Une discipline en léthargie : La boxe mise Ko par la lutte

La boxe sénégalaise n’a pas résisté à la lutte avec frappe. Elle n’est plus visible. Pourtant, elle a fait les beaux jours du sport sénégalais. Ces dernières années, la discipline ne fait que constater l’exode de ses fans, pratiquants et techniciens, vers l’arène.

Dès que vous franchissez la porte de son salon de coiffure situé à proximité du marché Arafat à Grand Yoff, votre regard est attiré par les posters de deux géants de la boxe. Les boxeurs américains Mohamed Ali et Mike Tyson trônent dans l’antre de ce jeune coiffeur guinéen de 29 ans. Quand on demande à Sidya Bangoura qui vit au Sénégal depuis 18 ans, le nom d’un boxeur sénégalais, il répond : ‘Je ne pense pas que la boxe existe ici’. Un de ses clients sénégalais s’empresse de rectifier : ‘Si vous cherchez les boxeurs sénégalais, ils sont nombreux dans la lutte.’
Mais, où est donc passée la boxe ? Mamadou Diallo qui a pratiqué le noble art, avant d’être consécutivement entraîneur national (1971-1978), directeur technique national (1978-1980) et président du Comité national de gestion (1992-1994), diagnostique après l’avoir auscultée : ‘Malade depuis les années 90, entrée dans un coma profond en 2000, la boxe sénégalaise est morte.’ L’ancien lutteur, Boy Bambara, grand amoureux de la boxe sénégalaise, partage le diagnostic : ‘Ce sport n’existe plus. Il est mort. Il a même déjà été enterré.’

L’avènement de la lutte avec frappe est incriminé dans cette situation délicate de la discipline. Car même les entraîneurs n’ont pas échappé au tourbillon de l’arène. L’ancien ministre des Sports, Daouda Faye, avait initié un stage de formation d’entraîneurs de boxe financé par le comité olympique. A l’arrivée de Bacar Dia au ministère, le même stage toujours financé par le comité olympique a été encore organisé. ‘Ainsi, des éléments ont subi, durant deux années successives, ces formations d’entraîneur de boxe. Mais, après avoir reçu leurs diplômes, ils ont préféré intégrer le milieu de la lutte. Certains sont allés dans les écuries, d’autres sont partis monnayer leur talent auprès de grands champions de lutte pour les aider à préparer leurs combats’, indique l’ancien Dtn Mamadou Diallo. Selon lui, la raison est simple : ‘C’est parce qu’ils ne savaient pas où évoluer après leur formation.’

L’actuel président du Comité national provisoire (Cnp) de boxe, le Pr Amadou Lamine Ndiaye, parle aussi des entraîneurs qui allient boxe et lutte. ‘On ne peut pas le nier. Mais, les entraîneurs de boxe sont là. Seulement, d’autres qui ont été formés, sont allés à la lutte’, reconnaît-il. Boy Bambara ajoute que les quelques boxeurs encore actifs, ne veulent plus rester au pays, ils préfèrent aller en Europe. En bon lutteur, il tempère et avoue que la lutte avec frappe a aussi besoin de la boxe, car les deux vont de pair. ‘A l’époque, j’avais une salle où j’enseignais la lutte. A côté, il y avait une salle de boxe et mes lutteurs suivaient des cours de boxe en même temps’, explique-t-il.

Les dirigeants au banc des accusés

Le doyen Mamadou Diallo, par ailleurs ancien vice-président de la commission technique de la Confédération africaine de boxe, est formel. Selon lui, l’actuelle équipe fédérale, après avoir trouvé la discipline dans le coma, a fini par la tuer. Il renseigne qu’il y a des éléments qui sont dans la boxe sénégalaise depuis 20 ans, mais qui sont nuisibles à la discipline. ‘Ils ne sont là que pour leurs intérêts personnels. Leur objectif, c’est toucher des per diem et des primes, participer à des congrès internationaux pour être membres de la Confédération africaine ou experts de l’Association internationale de boxe amateur, voyager pour former des entraîneurs à travers l’Afrique’, accuse-t-il.

Boy Bambara est aussi du même avis : ‘Les dirigeants actuels de la boxe ne se tuent pas pour faire avancer la discipline. Ils doivent mettre dans leur tête que s’ils sont élus, c’est pour remplir une mission qui n’est rien d’autre que de développer la discipline.’ Mamadou Diallo rappelle à ses camarades qu’avant de prétendre à être membre de la Confédération africaine, il faut d’abord remplir la mission que leur a chargée le ministère. ‘Le premier point dans le cahier des charges du ministère, c’est de passer du statut de Cnp à celui de fédération. Mais pour y arriver, il faut d’abord installer des Ligues ou Comités régionaux provisoires (Crp), puis créer des clubs dans les régions et organiser un championnat par région.’ Après avoir consacré trois quarts de sa vie à la boxe sénégalaise, Mamadou Diallo se sent responsable de la situation que traverse la discipline : ‘J’ai laissé la discipline entre des mains inexpertes. Ce sont des gens qui font tout sauf de la boxe. J’ai préparé une mauvaise relève.’ Le malheur au Sénégal, selon Boy Bambara, c’est que la plupart des personnes qui gèrent les fédérations sportives, ne connaissent même pas leur discipline.

Face à toutes ces critiques, l’actuel bureau fédéral refuse de verser dans la polémique. Il réfute la thèse de la mort du noble art au Sénégal. ‘La boxe ne peut pas mourir tant que ses dirigeants sont vivants. On est là en pleine forme’, déclare, d’un ton moqueur, le président du Cnp. ‘La boxe sénégalaise est bien vivante’, s’exclame-t-il. Pour faire taire ses détracteurs, le professeur Amadou Lamine Ndiaye sort le grand jeu. Il renvoie aux statistiques. Il informe que la discipline compte actuellement 566 licenciés, dont 400 seniors, 50 juniors, 80 cadets, 20 minimes, 6 filles. ‘Nous avons 50 entraîneurs répartis dans tout le Sénégal et 20 arbitres, dont deux juges continentaux et un juge arbitre international’, comptabilise-t-il fièrement. Le président du Cnp révèle aussi que, depuis 2004, la boxe sénégalaise a décroché au total 48 médailles en Coupe d’Afrique et aux Jeux de la francophonie, dont 11 en or, 14 en argent et 16 en bronze.