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Le Brexit, fruit amer du nationalisme anglais

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Le Brexit, fruit amer du nationalisme anglais

Fintan O’Toole, historien irlandais, célèbre éditorialiste pour le Irish Times et le Guardian publie aux éditions Head Zeus Heroic Failure : Brexit and the Politics of Pain ( non traduit en français ). Fintan O’Toole y analyse la crise identitaire de l’Angleterre post-impériale, les déceptions vis-à-vis de l’Europe, le débat politique des trente dernières années qui ont, selon lui, conduit au vote en faveur du Brexit. Sylvie Noël lui a demandé pourquoi il décrivait le Brexit comme un phénomène découlant principalement du nationalisme anglais.

Fintan O’Toole : La chose la plus compliquée à comprendre à propos du Brexit, c’est qu’il n’est pas fondamentalement une réaction à l’Union européenne. Dans cette affaire, l’Union européenne a été un bouc émissaire pratique. Selon moi, le Brexit est davantage un phénomène anglais que britannique qui résulte de la perception qu’ont les Anglais de leur identité propre. Il était facile de rendre l’Union européenne responsable de problèmes qui découlent en fait d’une crise d’identité que les Anglais n’ont jamais résolue concernant deux importantes périodes de leur histoire. Ils n’ont su gérer ni l’après-Seconde Guerre mondiale ( ce que la plupart des pays européens de l’Ouest ont su faire ), ni le déclin de l’Empire britannique. C’est la combinaison de ces deux éléments qui a conduit à la crise actuelle.

En lisant votre livre, en effet, on réalise à quel point l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ou la disparition de l’Empire britannique semblent être toujours très présentes dans l’esprit des Brexiters.

On peut s’en étonner, mais vous n’avez qu’à écouter les débats des dernières semaines, particulièrement les interventions des responsables politiques partisans du Brexit, pour comprendre que c’est le cas. Les références à la Seconde Guerre mondiale sont fréquentes. Ils expliquent par exemple qu’une sortie sans accord s’annonce certes compliquée et douloureuse, mais que les Britanniques ont enduré des années de guerre et qu’ils surmonteront cette nouvelle épreuve. Ce discours est très présent. Il faut avoir à l’esprit que les Britanniques étaient du côté des vainqueurs à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, à partir des années 1950, l’économie du pays est entrée en stagnation alors que la France, l’Allemagne, l’Italie et le Japon connaissaient une forte croissance. D’une certaine façon, la Grande-Bretagne n’a pas eu d’autre choix que de rejoindre la construction européenne, mais les Britanniques ont eu le sentiment qu’ils ne tiraient pas avantage de leur victoire militaire. Alors s‘est installé dans les esprits cette impression sombre, étrange que la construction européenne avait inversé le rapport de force issu de la Seconde Guerre mondiale. Les vainqueurs étaient devenus les perdants : les Britanniques avaient battu les Allemands, mais à terme, c’était les Allemands qui étaient victorieux, car l’Union européenne est vue comme une entité dominée et dirigée par l’Allemagne. Cela peut paraître difficile à croire, mais c’est la réalité.

C’est spécifique à l’Angleterre ( on ne retrouve pas cette idée en Ecosse par exemple ). C’est la raison pour laquelle je me suis particulièrement concentré sur l’Angleterre, car au cours des trente dernières années, la presse populaire et une partie de la classe politique ont fait de l’Union européenne la cause de tous les problèmes. Au lieu d’affronter les difficultés économiques et sociales, il leur était plus facile de trouver un bouc émissaire. En Grande-Bretagne, il n’y a pas de discours positif à l’égard de l’Europe. En France ou dans mon pays l’Irlande, nous avons une vision positive de l’Union européenne. Nous ne sommes pas naïfs pour autant, car nous sommes conscients qu’il s’agit d’une construction difficile, complexe, inachevée. Le discours développé en Grande-Bretagne est vraiment différent. Il décrit une Grande-Bretagne opprimée par l’Union européenne. C’est une création de la presse populaire et d’hommes politiques comme Boris Johnson qui n’ont cessé de répéter que l’Union européenne interférait dans la vie des Britanniques, dans leur façon de vivre. Elle leur dictait ce qu’ils devaient manger, par exemple ; qu’elle prenait des décisions qui avaient pour seul but de pervertir l’identité anglaise. Cela a été, jour après jour, un thème récurrent de la presse populaire au cours de ces trente dernières années. Cela a fini par imprégner les esprits et quand on a demandé aux Britanniques s’ils voulaient ou non quitter l’Union européenne, une majorité a vu dans le oui le moyen de se libérer d’une oppression qu’ils jugeaient insupportable.

D’une certaine façon, le Brexit serait vu comme un moyen de retrouver la grandeur passée du temps de l’Empire ?

Certains dirigeants semblent y croire, mais pour beaucoup de Britanniques ce n’est pas un retour au temps de l’Empire. Ils ont simplement le sentiment qu’en quittant l’Union européenne, la Grande-Bretagne pourra reprendre contact avec les anciens pays du Commonwealth, dans le cadre d’un empire « blanc », moderne. Ils ont l’illusion que les Etats-Unis, l’Australie, le Canada, l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande sont prêts à leur offrir de fantastiques accords commerciaux qui permettront de compenser la disparition de privilèges que représente l’accès au marché unique. Mais rien ne permet de penser que les Etats-Unis, l’Australie, ou le Canada ont envie d’accorder à la Grande-Bretagne un statut privilégié en matière commerciale. Certes, des accords seront conclus, mais ils ne seront pas forcément avantageux pour la Grande-Bretagne, face aux Etats-Unis de Donald Trump par exemple. En fait, tout cet imaginaire a pour objectif de perpétuer l’idée que la Grande-Bretagne est un acteur mondial majeur plutôt qu’un simple membre de l’Union européenne.

