Bolsonaro condamné au Brésil : un verdict "historique" qui marque l'heure de la succession à droite
L'ancien président du Brésil, Jair Bolsonaro, a été condamné jeudi 11 septembre à 27 ans et trois mois de prison pour tentative de coup d'État. À une majorité de quatre voix contre une, les juges de la première chambre du Tribunal suprême fédéral, la plus haute juridiction du pays, ont ainsi scellé le destin du dirigeant d'extrême droite, au pouvoir de 2019 à 2023.
Bolsonaro, qui clame son innocence, a été reconnu coupable d'avoir été le chef d'une "organisation criminelle" ayant conspiré pour assurer son "maintien autoritaire au pouvoir" lors de l'élection 2022, malgré sa défaite face au président actuel de gauche, Luiz Inacio Lula da Silva.
"La défense [de Jair Bolsonaro] considère que les peines prononcées sont incroyablement excessives et disproportionnées et, après avoir analysé les termes de l’arrêt, elle déposera les recours appropriés, y compris au niveau international", a fait savoir un communiqué publié sur le réseau social X par Fabio Wajngarten, collaborateur de l’ancien chef d’État.
Entre les recours juridiques possibles, les répercussions politiques et sociales, et l'avenir du "bolsonarisme", ce procès ouvre une nouvelle phase d'incertitudes pour la démocratie brésilienne.
Ce verdict marque une rupture dans l'histoire politique du Brésil. Pour la première fois, un chef d'État est tenu pénalement responsable d'avoir tenté de renverser les institutions démocratiques. Mais au-delà de la portée symbolique de ce jugement, se pose la question de l'après. Pour Gaspard Estrada, politologue, membre de l'unité du Sud Global à la London School of Economics, une loi d'amnistie est peu probable et la droite brésilienne n'attend qu'une chose : qu'avant d'entrer en prison, l'ex-dirigeant adoube un digne successeur.
France 24 : En quoi ce verdict contre Jair Bolsonaro est-il historique pour le Brésil ?
Gaspard Estrada : Le Brésil a connu un processus de transition politique particulier, et même unique par rapport à d'autres pays latino-américains. La plupart des pays latino-américains qui ont eu un processus négocié de transition politique ont, de manière générale, eu des traductions en matière de reconnaissance des crimes qui ont eu lieu durant la dictature militaire. Ce qui a abouti à ce qu'il y ait des condamnations – ou en tout cas des remises en cause – des autorités militaires.
Ça a été le cas de l'Argentine et de plusieurs pays dans le Cône Sud [zone d'Amérique du Sud la plus australe du continent, comprenant l'Argentine, le Chili et l'Uruguay, NDLR]. Dans d'autres pays où il n'y a pas eu de condamnation, il y a eu des "commissions de la vérité" pour éclaircir le rôle des militaires dans ces dictatures militaires. Mais ça n'a pas du tout été le cas du Brésil.
Au Brésil, en 1979 – avant le début de la transition démocratique dans les années 1980 – il y a eu des lois d'amnistie tant pour les militaires que pour les personnes qui étaient dans la lutte armée contre la dictature.
La condamnation de Jair Bolsonaro pour tentative de coup d'État est historique parce qu'il s'agit d'un ancien président condamné, mais cela n'est pas inédit. Lula lui-même avait été condamné pour corruption, même si, depuis, ses peines ont été annulées et que son innocence a été reconnue par la justice.
Dans le cas de Jair Bolsonaro, ce qui est nouveau est le fait que son entourage ait aussi été condamné : ses anciens ministres de la Défense, l'ancien directeur du service de renseignement, plusieurs généraux... Ça, c'est quelque chose d'historique au Brésil.
Contrairement aux autres pays latino-américains où les hauts gradés des forces armées avaient pu être condamnés, ça n'avait encore jamais été le cas au Brésil.
D'ailleurs, clin d'œil de l'histoire de l'Amérique latine : ce jugement a eu lieu un 11 septembre, journée noire pour l'histoire de l'Amérique latine puisque c'est la journée où le général Augusto Pinochet a organisé un coup d'État contre Salvador Allende au Chili, le 11 septembre 1973.
