«Nous aurions pu faire mieux … », selon cheikh Sarr qui assène ses vérités

Interrogé samedi par iGFM, le sélectionneur national, Cheikh Sarr revient sur le huitième de finale contre l’Espagne, la défaite contre les Philippines, le parcours-bilan, l’aventure espagnole, le traitement des Lions. Il parle de l’avenir et de la culture du basket de haut niveau que les autorités gagneraient à comprendre si elles veulent que le Sénégal sorte de son empirisme pur et dur pour briller désormais dans le top 10 des meilleures équipes du monde . 

Comme attendu, l’Espagne a pris le meilleur sur le Sénégal dans ce huitième finale.

Il faut féliciter l’équipe d’Espagne pour ce qu’elle fait. C’est une grande équipe. Elle a rempli son contrat dans tous les secteurs. Il est bien de rencontrer ce genre d’équipes pour connaître ses limites réelles. Nous avons beaucoup appris en faisant face à l’Espagne et je constate que nous avons reproduit les mêmes erreurs que nous avions faites contre elle en match amical en août dernier. Cela veut dire que c’est une équipe constante et régulière. Nous devons arriver à cette même attitude.

Elle a douté un moment parce que nous avons amélioré notre défense sur le retour défensif, ce qui n’était pas le cas dans une bonne partie du match. Mais que voulez vous faire quand un garçon comme Pau Gasol court comme un enfant malgré ses 34 ans, aussi bien en attaque que sur le retour défensif ? C’est quand nous avons réglé le problème de repli que nous avons fait jeu égal avec eux. Après, il y a l’adresse. On n’arrive pas à marquer des tirs à trois points. Il y a trop de ratés. Il y a aussi les pertes de balles. On en a eu 28, c’est beaucoup. A ce niveau de la compétition, on n’en perd pas plus de 13. C’est la condition qu’il faut pour gagner ce genre de match.

On vous a vu plus nerveux que d’habitude, ne pardonnant parfois rien à vos joueurs, notamment Thierno Niang.

Je suis très exigeant. Je connais mes joueurs, je sais ce que chacun sait faire ou pas. Je connais le potentiel de mes joueurs. Je dis par exemple à Thierno Niang : « Tu es un joueur de transition, tu dois attaquer la raquette et aller à l’intérieur, trouver la faille et ressortir la balle à l’extérieur, si tu n’es pas marqué tu scores ». Il a compris. Je lui demande de le faire tout le temps, aujourd’hui (samedi), il a décidé de le faire. On avait besoin qu’il joue de la sorte et je sais qu’il sait le faire. Je sais donc de quoi il est capable. Je connais la valeur de mes joueurs. Je demande à chacun ce que je veux et je suis très exigeant sur mes demandes.

Cela n’a pas été apparemment suffisant

Il y a une autre réalité dans le haut niveau que les considérations techniques. Les joueurs ont besoin parfois d’une auto-motivation. Ils ont parfois besoin d’extérioriser leur frustration afin de redevenir zen. Mais ils doivent aussi savoir pourquoi ils jouent au basket. Ils doivent s’imprégner de la réalité et de la finalité d’un match de basket. On joue pour marquer des paniers. D’ailleurs, à la fin du match, c’est celui qui marque le plus qui gagne.

On ne peut pas se permettre de faire des erreurs et c’est ce que nous faisons tout le temps et cela nous retombe sur la tête. Il faut qu’on gagne en maturité. C’est pour cela qu’il est important de venir dans ce genre de compétition d’élite qui nous permet de gagner quelque chose en expérience. Maintenant, si on ne gagne rien de ce côté, alors ce n’est pas la peine de venir. Mon sentiment est que nous avons beaucoup appris. Cela doit nous permettre d’aller de l’avant dans d’autres joutes qui arrivent

Gorgui Sy Dieng n’a pas été à la fête dans ce match

Il avait en face de lui Pau Gasol qui fait 2m15 et qui lui rend 4cm et plusieurs kg de plus. La seule possibilité de Gorgui était de sortir de la raquette, de jouer à l’extérieur et de tenter des tirs à 2 points. L’autre enjeu était de faire sortir Pau et de l’attaquer dans le un contre, afin de lui faire faire des fautes. Sur ce plan, les deux joueurs ont beaucoup travaillé.

On a voulu faire pareil avec l’entrée de Ibrahima Thomas. L’objectif était de faire courir les Espagnols et de les fatiguer. Cela marchait par moment et à d’autres moments non.  Les Espagnols savent même attaquer les défenses zone-press. Ce n’est pas la deuxième meilleure équipe de basket au monde pour rien. Ils n’ont pas fait d’erreur. Nous avons tout donné, mais nous sommes tombés sur une équipe plus forte que nous.

Quel bilan faites-vous de la participation du Sénégal à cette Coupe du monde ?

En tant qu’entraîneur, j’avais un objectif précis qui était de gagner au moins deux matches. Nous l’avons fait et cela nous a donné le ticket des huitièmes de finale. Je peux dire que mon objectif est atteint. Mais je suis resté sur ma faim. On aurait pu éviter l’Espagne en huitièmes de finale et rencontrer une autre équipe. Mais pour cela, il nous fallait battre les Philippines. C’était possible. Nous n’avons pas pu le faire. Cela m’a profondément affecté ? Cela m’a tué. Cette défaite me reste encore en travers de la gorge. Je reste convaincu qu’on pouvait gagnerce match de 2 voire trois points. C’était possible. Dans l’ensemble, le bilan est satisfaisant pour moi. Nous sommes rentrés dans l’histoire de notre basket. Mais je crois que nous aurions pu faire mieux.

