Voici Pourquoi Les Sondages d'Opinion Sont Inutiles Et Contreproductifs Au Sénégal

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Voici Pourquoi Les Sondages d'Opinion Sont Inutiles Et Contreproductifs Au Sénégal

Par Ousseynou Nar GUEYE

73 %. Passablement effarés, l’on a récemment appris que c’est le pourcentage de Sénégalais qui estiment que la situation économique va s'améliorer au cours des prochaines années. 

C’est le résultat d’une enquête, réalisée dans 44 pays, auprès de 48 643 répondants au printemps 2014, publiée par le think thank américain spécialisé dans les sujets controversés, Pew Research Center.

En ce qui concerne l'Afrique, l'enquête a été menée dans 9 pays et elle révèle que c'est la région du monde la plus optimiste : 59 % des Africains interrogés estiment que la situation de leur pays va évoluer positivement.

Un taux largement supérieur à celui des Européens et des Moyen-Orientaux qui sont dans leur grande majorité insatisfaits. Alors que le moral des opinions publiques mondiales est bas et que les populations perçoivent négativement les performances économiques de leur pays, l'Afrique, le Sénégal en tête, détonne par son optimisme et sa confiance dans le futur.

Ce résultat fait des Sénégalais le peuple le plus optimiste au monde.

Plus justement, pour qui connait le Sénégal, ce résultat fait de ses habitants le peuple le plus fataliste au monde. Bien qu’il s’agisse d’une fatalité qui positive.

Ceci nous amène à parler de la relation ambivalente entre les Sénégalais et les sondages.

Selon le conseiller technologique établi au Sénégal Philippe Panzini, parlant cette fois des enquêtes de médiamétrie et de l’audimat des télévisions qui n’est que sporadiquement mesuré (au mieux une fois par an), « le sondage est un thermomètre, qui doit être fiable, et qui est utilisé par un professionnel accrédité pour prendre la température des "patients" ». De plus, comme le souligne Panzini, quand on exprime les résultats d’un sondage, on doit qualifier en même temps les conditions du sondage, le commanditaire du sondage, la marge d’erreur, l’intervalle de confiance, etc. Et c’est à la presse d’interpréter la signification de ces qualifications, afin d’édifier le public.

Le problème, c’est que les Sénégalais toujours prompts à répondre ‘‘ça va bien, alhamdoullilah’’quand on s’enquiert de leur état de santé, seraient-ils même à l’article de la mort, ne sont pas une espèce humaine « sondageo-compatible ».

Dans ce pays, dire les choses crûment et comme on les pense est considéré comme discourtois et « mal-civilisé » par le citoyen lambda.

Les Sénégalais ont totalement fait sien l’adage voltairien, selon lequel« dire le secret d'autrui est une trahison, dire le sien est une sottise. » Ils considèrent comme relevant du secret-défense leur nombre d'enfants (dans les campagnes), leur nombre d'épouses (dans les cités religieuses), le montant de leur salaire (à Dakar) et leur choix dans l'isoloir (partout au Sénégal).

La plus grande partie des candidats, défaits aux élections locales de juin dernier,  l’ont appris à leurs dépens : dans leurs visites de proximité aux électeurs, ils s’entendaient tous dire que la maisonnée les soutenaient de leurs prières et leur garantissait leurs votes le jour de l’élection.

Autre chose, du fait de la loi, les sondages d’opinion restent un tabou dans le débat politique. Ce tabou légal n’a pas été levé par les travaux de la CNRI pilotée par Ahmadou Makhtar Mbow, qui n’a rien proposé à ce sujet dans ces offres de réformes constitutionnelles.

Les enquêtes offrent peu de garanties de fiabilité, puisqu’on ignore la plupart du temps qui les a faites et suivant quelle méthodologie, et surtout en raison du caractère rétif du Sénégalais à dire le fond de sa pensée.

La loi de 1986 qui visait à organiser les sondages au Sénégal est une loi contraignante et inopérante.

Selon ce texte, il faut une autorisation préalable pour réaliser un sondage et une autre autorisation pour en livrer les résultats.

Cette loi du 14 avril 1986, dans son exposé des motifs, avait pour ambition de « protéger l’opinion publique sénégalaise contre toute manipulation à des fins politiques ou commerciales » face à « certains sondages ne respectant pas un minimum de règles techniques indispensables à leur fiabilité ». Aujourdhui, elle favorise ces manipulations… 

Disposition qui vide les sondages de leur utilité, le texte interdit (article 20) la publication de sondages en période préélectorale : « La publication ou la diffusion de tout sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum ou une élection réglementée par le code électoral est interdite à compter de la date de publication au journal officiel du décret portant convocation du corps électoral jusqu’à la publication définitive des résultats du scrutin ». Ce qui peut conduire à la situation aberrante d’interdire les sondages d’opinion une année avant une élection !

