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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Reportage

[Grand Angle] De la fève au chocolat : Les dessous amers de l’industrie du cacao ivoirien

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[Grand Angle] De la fève au chocolat : Les dessous amers de l’industrie du cacao ivoirien
Du champ à la tablette, le chocolat fascine petits et grands, suscitant une tentation irrésistible à chaque carré croquant. Mais derrière cette douceur exquise se cachent des secrets bien gardés, des champs aux usines, où la magie opère. Cependant, au milieu de cette richesse chocolatière ivoirienne, persiste l'ombre de la précarité qui pèse sur les épaules des producteurs, témoins souvent oubliés de cette success story. Reportage.

Située dans la partie occidentale du golfe de Guinée, la République de Côte d’Ivoire est un pays dont la population est estimée à plus de 29 millions d’habitants. Véritable puissance économique émergente, le pays des éléphants s’est classé à la 17e place africaine des pays les plus riches en 2023, avec un Produit Intérieur Brut par habitant estimé à 7000 dollars. Ces résultats s'expliquent par les secteurs d’activité dynamiques, notamment le tertiaire qui représente 56% du PIB. Cependant, c’est le secteur primaire qui fait la fierté de la Côte d’Ivoire à l’échelle internationale, principalement grâce à la filière cacao. Avec une production annuelle de 2 millions de tonnes, la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de fèves de cacao, représentant 45% de la production mondiale. Le cacao constitue un pilier essentiel de l’économie ivoirienne, générant 40% des recettes d’exportation et contribuant entre 15 et 20% au PIB national. Cette filière emploie près de 600 000 planteurs et assure les moyens de subsistance de plus de 6 millions de personnes. À Abidjan, plus précisément dans la commune du Plateau, un établissement promeut les produits locaux sous le nom de la Boutique Paysanne. Initiée par la Chambre Nationale d’Agriculture de Côte d’Ivoire, cette entreprise vise à promouvoir et distribuer les produits agricoles ivoiriens issus de la transformation artisanale. « Officiellement, le projet est né en 2017 mais il a germé en 2016. On a remarqué qu’il y a avait beaucoup de pertes post-récolte donc, il fallait dans ce contexte là trouver la formule pour pallier ce problème : la transformation. Après la transformation, il fallait vendre. Donc, il fallait créer un espace d’exposition de ces produits afin de les commercialiser », renseigne Félicité Koffi, directrice de la boutique paysanne. Parmi les multiples offres de cette structure, le chocolat occupe une place privilégiée. Qu'il soit présenté en tablette, en poudre ou en fève recouverte de chocolat, cette substance alimentaire demeure la vedette de cette boutique.

De la pépinière à la cabosse

Pour mieux appréhender la fabrication de ce produit tant prisé à travers le monde, il faut se rendre dans les communes environnantes de la capitale économique, Abidjan. Notre premier arrêt nous conduit à Zeredougou, et plus précisément à Anoma Bokpli, un campement se trouvant à deux heures de route d’Abidjan. Conformément à la tradition locale, nous nous rendons dans la demeure du chef. Il s’agit ici de « donner les nouvelles » en déclinant son identité et l’objet de notre venue. Ce cérémonial fait, ils nous conduisent à la plantation de cacaoyers située à quelques pas du campement. Cette activité constitue la principale source de revenus de la bourgade. Sur les lieux, Silvain Yao Koffi, technicien agricole, procède à la plantation d'un cacaoyer préalablement conservé en pépinière pendant six mois.



Le planting débute généralement à la fin du mois de mars et se poursuit jusqu'en juillet, une période qui coïncide avec la grande saison des pluies. Il faut patienter entre 3 et 5 ans avant que le cacaoyer ne fleurisse pour la première fois. Cet arbre se compose de trois sections distinctes : les racines, le tronc et le feuillage. Trois mois plus tard, les futures cabosses appelées chérelles atteindront leur maturité, arborant des teintes jaune verdâtre pour certaines et rouge pour d'autres.



