Opinion sur les rapports de l’OFNAC 2019 à 2021

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Opinion sur les rapports de l’OFNAC 2019 à 2021

 

NOTE DE LECTURE

 

Les rapports produits par l’OFNAC, couvrant les périodes 2019, 2020 et 2021, traitent de plusieurs types d’activités. Il faut d’ailleurs le rappeler : ce sont des rapports d’activités, de comptes rendus de de la période précitée, pas forcément d’analyse approfondie permettant à un lecteur de se risquer à interpréter ce qui s’est passé en termes d’investigations et de conclusions sur les fraudes. En tant qu’expert-consultant international sur ces questions qui pendant longtemps a adhéré  à de nombreux organismes de normalisation (ACFE, AIG/USA, etc.) et produit des réflexions sur ces enjeux, j’émets une opinion de citoyen et d’expert.  De mon point de vue, il faut d’ailleurs encourager de telles attitudes de sorte que d’autres experts, des lobbies, des cabinets, bureaux de rating, associations d’experts indépendants puissent se prononcer sur les travaux de l’administration publique et les activités de politiques, au besoin. Pour des raisons pratiques, cette note concerne l’activité « prévention » présentée dans les trois rapports susvisés. Nous reviendrions au besoin la dimension « Investigations » également visée.

 

I.                    SUR LES DEVELOPPEMENTS DU RAPPORT RELATIFS A LA PREVENTION

 

Les trois rapports décrivent la nature des activités que l’OFNAC mène, sans les intégrer dans des tableaux statistiques et des graphes bien architecturés, ce qui aurait accru la lisibilité, surtout si ces informations sont récapitulées d’année en année. Ces activités de prévention concernent différentes initiatives notamment des journées et des ateliers de diagnostic, de partage, de sensibilisation, d’information et de communication parmi lesquelles des journées régionales de prévention ou africaines de lutte contre la corruption, des ateliers de diagnostic des vulnérabilités et également des randonnées pédestres, visites d’écoles, d’instituts, etc.

 

Il faut saluer les efforts faits par l’OFNAC en dépit de contraintes qui semblent dépasser l’institution.  Les rapports recommandent des mesures qui permettraient d’améliorer les dispositifs de sensibilisation et de prévention d’une part, la mention obligatoire des déclarations de patrimoine au niveau des décrets de nomination des personnes assujetties avec transmission des copies de décret à l’OFNAC , d’autre part, la transmission systématique à l’OFNAC de la liste actualisée des assujettis en tenant compte de l’évolution des ressources budgétaires que ces personnes administrent et enfin l’amélioration du cadre juridique sur les lanceurs d’alerte et les dénonciateurs par une législation appropriée, leur protection et celle des victimes du fait des leurs dénonciations. Ces propositions sont pertinentes, mais elles devront probablement être plus audacieuses et impulsées par un leadership vraiment décidé au sommet, qui donne de la voix, « Tone at The Top », comme on dit aujourd’hui…

 

II.                    APPROCHE CRITIQUE ET DYNAMIQUE

 

En l’état actuel, à notre avis, par rapport aux normes et bonnes pratiques des examinateurs de fraudes de classe internationale, plusieurs initiatives de prévention et de lutte contre la fraude et la corruption proposées, bien qu’utiles, sont cosmétiques. Elles privilégient une vision principalement juridique, naïve, simpliste, que la réglementation et la législation permettraient de régler les problèmes de fraude. Elles ne tirent pas suffisamment les leçons qu’offrent les meilleures et les bonnes pratiques internationales. Un tel choix aurait supposé une stratégie et des politiques encourageant l’Etat, ses différentes unités administratives, quel que soit leur statut, les entreprises privées et autres organisations, à considérer la fraude comme un élément de management et de gouvernance internes des organisations publiques et privées. C’est cela est un chantier pertinent.