Celui qui publie des sondages à l’approche d’une élection risque gros?: de un à trois ans de prison et une amende pouvant atteindre 1,5 million de F CFA.

La loi soumet par ailleurs la publication des sondages à deux validations : la détention, par l’organisme qui procède à l’enquête, d’un agrément de la commission nationale des sondages (article 16). Et l’obtention, par ce même organisme, d’une autorisation de publier le sondage, sur la foi d’un certain nombre d’éléments à présenter à la commission (articles 17 et décret 86-616 du 22 mai 1986). 

Le problème ? Cette « commission nationale des sondages » a été longtemps un serpent de mer inexistant. Les enquêtes d’opinion sénégalaises ont été longtemps condamnées à poursuivre une vie semi-clandestine, la loi 86-16 suspendue au-dessus de la tête comme une épée de Damoclès. 

En mai 2011, l’alors président Abdoulaye Wade a signé un décret pour établir la constitution de la commission nationale des sondages et la nomination de ses membres.  Selon le décret n° 2011-587 du 5 mai 2011, qui avait pour objectif de rendre cette commission opérationnelle, sont membres de la commission :

Président :

M. Cheikh Tidiane Coulibaly, conseiller à la Cour 
suprême.

Membres :

Au titre du Ministère de la Justice :

M. Boubou Diouf Tall, Conseiller technique ;avec pour Suppléant M. Mamadou Ndoye.

Au titre de la Cour d’Appel :

1. - M. Mama Konaré Présidente de Chambre ;avec pour Suppléant M. Papa Ousmane Diallo, Conseiller.

2. - Aminata Ndiaye Badiane, Conseiller ;avec pour Suppléant M. Mamady Ndiaye, Conseiller.

3. - Alioune Sissokho ; Substitut général ;avec pour Suppléant M. Antoine Félix Abdoulaye Diome Substitut général.

Au titre du Ministère de l’Intérieur :

M. Mouhamadou Moustapha Thioune Préfet, Chef de Division ;avec pour suppléant M. Massène Sène, en service à la Direction des Affaires Générales et de l’Administration Territoriale

Au titre du Ministère de la Communication :

M. Pape Atoumane Diaw, Directeur de la Communication ;avec pour suppléant M. Mamadou Kassé, Conseiller technique.

Art. 2. - M. Babacar Fall, Directeur Général 
de l’Agence Nationale de la Statistique et de 
la Démographie assiste aux séances avec voix consultative.

Avec le changement de régime de mars 2012 et les mouvements d’affectation intervenus dans l’administration, cette liste des membres est-elle encore valide? Il est permis d’en douter.

A titre d’exemples, Cheikh Ahmed Tidiane Coulibaly, précédemment Conseiller à ladite Cour, est désormais président de chambre à la Cour Suprême. Cette nouvelle et lourde responsabilité lui laisse-t-elle du temps à consacrer à des autorisations de sondages? Depuis l’alternance, Pape Atoumane Diaw n’est plus Directeur de la Communication au Ministère de la Communication. De son côté, Aboubacar Sedikh Bèye a remplacé Babacar Fall comme Directeur Général de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie.

Au total, la commission nationale des sondages est désormais caduque. Il faut pourvoir au remplacement de plusieurs de ses membres.

Déjà, en mai 2011, quand elle fut nommée, la commission nationale des sondages ne disposait même pas d’adresse!

Yacine Ba Sall de l’institut BDA est d’avis qu’il faut « alléger les procédures préalables à un sondage. La commission nationale des sondages doit par ailleurs être une commission de techniciens ». 

Dans ce no man’s land socio-juridique des sondages, anachronisme sénégalais, en novembre 2011, on pouvait voir dans les kiosques Le Pays qui annonçait la victoire écrasante d’Abdoulaye Wade dès le premier tour de la prochaine élection présidentielle sénégalaise avec un score de 53 % alors que la Une de l’Observateur donnait Wade à seulement 24 %, toujours sur la foi d’un « sondage ».

« Une telle différence de résultats, c’est absolument impossible. » s’étranglait Aly Saleh Diop, directeur de l’Institut de recherches et d’investigations par sondage (Iris), un des cinq cabinets les plus cotés à Dakar.

Les patrons de L’Observateur et du Pays au quotidien ont d’ailleurs été convoqués fin novembre 2011 à la Division des investigations criminelles (DIC). L’audition de Serigne Saliou Samb, alors directeur du Pays, a duré six heures. « C’était interminable. Les limiers m’ont simplement demandé d’où provenait le sondage. Je n’ai pas révélé ma source. Il s’agit d’intimidation. »

Il s’agit là d’une interprétation abusive du secret des sources de presse. Les sondages ne sont pas couverts par le secret des sources.

