LA DEMOCRATIE SERAIT-ELLE DEVENUE IDIOTE ?

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  • Article ajouté le : 10 Samedi, 2022 à 19h09
  • Author: abdoulaye taye

LA DEMOCRATIE SERAIT-ELLE DEVENUE IDIOTE ?

L’évolution du modèle démocratique s’est manifestée sous forme de société incarnée par un régime, un gouvernement et des activités civiques consolidée dans un Etat de droit et un système électoral. L’histoire des régimes politiques est liée à l’histoire des batailles pour des acquis démocratiques. La demande démocratique est le carburant qui a alimenté et continue d’alimenter le moteur des mutations des systèmes socio-politiques et socio-économiques. Les formations socio-économiques du passé, du présent et certainement du futur ne reflètent que les images plus ou moins populaires des révolutions démocratiques successives. Toutes les révolutions religieuses, sociales, économiques et politiques sont marquées par la demande démocratique qui, à ses débuts, ne s’est exprimée que sous la forme d’une demande d’égalité entre les hommes. Les rapports sociaux entre maitre et esclave, noble et serf, noir et blanc et enfin bourgeois et prolétaire ont vu leurs contradictions stigmatisées par les revendications d’égalité au fil du temps. L’aspiration profonde des citoyens à être des semblables libres et indépendants mais aussi à jouir du droit de s’exprimer et de participer s’exclame dorénavant par la demande d’égalité. Mais cette croisade contre les privilèges attribués par le statut social, le rang social, la race, le sang qui marque le début de la révolution du droit à l’égalité se métamorphose désormais en un combat contre les inégalités sociales et économiques. L’évolution de la conscience et de la sensibilité démocratique se traduit donc par la demande sociale pour de meilleures conditions d’existence. Le droit de se nourrir, de se loger, de se vêtir, de se soigner, de s’instruire dans la dignité et la décence fonde la nouvelle demande démocratique. Elle revendique certes la reconnaissance du droit d’égalité mais également et surtout une distribution équitable des opportunités, des possibilités et des revenus. L’égalité comme rapport social évolue en une égalité comme répartition équitable des revenus. La demande démocratique se confond dès lors à la demande sociale insatisfaite. Il sied ici de préciser à juste titre que la légitimité démocratique des politiques repose sur la satisfaction de la demande sociale et le renforcement des conditions démocratiques tandis que la légitimité électorale ne leur confère qu’un mandat.

On peut se désoler cependant que la démocratie en tant que révolution juridique et sociale se mue de nos jours en populisme réceptacle des frustrations, des indignations et des insatisfactions de toutes sortes. Les discours des leaders épousent le profil et suivent la pente de l’opinion en dehors de toute responsabilité. Ils versent dans la démagogie, la manipulation et l’hypocrisie afin d’instrumentaliser la colère des masses à des buts électoraux. L’électoralisme et le démocratisme prennent des galons. L’ethnicisme (Podor, Matam), le régionalisme (Ziguinchor, Bignona), le paupérisme, la partisannerie se révèlent de manière regrettable comme des déterminants et des motivations de l’acte électoral. N’avons-nous pas perdu le bon sens démocratique, ne sommes-nous pas devenus des électeurs idiots, irrationnels et émotionnels dont le vote inconscient envoie à l’assemblée des promoteurs de l’infidélité, du mensonge, de l’outrage et de la violence (PIMOV) à la place de candidats compétents et responsables? Ne nous sommes-nous pas transformés en bétail électoral, une masse d’individus inconscients qui ignorent le sens de la qualité, de la rationalité et de l’efficacité électorale ? Nos maires, nos députés et nos présidents sont élus par une majorité dont le comportement électoral est aux antipodes de l’éthique et de la conscience démocratique.

En outre, les partis, écoles de pensées et incubateurs d’idées et de stratégies par définition, se noient dans des coalitions électoralistes melting-pots qui ne se justifient que par l’appétit du pouvoir. Des socialistes et des libéraux pressés et assoiffés de pouvoir se coalisent contre des socialistes et des libéraux avides de pouvoir, les premiers pour le conquérir et les derniers pour le conserver. Les idéologies politiques et les programmes sont rangés au placard. Ils ne comptent plus, ils sont devenus des carcans encombrants dont il faut se débarrasser. Connaitre la dynamique et les mécanismes de formation de l’opinion pour la maitriser et la manipuler à leurs fins avec succès devient pour eux la seule préoccupation utile. Les acteurs politiques s’accordent implicitement dans un élan d’unanimisme autour de la fatalité d’un système socioéconomique libéral immuable et appauvrissant. La demande sociale muette et orpheline sanglote dans sa solitude.

Les promesses de la démocratie s’évanouissent de plus en plus dans les méandres du démocratisme et du populisme pour émerger sous forme d’instabilités politiques et sociales destructrices de cohésion nationale. La démocratie électorale parait être la démocratie des frustrés, des indignés, des insatisfaits, des ignorants, des inconscients, des mal informés, des recalés du système socioéconomique qui ont toutes les raisons de secouer l’arbre. La démocratie engluée dans une nature humaine de plus en plus égoïste, individualiste, orgueilleuse et dépravée à l’image des réseaux sociaux et des séries télévisuelles s’étouffe dans son accoutrement bigarré qui masque sa véritable identité.

Enfin, l’assemblée issue des élections du 31 juillet 2022 qui ne sont législatives que de nom, est un scandale électoral dans l’histoire de la démocratie (électorale) au Sénégal. Une élection c’est une éthique et des règles à respecter. Imaginons un instant quel tollé l’immixtion du président de la république dans la campagne des législatives aurait provoqué ! Certains députés de la nouvelle législature n’ont d’ailleurs aucune obligation de rendre compte aux électeurs qui, par faute de ne pas les connaitre ou les identifier, ne pouvaient pas les élire. Par conséquent ne serait-il pas juste de se poser des questions sur leur légitimité électorale ?

La démocratie exprime de l’amour et de la sagesse, elle est une opinion consciente, intelligente, constructive et bien informée. Elle n’est ni ignorante ni rebelle ni inconsciente encore moins haineuse. Osons réhabiliter la démocratie en lui rendant ses galons dorés ! La démocratie est une philosophie de la liberté et du développement qui dépasse l’opposition d’opposition pour se fondre en une opposition de proposition contre un gouvernement incompétent et corrompu.

Dr Abdoulaye Taye

Enseignant-chercheur à l’Université Alioune Diop à Bambey

Initiateur du projet rbg-amo

Contribution parue dans :

WalfQuotidien N° 9134 du jeudi 08 septembre 2022

L’AS Quotidien N° 5056 du jeudi 08 septembre 2022

DAKARTIMES N°1576 du mardi 06 septembre 2022


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