 

La stratégie et les politiques nationales de prévention devraient avoir comme credo « construire une société et des organisations publiques et privées plus résistantes à la fraude » ce qui supposerait d’agir au-dedans des systèmes, des dispositifs de management, de gouvernance et de surveillance. Une telle approche que l’on peut trouver dans plusieurs modèles et référentiels, notamment COSO, ACFE, IIA, etc., induit les perspectives suivantes :

 

-            Développer la prise de conscience et amener les organisations publiques ou privées à se poser la question suivante : suis-je vraiment en train de gérer les risques de fraudes et/ou de corruption à mon niveau ?

-            Au-delà des analyses de vulnérabilité par secteur, doter les organisations publiques ou privées des outils de gestion, d’évaluation et d’auto-évaluation de la fraude/ des risques de fraude, de sorte que l’OFNAC ou les autres auditeurs de l’Etat puissent implémenter une démarche d’audit basée sur les risques de fraudes, à l’entame de leurs missions de détection ;

-            Instituer au sein de la société et des organisations susvisées des référentiels de gestion, d’évaluation et d’auto-évaluation des risques de fraude, notamment une sérieuse réforme de l’audit interne face aux dits risques de fraudes et de corruption ;

-            Instituer au sein de ces organisations des plans de gestion, de prévention et de réponse à la fraude dont plusieurs modèles existent au niveau international et permettent de décliner des objectifs, des actions et initiatives, des « Red flag » et indices de fraudes dument conceptualisés et auxquels les acteurs et parties prenantes sont formés ;

-            Réformer, voire moderniser, le management public pour y intégrer une chaine cohérente de planification stratégique qui prend en compte les risques de non-atteinte des objectifs et parmi ceux-ci les risques liés aux fraudes et à la stratégie des fraudeurs ; en sus une telle réforme officialiserait l’idée et des pratiques de management de la performance, des contrôles internes, de fortes et indépendantes instances de gouvernance et surveillance/attestation contrôlant effectivement le management et les manageurs ;

-            une organisation interne de classe internationale pour la transparence, l’intégrité et l’éthique qui met en interaction des manageurs opérationnels de 1ère ligne, ceux de 2ème ligne (les superviseurs) et les professionnels de la 3ème ligne de défense (les enquêteurs, les auditeurs ou autres investigateurs et auditeurs) et corrélativement l’internalisation de principes directeurs issus de dispositifs comme le COSO et d’autres modèles voisins régissant les contrôles internes et l’obligation de rendre compte ;

-            un secteur public fort où les fonctionnaires et les agents public sont insensibles aux pressions (voir les différentes doctrines du triangle de la fraude, du MICE, du diamant de la fraude, du Fudge Factor, du SMORC par exemple) et sont régulièrement formés et éduqués sur les Red-flags, les risques de fraudes, les profils et comportements frauduleux, les codes de conduite et d’éthique, etc.) ;

-            au-delà de la recommandation relative à la protection des lanceurs d’alerte et des dénonciateurs, instituer un dispositif de False Claim Act[1] et d’intéressement sur les amendes et recouvrements desdits dénonciateurs en cas de confirmation par la justice des sommes détournées ;

-            Une sérieuse refonte de la gouvernance d’entreprise par des reporting issus des comités des instances de gouvernance d’entreprise (conseil d’administration et ses comités de risque, d’audit interne, etc.) ;

-            la refonte de l’audit et des vérifications internes ;

-            la banalisation des modèles et référentiels de management, d’évaluation et d’auto-évaluations des risques de fraude à l’instar des codes d’éthique, helplines pour les lanceurs d’alerte, hotlines pour les corps de contrôle, guides de contrôle interne, grilles maturité, guides prévention et d’auto-évaluation ;

-            la professionnalisation des enquêteurs et investigateurs par le renforcement de leurs capacités en compréhension des modus operandi, des profils des fraudeurs, des indicateurs et Red flags, les auto-évaluations fondées sur « Fraud Scorecard » et grilles de maturité pour évaluer l’efficacité des systèmes de prévention ou de détection, etc.)