Existe-t-il une possibilité d'amnistie pour Jair Bolsonaro ?
Il est clair que c'est quelque chose qui fait partie du discours et du débat politique du Brésil. L'extrême droite et une partie de la droite ont en effet dit souhaiter voter une loi d'amnistie pour l'ancien dirigeant. Mais le problème, c'est la Constitution.
Plusieurs juges de la Cour suprême ont d'ores et déjà rappelé que cette loi d'amnistie, si elle est votée, sera très vraisemblablement déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême, et donc ses possibilités de succès sont assez minces.
Avant qu'une loi puisse être promulguée, il faut que le pouvoir exécutif la promulgue, or le président Lula peut poser son veto. Ce veto peut, certes être mis à mal par un vote du Congrès, mais pour cela il faut que la loi obtienne le soutien des deux chambres du Congrès à la majorité qualifiée. Ensuite, il faut que la loi passe par le contrôle de constitutionnalité, comme dans toute démocratie où il existe une véritable séparation des pouvoirs. Or, il y a plusieurs juges de la Cour suprême qui ont déjà dit publiquement qu'ils estiment que cette loi est inconstitutionnelle.
Donc, de ce point de vue-là, même si elle était votée, et même si Lula ne mettait pas son veto, il y a de fortes chances qu'à la fin, la Cour suprême déclare cette loi d'amnistie inconstitutionnelle.
Cette peine de plus de 27 ans de prison sera-t-elle vraiment exécutée ?
C'est en tout cas ce qui a été décidé par les juges de la Cour suprême. Après, la question est : où est-ce qu'il purgera cette peine ? Plusieurs médias évoquent la prison de Papuda, d'autres évoquent le siège de la police fédérale, comme ça avait été le cas de Lula [qui avait été incarcéré a Curitiba, NDLR]. Cette question reste ouverte, mais la peine, elle, a été fixée.
Le verdict sera-t-il contesté dans la rue ?
Une partie significative de l'opinion publique brésilienne sympathise aves les idées de l'ancien président d'extrême droite. La société est divisée, polarisée, et à ce titre, une certaine partie de la population est très critique vis-à-vis du jugement. Une autre partie, en revanche, estime que ce jugement est historique et permettra de progressivement tourner la page du bolsonarisme.
Et la droite brésilienne, est-elle prête à tourner la page Bolsonaro ?
Dans les études d'opinion, le nom Bolsonaro reste un nom qui a une vraie base sociale et politique. La question c'est qu'aujourd'hui, la décision de la Cour suprême vient renforcer d'autres décisions de justice, notamment celle concernant l'inéligibilité de l'ancien président, décidée en 2023.
De ce point de vue, ce que cherchent les personnalités politiques de droite et d'extrême droite, c'est de s'approprier, récupérer cette base politique et sociale. Il y a donc toute une dispute politique pour l'héritage de ce mouvement, et comme on rentre dans une période pré-électorale – avec des élections présidentielles et législatives en octobre 2026 –, aujourd'hui, les acteurs politiques agissent en fonction de ces calculs et cherchent à obtenir le soutien de cet électorat fidèle à Jair Bolsonaro.
Ses successeurs se mobilisent médiatiquement et politiquement par rapport à cette perspective. Avec ce jugement, Bolsonaro est hors-jeu, non seulement parce qu'il va partir en prison, mais parce qu'il était de toute façon déjà inéligible.
Cela accélère d'autre part le temps politique de l'opposition, puisqu'avant qu'il soit incarcéré, beaucoup de personnalités politiques souhaitent qu'il déclare un soutien à un candidat. Beaucoup d'actions sont ainsi menées au Brésil, notamment de la part du gouverneur de l'état de Saõ Paulo, Tarcísio Gomes de Freitas, qui souhaite avoir l'onction de l'ancien président pour récupérer son capital politique et social, et être le seul représentant de l'opposition au président Lula.
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