Louis CAMARA : ‘ El Hadj DIOUF a le talent pour rayonner dans cette équipe du Sénégal ’

Elégant milieu du terrain des ‘Lions’ du Sénégal des années 60/70, le maestro Babacar Louis Camara, en acteur avisé du football, sort enfin de sa réserve. Et c’est pour donner des indications sur comment relever le football local, jeter un regard introspectif sur l’avenir de son club le Diaraf de Dakar secoué par une crise sans précédent. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, l’ancien capitaine du Diaraf et de l’équipe nationale du Sénégal parle des chances des ‘Lions’ du Sénégal à la Can 2008, après avoir interrogé leur environnement marqué par des problèmes d’intendance de Caire 86 à nos jours. Il décortique également le système de jeu qu’il faut pour les ‘Lions’, parle des hommes qu’il faut pour gagner la coupe d’Afrique qui est à la portée de cette équipe du Sénégal, mais également d’El Hadji Diouf, de Batéfémy Gomis et de Bayal Sall. Entretien

Wal Fadjri : De loin, comment comprenez-vous la crise du football sénégalais ?

Louis Camara : Le football sénégalais est en crise parce que ses dirigeants viennent dans le monde du football non pas en tant qu’éducateurs, mais pour autre chose, qui n’a rien avec le football. Il faut pour le football sénégalais des gens qui sont motivés par des raisons qui sont sportives, et non pas pour des raisons matérielles et pécuniaires.

Wal Fadjri : N’avez-vous pas une part de responsabilité dans cette situation, vous - les anciens footballeurs - qui refusez de vous impliquer dans la gestion de ce football, à l’image de vos contemporains africains ?

Louis Camara : Je suis assez souvent interpellé, puisque j’ai pris du recul par rapport à la gestion du football sénégalais, d’autant que j’avais des occupations professionnelles qui ne me laissaient pas le temps de m’occuper du football. Pour autant, je ne suis pas coupé du football de ce pays et de celui professionnel que je suis régulièrement. Je suis d’avis que les anciens footballeurs doivent s’impliquer, pendant qu’il est temps. Il va falloir nous battre pour reprendre notre place dans le tissu du football sénégalais. Il y a un phénomène dans ce pays : ceux qui dirigent ce football font des blocages et mettent des garde-fous, nous font la guerre pour ne pas nous laisser entrer dans les instances dirigeantes du football sénégalais. C’est difficile, mais je pense qu’il se fait tard et il faut que les gens osent dire la vérité, élèvent la voix pour se faire entendre. Certains comme Yatma Diop, Mame Touty Diop, Cheikh Seck, Ndoffène Fall, Koto s’impliquent avec des fortunes diverses, et c’est à nous de venir leur prêter main-forte, pour la revendication de notre place dans le football de notre pays. Il y a une crise dans notre football, il faut que le football revienne aux anciens footballeurs. C’est essentiel.

Wal Fadjri : Bientôt la coupe d’Afrique des nations. La bande à El Hadj Diouf qui se rendra en janvier prochain au Ghana n’est-elle pas meilleure que celle de votre époque ?

Louis Camara : Nous allons à une coupe d’Afrique au Ghana dans trois à quatre mois et le Sénégal a des chances réelles de la remporter. Il peut même présenter une équipe meilleure que celles de 2000, de 2002, de 2004 et de 2006. On a des éléments qui peuvent nous valoir le succès. Mais il faut que cette équipe soit bâtie avec des dirigeants assez solides. Nous, nous avions des génies, des joueurs talentueux qui savaient jouer au ballon dans toute sa nudité. Chacun parmi nous était un leader dans l’équipe. Et l’on se vouait un respect mutuel. On jouait dans la collectivité, le sens de l’honneur et du devoir. C’était un sacerdoce. Nous étions une bande de copains, de joyeux lurons dans le terrain de football. On savait donner du plaisir au monde sportif. Le football était un jeu, une action quotidienne, un compagnon de route, qui nous unissait et qui nous donnait la joie de vivre et de faire plaisir aux autres.

‘Il n’y a pas de dirigeants actuellement qui peuvent mettre au pas les joueurs. Même si les ‘Lions’ sont des vedettes, il faut mettre en face d’eux des hommes de qualité, qui ont un vécu footbalistique, de fortes personnalités qui n’ont pas besoin de présents d’eux et qui savent leur parler le langage de la vérité sportive’

Wal Fadjri : Vous semblez avoir des craintes par rapport à l’environnement de l’équipe nationale à Tamalé ?

Louis Camara : Effectivement. A chaque campagne depuis Caire 86, le Sénégal a eu beaucoup de problèmes dans la gestion des joueurs et de l’environnement de l’équipe. Ce fut le cas au Mali, au Mondial asiatique, en Tunisie et en Egypte récemment. Il faut siffler la récréation à ce niveau. Il n’y a pas de dirigeants actuellement qui peuvent mettre au pas les joueurs. Même si les joueurs sont des vedettes, il faut mettre en face d’eux des hommes de qualité, qui ont un vécu footbalistique, de fortes personnalités qui n’ont pas besoin de présents d’eux et qui savent leur parler le langage de la vérité sportive. Si les joueurs n’ont aucun respect pour les dirigeants, ça pose un problème d’éthique sportive.