 

En résumé, le benchmarking et plusieurs études et référentiels formulés au niveau international établissent au moins les leviers majeurs suivants:

-            la prévention qui suppose un environnement de contrôle refondé (voir les propositions de COSO, à cet égard), une gouvernance des risques de fraudes formalisée ;

-            des programmes de gestion des risques de fraudes que des structures comme l’OFNAC et les autres corps de contrôle doivent promouvoir et informer le gouvernement et les manageurs sur de tels outils et référentiels ;

-            une architecture de collaboration entre le management, la gouvernance et les surveillants (auditeurs internes, conseils d’administration, organes de normalisation et d’harmonisation, les comités des conseils d’administration, etc.) ;

-            des dispositifs d’évaluations périodiques des risques de fraudes pour anticiper et identifier les modi operandi des pratiques frauduleuses ainsi que les évènements qui leur sont liés ;

-            des techniques et des approches de prévention permettant de mettre à nu les cas et les pratiques de fraudes (whistleblowers, hotlines/helplines, protection des WhistleBlowers, etc.) ;

-            une approche coordonnée, harmonisée et formalisée qui donne l’assurance que les risques de fraudes sont traités, à temps (réception des plaintes, évaluation des allégations, protocoles d’investigation, rapports), etc.

 

En dépit de ces contributions, certaines propositions du rapport sont pertinentes, notamment l’impératif d’une législation appropriée sur les lanceurs d’alertes et dénonciateurs (whistleblowers), faudrait-il encore que cette législation soit compétitive par rapport aux meilleurs dispositifs  de ce type existantes (Voir nos propositions ci-dessus). Cela suppose la capacité du Département ou des unités en charge de la prévention à formaliser une démarche qui va au-delà des réunions, focus groupes ou ateliers sur le plan national ou international.

 

Au total, la lutte contre la corruption et les fraudes suppose une approche systémique que nous avons tentée de résumer le plus brièvement possible et permettant d’agir sur la culture organisationnelle et les risques de fraude (prévenir vaut mieux que guérir). Elle invite à créer et à développer un environnement de contrôle de classe internationale, ce qui suppose d’instituer des stratégies et des politiques de contrôles internes, de développer des plans de gestion des risques, des outils d’évaluation et d’auto-évaluation, de diagnostic de maturité des systèmes et dispositifs existants.

Tous ces principes, stratégies, référentiels que nous avons cités sont à formaliser par une vision, des outils, des plans, des guides, des coachings et ateliers de renforcement des capacités.  Mais, naturellement, rien ne saurait remplacer un leadership et une gouvernance de classe internationale, une recherche de ce niveau également, lesquels les clés majeures de succès.

 

Un dispositif anti-fraude de maturité élevée (par exemple note 4 à 5 sur une grille Likert) est à ce prix.

 

Abdou Karim GUEYE, Auteur. Inspecteur général d’Etat à la retraite. Ancien Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal. Expert international en Gouvernance, Management public et Transformation. Mes sites web et blogs : https://softhinking.net/https://africamonitors.com/  - https://learning-coaching-and-training.thinkific.com/

 


[1] La False Claims Act est un mécanisme qui permet aux citoyens ayant des preuves de fraude contre les contrats et programmes gouvernementaux de s’impliquer pour poursuivre, au nom du gouvernement, les présumés fraudeurs afin de faire récupérer les fonds volés. En compensation du risque et des efforts liés au dépôt d'un dossier Qui Tam, le citoyen-dénonciateur peut se voir attribuer une partie des fonds récupérés, généralement entre 15 et 25%. Une poursuite de ce genre reste initialement sous scellés pendant au moins 60 jours au cours desquels le ministère de la Justice peut enquêter et décider de se joindre ou non à l'action. Par cette loi et ses amendements, En 1986, le Congrès a mis en place un puissant mécanisme de partenariat public-privé pour découvrir la fraude récupérer le maximum de fonds détournés au profit des contribuables américains.


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