C’est à ce moment que les villageois s’activent pour la récolte qui s’effectue en deux temps. D’abord, il y a la campagne principale qui va du 1er octobre à la fin du mois de mars, au cours de laquelle 80 % du cacao annuel est vendu, puis la campagne intermédiaire qui débute en avril et se prolonge jusqu'à la fin septembre. Loin d'être anodine, la récolte des cabosses doit se faire de manière minutieuse car un mauvais geste peut entraîner la mort du coussinet floral nécessaire dans la reproduction d'autres cabosses. Pour ce faire, il faut couper le pédoncule entre la cabosse et le coussinet floral d'un coup sec et précis.



Pour les cabosses se situant en hauteur, les cueilleurs se munissent d'un émondoir qui se compose d'un long manche muni d'une lame.



Une fois récoltées, les producteurs ont jusqu'à 3 jours pour effectuer l'écabossage. Il consiste à ouvrir la coque à l'aide d'une machette non tranchante ou d'un gourdin.




Le but est de retirer les fèves de l'axe central, appelé rachis. Cette méthode permet de sélectionner avec précision les cabosses mûres. Ce procédé est d’une précision chirurgicale afin de ne pas blesser les fèves, au risque de faire perdre à ces dernières leur saveur. Une fois extraites de leurs cabosses, les fèves sont placées sur des feuilles de bananier disposées en forme triangulaire et inclinées vers un trou. Cette infrastructure traditionnelle est appelée le nid de la fermentation. Le trou présent permet de recueillir le liquide ruisselant du nid. Un nectar aux usages et vertus incommensurables. Il peut être consommé ou utilisé dans la fabrication de vinaigre ou de produits phytosanitaires.



De la fève au chocolat

Changement de décor. Nous nous retrouvons au cœur d'un domaine de 67 hectares, niché dans la commune d'Agboville, à seulement 20 minutes du village d'Anno. Au cœur de ces vastes étendues de majestueux hévéas s'étendant sur 10 hectares, des hommes s'emploient avec minutie à l'écabossage. Après avoir été laissées à fermenter pendant 5 à 6 jours, les fèves de cacao émergent de l'obscurité pour embrasser la lumière. Elles sont alors transportées pour l’étape du séchage. Déployées sur des nattes de bambou ou des tables spécialement conçues, elles y reposent de 3 à 6 jours, si les conditions climatiques le permettent.



Ces fèves séchées sont pour certaines exportées et pour les autres, elles sont acheminées vers les 12 usines de transformation de cacao du pays. L’une des destinations de cette denrée est la Société coopérative ivoirienne de Négoce des Produits Agricoles (SCINPA). Avant de procéder à leur emmagasinage, un contrôle minutieux de la qualité des fèves est effectué à l'aide d'un sondeur. Au moindre défaut relevé, le sac est mis à l'écart.



Ceux qui réussissent le test sont pesés sur une balance géante avant d'être stockés dans l'entrepôt.



Par la suite, les fèves sont conduites à l'usine de la SCINPA pour être transformées en chocolat et autres produits dérivés.

Cette usine, sous la responsabilité d’Yvette, produit en moyenne 40 tonnes de chocolat par semaine. Dès leur arrivée, les fèves subissent un triage. L’objectif de cette manœuvre est de séparer les mauvais grains des bons. Une fois faites, elles sont placées dans un torréfacteur chauffé à 180 degrés pendant 45 minutes à une heure. Cette étape vise à griller les fèves afin de les détacher de leurs coques.



Le concassage est l'étape durant laquelle les fèves de cacao sont éclatées et séparées de leur enveloppe abrasive. Cette étape permet de détacher la fève de cacao de sa coque, et d’obtenir le fameux grué de cacao nécessaire à la fabrication du chocolat. Il s’agit du produit brut qui possède un goût puissant et une texture croquante. Les enveloppes des fèves de cacao ne sont pas utilisées dans la fabrication du chocolat ; elles sont généralement valorisées afin de servir pour des infusions au chocolat ou dans le secteur de la parfumerie. Dans certains cas, ces coques sont également employées pour l’enrichissement des sols en jardinage. Passée cette étape, les fèves sont broyées et transformées en pâte, une texture encore appelée masse de cacao, qui va être insérée dans une presse.