Quand la presse sénégalaise se risque à publier des résultats de sondages, elle leur adjoint régulièrement le qualificatif de « secrets » ou « confidentiels ». Les rédacteurs se gardent bien de dire qui les a commandés et qui les a réalisés. Les éléments qui permettraient de juger de la technicité de l’enquête sont souvent absents. C’est une faute déontologique et éthique.

En juin 2011, Notresenegal.com - branche Internet de TRESJUSTE (Mouvement pour le travail, l’émergence du Sénégal, la justice sociale et territoriale) publie un sondage paru dans plusieurs organes de presse, selon lequel  « Abdoulaye Wade serait éliminé au 1er tour si la Présidentielle avait lieu aujourd’hui avec en face de lui un ticket Niasse-Tanor (Tanor colistier), arrivant avec 17% des voix derrière Niasse (26%) et Macky Sall (18,5%) ».  

Moubarack Lô, alors à la tête du cabinet Émergences, a eu plus de chance et le nez creux, en publiant le 22 novembre 2011 dans l’Observateur, un sondage « effectué de manière rigoureuse par un institut étranger » (sans préciser lequel) qui donnait dans l’ordre le bon tiercé d’arrivée à la présidentielle de mars 2012 : Wade, suivi de Macky, puis de Niasse. En juin 2010, Moubarack Lo donnait Macky Sall vainqueur à 48% contre Wade à 38%, soulevant les protestations d’Iba Der Thiam.

Proche du candidat Macky Sall, Moubarak Lo se sert de ce sondage comme tremplin pour rejoindre les prairies beiges de l’APR, y gagnant un poste à la présidence, une fois Macky effectivement élu. Ce qui est également une faute professionnelle pour un sondeur, métier censé être indépendant des politiques.

Comme le rappelle Alioune Sarr, le coordonnateur de l’alliance nationale des cadres de l’AFP « une démocratie ne peut pas se construire sans qu’on ait des mesures objectives de l’opinion ».

Pour autant, il n’y aucun sondage régulier mesurant la cote de popularité des politiques, et singulièrement du Président de la République.

En l’absence de sondages récurrents et de mesure de cote de popularité, on est obligé d’en accroire à des expressions populaires qui font florès pour tenter de jauger le pouls de l’opinion nationale, du genre « deukbi dafa Macky » ou « Sénégal dou dèmm ».

Sans doute est-ce aussi le prix prohibitifs de vrais sondages d’opinion qui en font une denrée rare dans  le paysage public sénégalais. Selon Aly Saleh Diop, directeur d’Iris, « une enquête digne de ce nom coûte autour de 75 millions de F CFA ».

A défaut de sondages qui impliquent une machinerie lourde et coûteuse tout comme la coopération sincère des enquêtés, notre presse friande de courbes de popularité et de prédictions politiques se rabat sur le travail…des voyants et des saltigués !

Dans un pays, le nôtre,  dont l’écrasante majorité de la population est composée de croyants monothéistes d’obédience animistes, il ne revient pas à la presse d’exploiter la crédulité atavique du public, en attribuant à des déclarations sans fondement scientifique, ni rationnel, ses manchettes de Une et les gros titres de ses éditions d’information. Les prédictions annuelles des saltigués ne sont pas prises pour ce qu’elles sont : des fadaises. Qui devraient être traitées en conséquence.

A l’approche de l’hivernage 2007, Les saltigués avaient prédit que le mandat du Président Wade serait écourté de deux ans. En 2009, une prêtresse sérère prophétisait que le prochain Président du Sénégal serait un citoyen d’ethnie pulaar. Tout au contraire, en 2010, les saltigués réunis en Xoye, ont prédit la réélection de Me Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle de 2012. En 2011, changement de fusil d’épaule : les Saltigués entrevoyaient une victoire de l’opposition, suivie d’une prise de pouvoir par les militaires.

A force de prédire tout et son contraire, on finit par tomber juste. Il n’y a pas matière à relayer les annonces cataclysmiques des saltigués ailleurs que dans la rubrique ‘‘folklore’’, sinon ‘‘insolite’’.

Il est vrai que presse et saltigués y sont encouragés par la capacité d’autoconviction et d’autosuggestion de tout un peuple, qui croit que l’ordre des choses peut être changé en dehors de tout lien de cause à effet rationnel, par l’effet de décoctions, de signes cabalistiques ou de sacrifices d’êtres humains à gènes mutants comme les albinos!

Même munis de leurs cartes d’électeurs et en file indienne devant un bureau de vote, les Sénégalais n’en démordent pas que c’est Dieu qui octroie le pouvoir d’État!

Il n'y a pas de hasard. Il n'y a que des gens, les sondeurs, trop pressés de connaitre l'avenir.

Follow on Twitter : @o_nar_gueye

 

 


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Vendredi 27 Décembre, 2013

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