me Wade ?
Je ne vois pas l’intérêt du pays avec lui. Je ne vois cet intérêt
que du côté de la vérité. Je veux dire par là, la vérité relative.
Y a-t-il un lien entre cette
vérité que vous évoquez et le Parti pour la vérité et le développement
(Pvd) ?
C’est là où je veux en venir, car le c’est seul le
Pvd qui accepte de gouverner le pays avec un système politique bien de
chez nous. Nos références sont enseignées par un fils du pays : Cheikh
Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul.
Si l’on comprend bien, votre
déclaration de candidature pour 2012 est déjà faite ?
(Il
rit) Ce sont les jeunes qui le disent. Ce sont ces messages qu’ils
véhiculent et ils en ont le droit. Il faut se rappeler que le Pvd est un
parti de régulation. Notre rôle est d’observer afin de dire ce qui va
et ce qui ne va pas. Mais nous n’avons pas pu jouer notre rôle parce que
nous avons été liés par celui qui dirige (Ndlr : Abdoulaye Wade) de par
son âge et son appartenance à Serigne Touba. C’est pour ces raisons que
le parti n’a pas joué son rôle à cent pour cent. Nous étions aussi
ligotés par respect à une recommandation de Serigne Saliou.
Quelle est cette recommandation ?
Serigne
Saliou m’avait dit un jour : «J’ai toujours prié pour que votre
alliance avec Abdoulaye Wade soit une réalité. Je ne voudrais pas que ce
qui détériore vos relations provienne de vous.» C’est un secret que
personne ne savait.
Vous disqualifiez tous ceux qui
sont sur le terrain politique dans la recherche de solutions aux
problèmes des Sénégalais…
Ils peuvent avoir des solutions,
mais ce sont les systèmes politiques dont ils se réclament qui ne sont
pas adaptés à notre contexte. Le libéralisme, le socialisme, le
communisme etc. ne résolvent pas les difficultés des Sénégalais.
Quelle alternative proposez-vous
?
Le Mouridisme au sens large du terme. Il suffit de voir
la vitesse avec laquelle Touba se développe pour s’en rendre compte. En
plus, Serigne Touva nous a donné les solutions à tous nos problèmes. Il
nous faut les appliquer. Il est temps de nous débarrasser de l’héritage
des Blancs, parce qu’il n’a pas servi à grand-chose. Nous n’avons pas la
même culture. Serigne Touba a dit que «la peau noire ne compte pas,
c’est l’esprit qui est important».
C’est comme si vous encouragez
Me Wade dans sa volonté qui lui est prêtée de rompre avec la France ?
Il
peut conserver ces relations, mais il doit croire davantage à lui et au
Sénégal. Pour être clair, Abdoulaye Wade ne doit même plus parler de
politique, il doit décrocher. Nous, qui l’avons soutenu au nom de
Serigne Touba, souhaitons qu’il finisse en beauté.
Dans un passé récent, vous priez
pour qu’Abdoulaye Wade soit un Président à vie. Aujourd’hui, vous le
disqualifiez dans la gestion des affaires du pays. Qu’est-ce qui a
changé entre-temps ?
(Il sourit) Il est fatigué et ne veut
pas l’admettre. Un brave n’accepte, ni ne reconnaît, jamais qu’il est
fatigué. Il y a des gens qui sont avec lui pour le seul exercice du
pouvoir, ils ne le décourageront jamais, ils ne vont jamais lui
conseiller de se retirer. Pourtant, s’il réussit à mettre en place un
gouvernement d’union nationale, il pourra faire comme Senghor et sortir
par la grande porte et laisser un homme de confiance continuer le
mandat. Il faut qu’il ait confiance en cet homme, car il a des projets,
il a une famille et des proches à qui l’on reproche beaucoup de choses.
Comme son fils…
Comme
le fils est compétent et est un citoyen, il peut aspirer…
Vous reconnaissez la compétence
de Karim Wade ?
Je pense que… Ah… (Il ne termine pas la
phrase). Je ne suis pas proche de lui au point de pouvoir le juger. Je
sais qu’il fait des va-et-vient et l’on dirait qu’il se débrouille bien.
(Il éclate de rire).
Pourtant, le Président tient à
vous, vous lui êtes proches…
(Il coupe). Je me suis ouvert à
lui, mais il m’a tourné le dos. C’est cela la vérité. (Il éclate de
rire et dit : On est jeudi, je savais que vous me feriez dire des choses
graves. «Gorgui sama goor la» [Le vieux est mon ami].) (Puis il
continue sur un ton sérieux et plus ferme) Je le répète, il s’est
détourné de moi. Je prends les anges à témoin.