Suite au pressage des fèves, vient l'étape du conchage. Cette étape tire son nom de l'appareil utilisé, appelé la “conche”. Il s'agit d'une grande cuve, généralement en acier inoxydable, dans laquelle les éclats de chocolat sont brassés par des bras mécaniques. Les éclats se liquéfient grâce à ce brassage long et minutieux.



La SCINPA, un exemple de réussite dans la filière cacao en Côte d’Ivoire

La durée de cette étape de fabrication du chocolat varie de 24 à 72 heures selon le type de chocolat et les origines du cacao. Le chocolat sort des cuves à une température de 60 à 70°C. Ensuite, il est stocké dans des récipients à 45°C et transporté au laboratoire. La SCINPA, à travers son label "Les Saveurs d'Agboville", propose 6 goûts différents de chocolat. Dans leur offre, on retrouve le chocolat noir à 80 %, le chocolat à l'acajou, le chocolat au gingembre, le chocolat au lait, le chocolat au sésame et enfin, aussi sureprenant que cela puisse être, un chocolat au soumbala, également appelé Nététou au Sénégal.



L'autre fierté des saveurs d'Agboville est son chocolat au sésame qui s'est vu décerner le « coup de cœur » lors de la 4e édition du salon international de l'agriculture qui s'est tenu le 27 février à Paris. L'homme derrière cette réussite est Moussa Sawadogo, président du conseil d'administration de la SCINPA. Il a pris les rênes de cette association dès sa création en 2003 à l’âge de 20 ans. De nos jours, l'association compte plus de 3500 membres et figure parmi les plus importantes du pays.



En Côte d'Ivoire, le prix de vente du kilogramme de cacao est fixé chaque 1er octobre. Pour l'année 2023-2024, les autorités ivoiriennes l'ont fixé à 1000 FCFA. Malgré cette revalorisation de 11%, qui coïncide avec la hausse des cours du cacao, à Londres, la tonne de cacao pour les contrats de décembre évolue autour de 3 450 euros, tandis qu'à New York, les prix tournent autour des 3 330 euros. Cependant, cette augmentation n'a pas profité aux producteurs en raison des mauvaises conditions météorologiques qui ont impacté la récolte du pays.

Un cultivateur : « je ne peux pas encourager mon enfant de rester dans la cacaoculture »                   

Une situation qui plonge davantage le producteur dans la précarité. Si le cacao est surnommé l’or brun pour l’Etat ivoirien en raison de son apport conséquent au PIB, ses retombées ne profitent pas souvent aux premiers acteurs de la filière.

Malgré les nombreuses réformes et actions mises en place ou annoncées par le gouvernement dont la retraite du producteur, les concernés continuent de tirer le diable par la queue. Cette condition obscure entraîne une autre conséquence préjudiciable à la filière, celle du manque de main-d'œuvre. La raison est liée au fait que les jeunes sont de moins en moins intéressés à marcher sur les pas de leurs devanciers en raison de l’impossibilité de leurs parents à joindre les deux bouts. Yao Kouamé, planteur, livre les raisons de ce désamour croissant : « La cacaoculture ne nourrit pas son homme comme il se doit. Nous-même (parents), on ne peut pas conseiller cette activité. C’est à cause du poids de l’âge que nous n’avons pas l’occasion d’aller voir ailleurs. Nos pères et mères sont morts pauvres et nous sommes venus les relayer. C’est comme une continuité. Moi, je ne peux pas encourager mon enfant à rester dans la cacaoculture ».