En ce qui concerne l’équipe, il faut que nous arrivions à avoir des statuts assez clairs et que nous travaillions sur des bases de travail plus précises. Il nous faut un cadre plus formel avec un calendrier rigoureux. Si la FIBA nous permet de convoquer désormais des joueurs, en pleine saison régulière, pour des matches amicaux ; genre date-FIFA quoi, cela veut dire que nous devons travailler en conséquence et planifier les choses. On ne doit plus nous laisser surprendre. Il nous faut respecter le planning de nos activités et respecter l’agenda de nos rencontres. Si on le fait, il est clair que notre basket connaîtra plus d’impact sur le plan international.

Cette Coupe du monde va-t-elle vous permettre de mieux préparer la Coupe d’Afrique ?

Beaucoup de gens nous ont dit : «Aller en Coupe du monde pour préparer la Coupe d’Afrique». Certains ont même dit : «Allez et faites une participation honorable» ou «Pourquoi, ils vont en Coupe du monde, c’est gaspiller de l’argent que d’y aller ». Aller en Coupe du monde pour préparer la Coupe d’Afrique ? Ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Quand on va à une compétition, on y va avec des objectifs. On chiffre tout ça, on quantifie la participation et on avance.

Maintenant quand on vous dit quels sont les objectifs, vous demandez les moyens en retour. Le reste est une affaire d’ambition. Est-ce qu’on a envie de rehausser notre niveau ? Est-ce qu’on a envie de formaliser, de quantifier tout ça ? Est-ce que nous voulons avoir des garanties claires sur le statut du sportif de haut niveau ? Qui est t-il ? De quoi il a besoin quand il vient en équipe nationale. Quels sont ses objectifs. Voilà autant de questions qu’il faut se poser. Il faut aussi un statut clair et précis pour les entraîneurs nationaux. Il faut qu’on arrive à ce formalisme, sinon on fera dans le blablabla. 

Selon vous, il faut donc évaluer tout ça avant de parler de Coupe d’Afrique ?

Oui. Nous faisons toujours dans l’urgence et nous répétons les mêmes erreurs. Il est temps que cela cesse. On rafistole, colle, recolle. Cela suffit maintenant. Nous avons besoin de sérénité pour atteindre des objectifs.

Voulez-vous dire qu’il faut mettre en place un projet avec un programme précis ?

Absolument. Il ne peut pas avoir de décalage. Tout le monde : joueurs, encadrement technique, fédération et Etat doivent être au même niveau d’exigence et de performance. Cela veut dire qu’il faut mettre en place un projet, un programme et un plan de travail.

Au Sénégal on doit comprendre que le niveau de l’élite prend un certain chemin. C’est un processus, ce n’est pas un produit qui arrive comme ça. Il faut partir de 1 pour arriver à 100. On ne peut pas se lever un jour et arriver à 100. Ce n’est pas possible.

Si les autorités comprennent ce discours alors qu’elles appellent tout le monde, ceux qui savent et qu’on en discute. Il faut que nos autorités aient de l’écoute. Sinon, on ne fera rien de durable. Nous avons aujourd’hui l’expérience de la Coupe du monde. Si nous ne nous en servons pas, alors ce n’est pas la peine de continuer. Coupe d’Afrique ou pas. Nous serons dans la spirale de l’éternel recommencement.

Les joueurs estiment que les autorités ne leur ont pas manifesté la considération à laquelle ils ont droit ?

Quand les joueurs espagnols gagnent un match, ils ont chacun 10 000 euros. S’ils gagnent la Coupe du monde, ils auront 100 000 euros chacun. Croyez-vous que nous ayons la même motivation qu’eux ? Maintenant est-ce que cela veut dire qu’ils ne sont pas patriotes et que nous, nous aimons plus notre pays ? Et bien non ! L’objectif à un coût et un prix. Les Espagnols sont de vrais patriotes, mais l’autorité sait qu’il faut les sublimer, parce que c’est pareil pour leurs adversaires ? Il faut mettre à la disposition du joueur ce plus qui va lui faire aller plus loin, qui va l’amener à se surpasser.

Mes joueurs ont parlé des primes qui ont été données aux joueurs du football alors qu’ils sont qualifiés en huitièmes de finale de la Coupe du monde. Ce n’est pas rien ça. C’est une première dans l’histoire du basket. Les joueurs se disent : « Nous, nous sommes qualifiés en huitièmes de finale, nous n’avons même pas eu de primes de qualification. On se bat, on se tue, pour rien ». C’est légitime. Les joueurs du football n’ont pas de plus mérite que ceux du basket.

Beaucoup de gens ne sont pas venus à Madrid, ils sont rentrés depuis longtemps, d’autres avaient des billets retour sur Dakar pour le 5 septembre.

Nous, nous sommes là, tout seuls. Certains étaient convaincus qu’on allait être ridicules à cette Coupe du monde. Nous avons respecté tous nos engagements depuis 2012. Je félicite les joueurs qui se sont donnés à fond. Le CNBS a fait pour le mieux, il a atteint ses limites. Nous devons être accompagnés par tout le monde. Je ferai mon rapport, comme le manager général fera le sien. Ceux qui doivent savoir sauront et prendront les mesures, s’ils le veulent.

Source : iGFM