En tant qu’Irlandais comment expliquez-vous que la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord ait été absente de la campagne avant le référendum de 2016 et qu’aujourd’hui, les députés britanniques ont rejeté l’accord qui prévoyait le « backstop » ( le filet de sécurité qui doit empêcher le retour d’une frontière physique entre les deux Irlandes ) ?

En tant qu’Irlandais, j’ai ressenti beaucoup de frustration pendant la campagne pour le référendum en 2016, quand j’écoutais les débats et que je réalisais qu’ils n’évoquaient ni la question de la frontière, ni l’accord de paix du Vendredi saint, ni les obligations découlant de cet accord de 1998, qui est pourtant un traité international. Ils ne l’évoquaient pas, car cela contredisait l’approche simpliste que les partisans du Brexit mettaient en avant. Ils ne voulaient pas prendre en compte un fait qui allait à l’encontre du discours simplificateur qu’ils répétaient à l’envie. Mais ce n’est pas parce que l’on évite de parler d’un problème qu’il disparaît. Au contraire, il leur est revenu en pleine figure comme un boomerang. La frontière irlandaise, dont ils ne voulaient surtout pas parler, est devenue l’obstacle principal au Brexit. La frontière irlandaise était une condition préexistante, une réalité bien présente, un héritage historique. Impossible de prétendre qu’elle n’existe pas. Ils n’ont pas voulu affronter le sujet mais, en cas de sortie de l’Union sans accord, la frontière irlandaise ne sera plus une frontière intérieure sur l’île d’Irlande, mais LA frontière entre la Grande-Bretagne et 27 Etats du puissant bloc européen. Cette frontière va devoir être surveillée. Or, nous savons qu’elle a été par le passé une frontière disputée, un lieu de conflit. Les partisans du Brexit ont fait comme si c’était une frontière normale dans un contexte normal, mais ce n’est pas le cas. Le problème du Brexit c’est qu’il a réveillé toutes ces tensions. Certains individus s’en prendront aux infrastructures physiques de cette frontière et elle va redevenir un point de fixation. La question de l’appartenance de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni va de nouveau se poser. Même si la grande majorité des Irlandais, surtout les catholiques, ne veulent pas revenir en arrière, ils seront forcés de le faire.

C’est la classe politique britannique dans son ensemble qui est à l’origine de la crise actuelle ou bien Theresa May ?

Personne n’irait dire que Theresa May est un grand leader, mais je ne suis pas convaincu qu’un autre responsable politique aurait pu faire un meilleur job. Elle essaie de gérer des contradictions irréconciliables. Elle sait que son parti va imploser si elle accepte de rester dans l’union douanière, voire dans le marché unique, ce qui est à mes yeux le seul accord réaliste. Aucun autre accord n’est en fait envisageable. Il est illusoire d’espérer un accord qui offrirait à la Grande-Bretagne tous les avantages d’être membre de l’Union européenne, et n’imposerait aucune contrainte. C’est un pur fantasme. Tout autre dirigeant qui s’accrocherait à cette illusion serait confronté au dilemme fondamental du parti conservateur dont une frange importante a une position très radicale sur la manière de quitter l’Union européenne alors qu’une autre a une position plus ouverte. C’est une vraie ligne de fracture au sein des Tories.

Le problème c’est que le Brexit va aussi impacter à long terme les relations au sein de l’Union britannique. Il va avoir des conséquences importantes sur les relations que l’Angleterre entretiendra avec l’Ecosse, le Pays-de-Galles et l’Irlande du Nord. Le Brexit est en train de déstabiliser le fondement même des structures politiques du Royaume-Uni. Même si Winston Churchill sortait de sa tombe, je ne pense pas qu’il serait en mesure de résoudre le problème.

Désormais, que peut-il se passer ?

Je crois toujours, mais peut-être suis-je un incorrigible optimiste, que le Brexit va revenir devant le peuple avec un nouveau référendum. Puisque tout a commencé avec un référendum, tout doit s’achever par un référendum.

Il est clair pour tout le monde que la classe politique britannique actuelle n’est pas en mesure de régler la situation. Les problèmes sont insolubles en raison de son extrême division. Les débats sont purement idéologiques et totalement déconnectés de la réalité. Il semble aujourd’hui évident qu’aucun des deux principaux partis ne peut aboutir à un accord de sortie, car il mettrait en péril leur unité. Dans le même temps, une sortie sans accord serait terrible pour tout le monde, et particulièrement pour la Grande-Bretagne. Certains affirment qu’ils ne quitteront pas l’Union européenne sans accord, d’autres brandissent la menace du « no deal » ( sortie sans accord ). Mais je pense qu’au final, la raison va l’emporter. Aucune nation ne peut s’infliger autant de souffrance. Si on ne peut pas obtenir d’accord, et qu’on ne veut pas d’une sortie sans accord, la situation est bloquée. A la fin, la seule issue sera de demander une extension de l’article 50, le temps de trouver un arrangement avec l’Union européenne. Les Anglais se rendront compte que toutes les promesses n’étaient que fantasmes, que tout accord sera désastreux avec pour seule conséquence de rétrograder la Grande-Bretagne au rang de membre de seconde zone de l’Union. Ils vont finir par se dire : « Pourquoi une nation fière comme la nôtre, consciente de sa grandeur, à la recherche d’une place commerciale de premier plan dans le monde deviendrait un membre de seconde zone de l’Union européenne  ». Je pense qu’ils décideront alors d’organiser un second référendum.



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