Wal Fadjri : Les dirigeants actuels n’ont-ils pas une culture sportive ou de vécu sportif ?

Louis Camara : Ces dirigeants sont venus au football sur le tard. Ils n’ont pas vécu réellement à l’intérieur du monde sportif. Certains te diront qu’ils ont été dans le navétane, ou été membre de la Ja, de Gorée, du Rail, etc., pour essayer de légitimer leur présence au niveau des instances dirigeantes du football sénégalais. Et ils ne savent pas qu’ils n’y sont que grâce à la défection des anciens footballeurs qui ont démissionné. Il y a des gens qui ont grandi dans le milieu sportif, ils ont joué au ballon à partir de la catégorie cadette, junior pour arriver au haut niveau avec une dimension intellectuelle qui fait qu’ils sont en droit de s’impliquer dans la gestion défaillante de notre football. Ils peuvent diriger des clubs ou des fédérations. Et personne ne viendra dire qu’untel n’a pas le cursus, ni les qualités intellectuelles et morales pour diriger le football sénégalais. Il faut que les gens acceptent. En Europe, vous avez les Platini, Beckenbauer, au Mali vous avez Salif Keita, Saboteur et autres, en Guinée, Chérif Souleymane, Petit Sory, etc., en Rdc, au Maghreb aussi bien au Maroc, qu’en Egypte en passant par la Tunisie, la transition a été faite sans anicroche avec les anciens internationaux de ces pays respectifs.

Wal Fadjri : Quel encadrement pour les ‘Lions’ durant cette coupe d’Afrique ?

Louis Camara : Je pense humblement qu’il faut, à côté de la fédération et du ministère, des gens de forte personnalité, qui peuvent dire des vérités sportives aux joueurs, lire le football comme eux à partir des gradins et leur dire la conduite à tenir à la suite des entraîneurs, les motiver et les galvaniser pour les pousser davantage à la victoire. Des personnalités qui peuvent jouer ce rôle existent, je pense à El Hadji Malick Sy Souris, Youssou Ndiaye, Malick Ndao, Yatma Diop, pour ne citer que ceux-là.

Wal Fadjri : La Can, c’est dans trois mois. Le Sénégal qui est dans la poule D en compagnie de la Tunisie, de l’Afrique du Sud et de l’Angola, a-t-il des chances de sortir du lot ?

Louis Camara : Le Sénégal peut aller loin. Il peut gagner la coupe. Gagner la coupe, je le répète. Et quand on me parle de poule, moi je dis non. J’ai eu à jouer deux coupes d’Afrique. Et à chaque fois, c’est par malchance qu’on n’est pas arrivé au bout. Ce qui est sûr, le Sénégal a là une chance extraordinaire dans cette coupe d’Afrique 2008. Pourquoi je le dis, parce que simplement cette équipe est arrivée à maturité. C’est important. Ensuite, si nous prenons les joueurs individuellement, auparavant, on avait un problème au niveau axial. La défense avait souvent des problèmes. Et aujourd’hui, on a trois éléments axiaux, qui sont parmi les meilleurs actuellement en Europe. Et je cite des noms comme Diagne Faye, Malickou Diakhaté et Souleymane Diawara. Ils sont jeunes, vigoureux, bons et ils savent jouer au ballon. Et je me demande est-ce qu’il n’est pas possible de les faire jouer ensemble. Pour sécuriser notre axe central. A partir de ces éléments, on libère le jeu offensif, à partir d’une récupération défensive. Et à partir de cet instant, on a plus des arrières statiques comme d’antan, mais des arrières-ailes qui peuvent apporter un plus dans le flux et le reflux. Ils ont la capacité de récupérer le ballon en tant que défenseurs à droite ou à gauche, et ils peuvent remonter le ballon parce qu’ils ont un bon fond de jeu en tant qu’hommes du milieu, et peuvent aller jusqu’au bout de l’effort pour devenir des attaquants. Et c’est ça qui était la faiblesse fondamentale dans l’équipe du Sénégal, qui n’avait pas des arrières-ailes qui font l’apanage du football moderne, dans le jeu offensif pour remonter le ballon. Les grandes équipes maintenant, c’est la bataille des ailes. Tout cela fait à partir des ailes, pour remonter le ballon. Il nous faut des joueurs genre Abidale, Zambrota ou Evra, qui savent remonter la pente, avec un jeu offensif. On les appelle des arrières-ailes, qui sont devenus arrières-attaquants.

‘Diouf est le prototype du joueur moderne. Ceux qui disent qu’il est fini, ne savent pas jouer au football (…) C’est un joueur exceptionnel, qui tient la route et qui peut faire encore des merveilles sur le terrain. C’est un génie’

Wal Fadjri : Il faut sécuriser donc notre axe avec ces éléments, pour avoir une équipe solide. J’ai joué à un haut niveau, en professionnel à Nîmes Olympiques Club avec les Jean Michel Larqué et Henri Michel, et je sais ce que je dis.

