Yayi Bayam pleure son fils noyé sur la route de l'émigration

THIAROYE (AFP)  - Assise dans la cour de sa maison, Yayi Bayam Diouf, une Sénégalaise de Thiaroye (banlieue de Dakar), sanglote en regardant le portrait de son fils unique, emporté par la mer en avril sur le périlleux chemin de l'émigration clandestine vers l'Espagne.

"Ils sont partis à deux pirogues, et celle de mon fils a coulé. Ceux de l'autre pirogue ne pouvaient pas les prendre à bord et ils sont tous morts", se souvient-elle les larmes aux yeux.

"Ce sont ceux de l'autre pirogue qui nous ont prévenus à leur arrivée en Espagne. Ils auraient dû être 50 à bord et ils étaient 81", poursuit cette femme d'une soixantaine d'années.

Elle retrace ensuite calmement l'itinéraire de son fils, Alioune Mar, âgé de 26 ans, depuis sa ville natale de Thiaroye jusqu'à Nouadhibou, dans l'extrême nord-ouest de la Mauritanie.

"Il avait économisé les 575.000 francs CFA (875 euros) nécessaires pour la traversée en élevant des moutons. C'était un bosseur qui faisait aussi de la maçonnerie et de la peinture", raconte-t-elle.

Yayi avoue qu'elle était "au courant de son départ".

"J'étais consciente des risques, mais je pensais aussi que c'était le meilleur moyen pour lui de réussir sa vie et d'avoir un avenir meilleur", explique-t-elle.

Pour enrayer l'immigration clandestine, l'Espagne et le Maroc ont renforcé des derniers mois la surveillance de leurs côtes atlantique et méditerranéenne, tout comme les abords des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, dans le nord du Maroc.

Depuis, les convois des passeurs d'immigrants clandestins ont choisi des points de départ maritimes situés plus au sud.

Fin 2005, les départs étaient principalement organisés à Nouadhibou, à deux jours de pirogue des Iles Canaries. Mais les passeurs ont peu à peu organisé des embarquements à Saint-Louis (nord du Sénégal) et Dakar, pour des traversées longues de huit jours, selon des sources policières sénégalaises.

Petit à petit, les souvenirs reviennent pour Yayi, qui évoque un dernier coup de fil de son fils peu avant l'embarquement et surtout des détails racontés par les passagers de la seconde pirogue.

"La pirogue a coulé le 12 avril. Il y avait une houle avec des creux de près de neuf mètres", poursuit Yayi, précisant qu'"ils ne s'étaient pas renseignés sur les conditions météorologiques".

Malgré cela, Yayi ne pense pas qu'Alioune ait agi par inconscience et estime qu'il s'agissait au contraire d'une décision bien pesée.

"Il savait qu'il risquait sa vie mais il a fait un choix réfléchi", affirme-t-elle.

"Ici les jeunes n'ont plus d'espoir pour l'avenir. Ils pensent tous à partir et c'est un problème qui va encore se développer dans les années qui viennent", intervient Moussa Faye, un ami de la famille qui affirme être sans nouvelles d'une dizaine de proches ayant tenté l'aventure récemment.

Suite au drame, Yayi a créé un petit collectif pour informer les femmes sur les dangers qu'encourent leurs fils qui aspirent à la clandestinité.

Plusieurs proches et amis de Yayi affirment avoir décompté au total une centaine de jeunes de Thiaroye décédés en mer ou disparus depuis trois mois.

"On est en train d'essayer d'atténuer ce phénomène. Au début, les femmes du village donnaient de l'argent à leurs fils pour qu'ils puissent partir, mais maintenant nous organisons des réunions de sensibilisation et certaines mamans tentent maintenant de les retenir", explique-t-elle.