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Cannes 2016 : yeux dans les yeux avec les victimes de l'ex-dictateur tchadien Habré

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© Pili Films | Photo extraitre de "Hissein Habré, une tragédie tchadienne", de Mahamat-Saleh Haroun

Alors que l’ex-dictateur tchadien est actuellement jugé à Dakar pour crimes contre l’humanité, le documentaire "Hissein Habré : une tragédie tchadienne", présenté en séance spéciale à Cannes, donne la parole à ses victimes. Sans pathos.

François marche avec de plus en plus de difficulté. Et craint de perdre l’usage de ses jambes. L’IRM qu’il vient de passer dans un hôpital de N’Djamena ne laisse guère de place au doute. "On voit bien d’où vient le mal", analyse le médecin. Ce sont ses années de détention dans les geôles d’Hissène Habré (orthographié "Hissein" dans le film) qui sont à l’origine de sa dégénérescence motrice : exactions, tortures, malnutrition ont sérieusement affecté le cerveau et la moelle épinière. Un quart de siècle après la fuite du dictateur tchadien au Sénégal, le processus de déshumanisation mis en place durant ses huit ans de règne (1982-1990) agit toujours. Comme un lent poison.

Vivre avec le mal, telle est cette tragédie tchadienne que filme Mahamat-Saleh Haroun dans son documentaire* présenté, lundi 16 mai, en séance spéciale au Festival de Cannes. Aucune archive audiovisuelle, aucune reconstitution. De la dictature à proprement parlée nous ne voyons rien. L’essentiel du film est consacré au récit des rescapés de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), la police politique du régime Habré responsable de la mort de près de 40 000 personnes, selon les estimations d’une commission d’enquête tchadienne.

« La banalisation de la mort »

Ce qui frappe dans ces 82 minutes de témoignages, c’est l’économie de moyen, l’aridité du dispositif, l’absence de tout artifice narratif qui aurait eu l’indélicatesse de surligner l’horreur. Livrés sans fard – mais sans voyeurisme -, la parole et les visages des anciens détenus, filmés en gros plans, suffisent à mesurer les souffrances provoquées par la machine de mort des années Habré. L’un arbore une large cicatrice sur la nuque, l’autre un œil crevé. L’un raconte que les tortionnaires enfonçaient une aiguille dans le cerveau des prisonniers afin de leur faire perdre la raison, l’autre confesse avoir plusieurs fois souhaité le décès de ses codétenus pour avoir plus de place dans sa cellule. « Le pire, c’est la banalisation de la mort », rapporte Clément Abaïfouta, dont le calme et la lucidité des propos tranchent avec la violence des sévices subis.

Ce rescapé de 58 ans a passé quatre ans et trois mois dans les geôles de la DDS où il était chargé d’enterrer les morts. « Je ne suis plus qu’une moitié d’homme », confie-t-il. Cette perte-là, Clément Abaïfouta tentera de la combler en portant la voix de tous ceux qui ont mené la longue bataille visant à juger l’ex-dictateur tchadien. Au sein de l’Association des victimes des crimes du régime d’Hissène Habré (AVCRHH), qui a porté plainte contre l’ancien homme fort de N’Djamena, il a œuvré des années durant pour que justice soit faite, et que les rescapés recouvrent cette part d’humanité qu’on leur a ôtée.

La force du film de Mahamat-Saleh Haroun tient en ce qu’il filme pudiquement cette obstination carburant à l’espoir. D’abord tenté de se mettre en scène, le cinéaste tchadien s’efface progressivement derrière Clément Abaïfouta, laissant cette force tranquille interroger les victimes ou jouer les réconciliateurs à l’écran, comme, lors de cette scène, où il confronte un ex-détenu à son ancien tortionnaire, qui n’est autre qu’un voisin.

Débusquer le mal

La terreur comme celle qui fut instillée par le régime d’Hissein Habré n’est pas uniquement une tragédie tchadienne. Si le témoignage de ces rescapés porte autant c’est parce qu’il fait écho à bien d’autres dictatures, passées ou actuellement à l’œuvre.

Il y a deux ans à Cannes – également en séance spéciale –, « Eau argentée, Syrie autoportait » d’Oussama Mohammad et Wiam Simav Bedirxan s’attachait, à l’aide d’images amateur, à mettre au jour les massacres orchestrés par le pouvoir de Bachar al-Assad, une tragédie qui nous est contemporaine. Bien que moins radical dans son approche formelle, Mahamat-Saleh Haroun, lui aussi, essaie avec les moyens dont il dispose de débusquer le mal qui a rongé son pays. Or il n’a que les corps et les mots des victimes à offrir.

Avec l’ouverture en 2015 du procès d’Hissein Habré à Dakar, où il avait été arrêté deux ans plus tôt, le documentaire s’achève sur la promesse de voir le bourreau répondre de ses actes. Las, dès la première audience, l’accusé, visage camouflé sous un voile, refuse de se soumettre à la cour. Autre désillusion : l’absence de procédure visant les États-Unis, la France ou encore l’Égypte soupçonnés d’avoir soutenu le président Habré.

" Quel péché avons-nous commis pour avoir mérité cela ?", s’interroge Clément Abaïfouta. D’où vient-il ce mal capable de détruire et d’humilier tout un peuple ? Il n’existe encore aucun IRM capable d’y répondre.

* "Hissein Habré, une tragédie tchadienne" de Mahamat-Saleh Haroun, 1 h 22.



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