Louis Camara : Par ailleurs, je mettrai bien volontiers à droite Bayal Sall qui sait jouer d’une manière défensive dans la récupération du ballon. Par essence même, il est homme du milieu récupérateur. Et actuellement, dans son club à Saint-Etienne, il joue comme défenseur axial, donc il est bon dans la récupération. Il a joué homme du milieu, il est bon dans la relance, il lit bien le jeu, parce qu’il joue très bien au ballon et il peut aller jusqu’au fond pour marquer des buts. Il est jeune et puissant. Je le mets à droite. A gauche, pour le même rôle et la même fonction, je mettrai Ousmane Ndoye. Ce ne sont pas des arrières. Ils ont tous les deux une bonne ouverture du jeu, et sont des animateurs et récupérateurs dans le milieu du terrain. Ils seront les dépositaires du jeu sénégalais dans l’entre-jeu ! En qualité de demis excentrés.

Wal Fadjri : Voulez-vous faire comprendre que vous avez trouvé votre remplaçant au milieu du terrain de l’équipe nationale du Sénégal en la personne de ces deux éléments ?

Louis Camara : Ecoutez, je dis qu’ils sont bons. Personne ne me contredira sur ce plan. Il faut les responsabiliser et les gonfler à bloc, les motiver et leur faire comprendre qu’ils sont les meilleurs à ce niveau. Il ne faudrait pas que les gens veuillent nous faire comprendre qu’il faut se baser sur un 4-4-2 ou un système figé dans le jeu ! Le football, c’est l’animation du jeu. C’est tellement vrai que les grandes équipes misent sur des joueurs talentueux qui ont le sens de l’initiative et du talent personnel, pour faire basculer un match en leur faveur. Au niveau de l’attaque, il faut mettre les attaquants que sont Henri Camara et Mamadou Niang, avec la consigne première de revenir défendre, comme ils le font dans leurs clubs respectifs, s’ils perdent le cuir. Il faut qu’ils fassent des sacrifices, qu’ils soient collectifs. Vient maintenant celui qui doit jouer à l’essuie-glace, le tampon entre toutes les composantes de l’équipe, qui n’est personne d’autre qu’El Hadji Diouf. Non, ne me posez pas la question de savoir s’il va revenir en équipe nationale, je dis oui. Mieux, il va présenter ses excuses au peuple sénégalais, bien qu’il ait raison, en tant que leader dans cette équipe nationale du Sénégal, d’élever la voix, pour dénoncer les errements, la mauvaise gestion de l’équipe nationale par des mains inexpertes, en matière de management. Diouf est le prototype du joueur moderne. Ceux qui disent qu’il est fini, ne savent pas jouer au football. Il a une grande expérience du football. C’est un grand monsieur du ballon rond. Tous les adversaires le respectent. C’est un joueur exceptionnel, qui tient la route et qui peut faire encore des merveilles sur le terrain. C’est un génie et il a le talent pour rayonner encore dans cette équipe du Sénégal. Et surtout que c’est un patriote, au sens large du terme. Il doit jouer derrière Henri et Niang. Ainsi, vous aurez trois animateurs dans le milieu du terrain avec Bayal, Ousmane Ndoye et Diouf. Des individualités marquantes existent dans cette équipe du Sénégal, et qui peuvent nous valoir de réelles satisfactions au Ghana l’an prochain. Je pense à Diomansy Kamara, Frédéric Mendy, le feu follet qui joue un grand rôle de déstabilisateur dans les défenses adverses. Et si on a Batéfémy Gomis qui a fait ses preuves et qui est très puissant et technique dans le jeu, le Sénégal va gagner. Ce garçon fait de grandes choses dans le football de haut niveau. S’il faut mettre quelqu’un pour aller le chercher, ce ne serait pas mauvais. Des joueurs de bon niveau existent dans cette formation des ‘Lions’, comme les Bâ, Bouba Diop, Waïgo, Sonko, Babacar Guèye,Pascal Mendy, Nguirane, Ibou Faye, Bèye, etc. L’équipe dispose de bonnes paires de rechange dans tous les domaines, ce qui est un plus pour l’encadrement technique. Mon plaisir dans cette équipe du Sénégal, c’est de retrouver Bayal Sall qui réunit les grandes qualités d’un footballeur moderne. Enfin, je pense que nos entraîneurs sont conscients de ce qui les attend. Le fonçage, c’est l’animation et le collectif. Pour preuve, il faut voir ce qui se passe à Marseille. L’entraîneur a demandé aux joueurs d’être collectifs et créatifs dans le jeu. Depuis lors, c’est un autre Marseille qui joue au ballon, avec des joueurs mobiles et prêts à mouiller le maillot pour le club. Le Sénégal a les capacités d’en faire autant, au Ghana l’année prochaine. (A suivre)