Dans le but de redorer le blason de l'industrie, l'Union nationale des enfants des Planteurs de Café-Cacao de Côte d'Ivoire (l'UNEPCCI) a été fondée en 2012. Cette organisation s'engage dans une multitude de missions, allant de la lutte contre le travail des enfants à l'accompagnement de leurs parents planteurs. « On sensibilise les parents, on leur montre des exemples à suivre en leur disant qu’on peut naître d’une famille pauvre mais, décider de devenir pauvre, dépend de nous », explique le président de cette structure, Silvain Yao Koffi. Il en appelle ainsi à un appui conséquent de l’Etat  en faveur des producteurs à travers la mise en place de politiques concrètes : « En créant des unités des unités de transformation, en formant nos mamans à la transformation du cacao, à la transformation des coques en potasse… pourquoi ne pas créer ces petites unités de transformation dans chacune des 13 délégations cacaoyères ».

Face à ce constat, la SCINPA a décidé d'agir à travers plusieurs initiatives au sein de la communauté. L'éducation et la santé occupent une place centrale parmi les actions de l'organisation, qui a notamment participé à la construction et à la réhabilitation d'écoles, ainsi qu'à l'établissement d'une maternité. Artisan de ses réalisations, Moussa Sawadogo liste les axes d’amélioration de la filière : “Il faut former le producteur à mieux gérer son revenu. Le conseil café-cacao a déjà anticipé en identifiant le producteur et sa parcelle. Il faut bancariser le producteur car, s’il est bancarisé et qu’il arrive à avoir des prêts à la banque, vous verrez que les choses bougeront dans le bon sens”. L’homme d’affaires évoque aussi l’aspect écologique de la culture et la nécessité de passer aux technologies de pointe : “Dire au producteur que ce n’est pas en détruisant plus de forêt qu’il aura beaucoup de tonnage mais dans un hectare bien entretenu, tu peux avoir beaucoup plus. Il faut aussi aider les producteurs à aller à la mécanisation parce que si nous restons à ce que nous faisons aujourd’hui, ça va être difficile car il n’y a plus de main-d’œuvre”.

Alors que la Côte d’Ivoire célèbre la richesse de son cacao, l'amertume se profile pour ses cultivateurs. Malgré son statut de premier producteur mondial, la réalité est cruelle pour les planteurs, confrontés aux affres du changement climatique et à des réformes insuffisantes. L'avenir de cette industrie est en jeu. Face à ces défis, une réflexion s'impose sur la durabilité de la filière cacao. Une remise en question essentielle pour préserver l'or brun du pays et assurer un avenir meilleur à ceux qui le cultivent.


6 Commentaires

  1. Auteur

    Expat à Dakar

    En Mars, 2024 (14:07 PM)
    Encore la preuve que l'africain est trop bête
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    • Auteur

      Reply_author

      En Mars, 2024 (14:28 PM)
      Je suis daccord. Nous sommes naturellement betes avec quelques exceptions. Mais notre intelligence est tres en dessous de la moyenne humaine. Regarde les betises que font nos gouvernants. Si c'est pas manque d'intelligence naturelle c'est quoi. L'africain noir n'est capable de RIEN. 
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  2. Auteur

    Baidy Ndao

    En Mars, 2024 (14:09 PM)
    good joli reportage chapeau à Tombou tu as fait un excellent travail
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    Auteur

    Lamizata Fofana

    En Mars, 2024 (14:27 PM)
    Je suis Chocolatire merci infiniment les mots me manques 
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    Auteur

    En Mars, 2024 (15:32 PM)
    Possible d'en cultiver en Casamance. C'est une personne qui a séjourné en Guinée équatoriale qui a introduit cette au Ghana.
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    Auteur

    En Mars, 2024 (15:32 PM)
    Possible d'en cultiver en Casamance. C'est une personne qui a séjourné en Guinée équatoriale qui a introduit cette au Ghana.
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    Auteur

    Tva

    En Mars, 2024 (04:50 AM)
    Bel article bien fouillé... on en ressort édifié sur cette filière si importante dans la vie économique et sociale de la Côte d'Ivoire. 
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