Longtemps associés aux contenus de divertissement ou à la promotion commerciale, de nombreux influenceurs sénégalais se repositionnent aujourd’hui comme figures centrales de l’espace public numérique. En mobilisant d’importantes communautés en ligne, ils participent désormais au façonnement de l’opinion politique, redessinant les contours du débat démocratique.
Une parole politique de plus en plus assumée
À l’image de Ibrahima Khaliloulah Niang, plus connu sous le nom de Thiat du groupe Keur Gui, certains influenceurs ont fait de leur plateforme un outil de critique sociale et politique directe. D’autres, comme Bougane Guèye Dany, bien que figure des médias classiques à l’origine, ont largement investi les réseaux sociaux pour construire un discours politique alternatif et y mobiliser une audience engagée. On peut aussi citer Aliou Sané (Y’en a marre), ou encore des créateurs comme Ameth Thiou ou Momo Wade, qui prennent parfois position sur l’actualité nationale ou les figures politiques, notamment lors des périodes électorales.
Pendant la présidentielle de 2024, plusieurs influenceurs se sont positionnés, de manière explicite ou subtile, en faveur ou en opposition à certains candidats. Certains ont relayé des messages critiques contre l’ancien régime, d’autres ont exprimé leur soutien à Bassirou Diomaye Faye, surfant sur la vague de changement portée par le discours de rupture.
Un changement de codes et de publics
Loin du ton neutre ou institutionnel des médias classiques, ces figures numériques s’adressent à leur public en wolof ou en français courant, avec humour, émotion ou provocation, pour renforcer leur proximité. Ce style direct leur permet de toucher une frange importante de la jeunesse urbaine et périurbaine, parfois éloignée des débats politiques traditionnels. Cette captation d’attention modifie profondément les dynamiques d’influence, jusque dans les stratégies des partis eux-mêmes, qui tentent désormais de rallier certains créateurs à leur communication.
Des voix qui influencent, dans un cadre encore peu régulé
La montée en puissance de ces figures numériques soulève néanmoins certaines interrogations. La viralité des contenus, l’absence de règles éditoriales communes ou la difficulté à distinguer clairement entre engagement sincère et communication d’intérêt peuvent, dans certains cas, alimenter des malentendus sur la nature des prises de position. Certaines publications à connotation politique suscitent parfois des interrogations sur leur degré d’indépendance, sans que cela ne remette fondamentalement en cause la légitimité des opinions exprimées.
Vers un nouvel équilibre médiatique et politique ?
Dans un environnement où les médias classiques perdent de l’audience chez les jeunes, les influenceurs comblent un vide informationnel tout en imposant leurs propres logiques de communication. S’ils ne remplacent pas les partis, ni les journalistes, ils imposent cependant une nouvelle grammaire de l’influence politique, fondée sur la visibilité, l’émotion et la personnalisation des prises de position.
Leur impact, encore difficile à mesurer scientifiquement, reflète toutefois une mutation plus large de la participation politique : plus fragmentée, plus directe, mais aussi plus volatile. Une tendance qui pourrait à terme remodeler les formes d’engagement et de leadership au Sénégal.
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