Qu’est-ce qui vous oppose ?
Rien. C’est ce qui l’oppose à tout le monde qui nous oppose. C’est
lui le problème, mais on me l’a confié pour que je le défende… (Il ne
continue pas la phrase et éclate encore de rire). Mais les jeunes sont
libres de se prononcer. Ils font des mises en garde et des menaces.
Comme c’est Serigne Saliou qui nous lie et je ne peux rien contre lui,
moi aussi j’ai mes façons de faire. Ce sont mes sorties.
Les jeunes mettent en garde,
mais vous semblez faire des menaces avec les révélations annoncées sur
l’assassinat de Me Babacar Sèye.
Je ne l’ai jamais dit et
je n’en dirai rien parce que c’est un événement dépassé. Je détiens des
documents originaux sur nombre d’évènements qui se sont produits dans le
pays, mais il n’est pas de mon devoir de révéler des secrets d’Etat.
Modou Kara ne doit pas le faire. Même si je savais quelque chose sur
cette affaire, il ne me revient pas de le dire. Il en est de même pour
l’affaire Khadim Bousso, l’agression de Talla Sylla, entre autres.
Nous ne sommes plus loin de la
Présidentielle, en tant qu’observateur de la scène politique, quelles
sont les forces et faiblesses des différents pôles qui se sont déjà
exprimés ?
A mon avis, les élections ne peuvent plus rien
régler au Sénégal. Je tiens à le dire solennellement. Il n’y a que la
vérité qui peut nous apporter le salut. Nous devons avoir des dirigeants
qui posent des actes nobles et qui tiennent compte des recommandations
de Dieu. Ce ne sont pas des élections et des querelles politiques qui
peuvent apporter des solutions aux préoccupations des populations.
Qu’est-ce que vous proposez ?
D’abord,
il ne faut pas qu’on parle de démocratie. Ce principe ne nous concerne
pas. Ce que je dis ne concerne que moi, peut-être que c’est spirituel,
mais il faut reconnaître que je ne peux pas penser autrement. Prenez
l’exemple de l’Arabie Saoudite.
Vous prônez la monarchie ?
Non,
pas à cent pour cent. Je suis pour un gouvernement d’union nationale
avec des personnalités dont on est sûr qu’ils travaillent pour le pays.
Que le choix soit fait loin des critères d’appartenance politique ou
d’une autre considération partisane. Que seul le critère de compétence
prévale.
Est-ce que c’est parce que vous
n’êtes pas pour la démocratie que vous avez choisi votre épouse pour
vous succéder à la tête du Pvd ?
Je l’ai choisie, mais ce
n’est pas facile pour elle. Vous savez que c’est une journaliste comme
vous, elle ne se laisse pas faire, mais je sais comment gérer toujours
la situation.
Il est beaucoup question, ces
temps-ci, de la brouille entre Wade et Youssou Ndour au sujet du projet
de la télévision du Groupe Futurs Médias. Comment l’avez-vous analysée ?
Youssou
Ndour est un citoyen. Et d’après les informations qui m’ont été
rapportées, je crois plus en ce qu’il dit qu’à ce que dit l’autre
(Wade). Ses arguments sont plus convaincants. Il s’y ajoute que Youssou
Ndour ne m’a jamais raconté des histoires, contrairement à l’autre qui
vous dirige et dont je me méfie. Sur ce rapport, c’est à sa version que
je me fie. En plus, il peut être le ministre de la Culture dans le
gouvernement d’union nationale que j’ai ébauché. C’est lui que j’ai
proposé, car il est fort d’une expérience de plus de 30 ans dans ce
domaine.
S’agissant de Bara Tall, on doit tout faire pour sauver son
entreprise qui emploie des centaines de pères de famille. C’est un vœu
qui m’est très cher. D’ailleurs, ce sujet fera partie des douze points
que je vais aborder lors du rassemblement de samedi.
Pour
revenir à votre idée de gouvernement d’union nationale, y a-t-il des
places pour les leaders de l’opposition ?
J’ai pensé à
certains d’entre eux, comme Ousmane Tanor Dieng, Macky Sall, Abass Bâ,
Ibrahima Sall. Les deux derniers nommés sont de ma famille.
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