«Les postes éminents rendent les hommes grands encore plus grands, et leshommes petits encore plus petits.»LA BRUYERE
Quelle que soit l’interprétation que l’on a pu faire du silence observé par Abdoulaye Wade, fût-elle la plus généreuse, elle évoque chez nous et sans doute chez nombre de ses partisans, tout le mépris dans lequel il nous tient. Aux 34% de sénégalais qui se sont déplacé pour aller voter en sa faveur, le président de la République devait un merci, pour dire le moins, puisqu’il leur a fallu taire nombre de griefs sur lesquels je reviendrai plus loin. Mais il se devait surtout de s’adresser à ceux qui s’étaient détournés de lui, leur donner des raisons de croire qu’il a compris leur message. S’ils n’ont pas voté pour lui, alors qu’ils l’avaient soutenu à bout de bras en 2000, c’est que les Sénégalais ont eu de très bonnes raisons de le faire. Son silence peut s’apprécier diversement, mais le candidat sortant ne devait pas retourner vers les électeurs pour leur demander de voter en sa faveur au second tour, en se montrant si méprisant envers ceux qui l’ont déjà soutenu. La campagne a débuté sans qu’il adresse le moindre mot aux électeurs qu’il va devoir solliciter une deuxième fois. C’est une faute monumentale.
Depuis au moins cinq ans, les populations montrent des signes de lassitude et de colère parfois violentes, sans obtenir de ce président le moindre repenti. Ce fut le cas lors des élections locales de 2009, quand Abdoulaye Wade a été lourdement sanctionné par les électeurs dans son propre bureau de vote, au Point-E. Une telle déconvenue avait marqué les esprits, et tous ceux qui y voyaient l’expression d’un divorce avec l’électorat avaient invité le chef de l’Etat à donner « un signal fort », en commençant par demander à son fils de se retirer de la gestion des affaires de l’Etat. Mais c’était sans compter avec Abdoulaye Wade, qui avait, par un acte dédaigneux à l’endroit des sénégalais, désigné Karim Wade, sans aucune expérience gouvernementale jusque-là, ministre d’Etat avec un nombre de portefeuilles jamais tenus par un seul homme dans l’histoire de ce pays. Alors que les populations n’avaient pas fini de s’en émouvoir, il lui ajoutait l’Energie, arguant que son fils était le seul homme capable de diriger autant de ministères à la fois. Il avait osé verser dans la provocation inutile, en créant des ministères de toute sorte, même celui de la « connectivité », alors que les populations réclamaient la réduction du train de vie de l’Etat. A aucun moment, il n’a eu la moindre compassion envers les populations, qui ont vu les prix des denrées augmenter du triple ou du quadruple, plongeant la majorité dans une indigence totale. Les masses urbaines ont exprimé leur ras-le-bol quand il s’est laissé aller à la provocation suprême, cette modification de la Constitution qui devait lui permettre de se faire élire avec seulement 25% des suffrages et de désigner du même coup son successeur. Au lieu de tirer les enseignements de la colère populaire ainsi exprimée, il a persisté dans son attitude défiante, en soutenant qu’il a été «surpris» et qu’il ne se laisserait plus « surprendre ». Aveuglé par ses thuriféraires qui lui promettaient le pays entier avec leurs trois millions d’électeurs fictifs, il s’est encore laissé surprendre le 26 février dernier, à l’annonce de sa chute véritable.
Maintenant qu’il est confronté à un désaveu profond, au lieu de reconnaître humblement ses erreurs, ce qui serait le moindre signe de politesse, Abdoulaye Wade se montre plutôt menaçant. Sa seule sortie a consisté à faire une déclaration dans laquelle il laissait encore entrevoir l’espoir d’un miracle, avant de disparaître dans son nuage. L’exact comportement d’un homme qui croit que tout lui est dû, qui se croit assez fort pour gouverner le pays avec des francs Cfa et des policiers.
Le voilà maintenant face à un combat qu’il ne s’imaginait pas de si longue durée. Ses partisans zélés ont tiré des vieilles armoiries du fascisme, le concept évocateur de «guerre totale», prononcé pour la première fois par Goebbels, le propagandiste d’Adolph Hitler, pour réchauffer les troupes allemandes après la débâcle de Stalingrad, alors que l’hécatombe les attendait. Cette exclamation guerrière est à prendre au propre comme au figuré, puisqu’il ne reste à ce vieil homme aucun espoir, sinon le recours à la menace à l’intimidation et à la manipulation. Les jeunes de l’Ujtl agissent maintenant avec une insolence qui rappelle les jeunesses hitlériennes, puisque tous ceux qui ont l’intention de le quitter sont menacés de « représailles ». C’est avec ses propres partisans qu’Abdoulaye Wade se montre le plus virulent. Il s’en est violemment pris à Habib Sy, coupable d’avoir perdu chez lui à Linguère, en oubliant qu’il a lui-même perdu au Point-E. Les griefs qu’il colle à son directeur de campagne ne sont que l’expression de son mépris, puisqu’il ne devait s’en prendre qu’à lui-même et à son fils, d’une rare médiocrité. En menaçant ses propres hommes de la sorte, Abdoulaye Wade crée chez eux un sentiment paradoxal : ils nourrissent le rêve secret d’assister à sa défaite le 25 mars prochain, puisqu’il les menace de représailles. Cet homme croit, pour des raisons obscures, que nous lui devons tous une obéissance aveugle et devons céder à sa volonté. Au lieu de prendre des engagements rassurants envers les électeurs, il s’enferme dans son silence méprisant et s’allie avec les troupes fanatisées de Bethio Thioune pour créer une ambiance de terreur qui lui profitera. Ce même homme avait appelé ses électeurs à s’inscrire en masse sur les listes électorales, comme il avait appelé à voter Wade au premier tour, sans aucun effet. Le président de la République se livre à toute cette publicité outrancière pour faire passer la forfaiture.
C’est la preuve d’une dérive totalitaire, celle d’un homme qui ne s’embarrasse de rien, dans sa quête effrénée d’un nouveau mandat. Il ira ensuite promettre aux populations ce qu’il n’a pas voulu faire ces douze dernières années. Mais que vaut sa parole, quand il a lui-même déclaré, avec toute l’arrogance qu’on lui connaît, qu’il est capable de dire une chose et de se dédire le lendemain ? Que ceux qui sont tentés de nous parler encore d’Abdoulaye Wade se souviennent des crimes économiques, des violations des droits civils et des mensonges qui ont accompagné ces douze années pendant lesquelles il a régné sur nous au lieu de gouverner le pays.
SJD
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