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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ C H R O N I Q U E ] L’héritier de Mugabe

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[ C H R O N I Q U E ] L’héritier de Mugabe

« Tant d’énergie est dépensée pour
que tout soit bien immobile »
B. WERBER

 

Nous sommes si habitués à la sottise ordinaire, que la bêtise ne nous émeut plus. Nous vivons avec comme un fait de culture. Mais ce qui s’est passé entre Awa Ndiaye et Aminata Lô méritait plus qu’une petite lucarne dans la section des petits faits divers. Le président de la République ne peut pas non plus traiter cette affaire grave comme s’il s’agissait d’une querelle de ménagères à la borne-fontaine. C’est la crédibilité de tout son gouvernement qui est engagée. Si Abdoulaye Wade veut montrer que la charge ministérielle a ses exigences, il en a l’occasion. Il ne le fera pas, parce qu’il n’en a plus l’autorité. Depuis leur nomination au sein du gouvernement contre les avis de tous les enquêteurs, ces deux femmes se sont mises au service de la nébuleuse Génération du concret au lieu de se mettre au service de l’Etat. Elles ont toutes les deux la particularité d’appartenir à la cavalerie étrangère, prête à être montée en tout temps. Aucun passé glorieux, aucun mérite, si ce n’est celui d’avoir croisé un jour le chemin de Cheikh Tidiane Gadio et de Karim Wade.
Et croyez-moi, elles auront les félicitations personnelles d’Abdoulaye Wade au prochain Conseil des ministres. L’ordre ancien, constitué des amazones de la première heure, a laissé la place au nouvel ordre féminin à la vue aussi courte que la jupe. On ne va plus en Conseil des ministres pour rendre compte de l’état des dossiers et coordonner les activités gouvernementales. Cette rencontre du jeudi est devenu un défilé incessant de sacs à main Versace et de lunettes de soleil Coco Chanel. Celles qui l’ont le mieux compris y vont en grand boubou de soie et en porte-jarretelles pour séduire « le professeur ». Depuis l’apparition du silicone et du bistouri en Conseil des ministres, l’ordre protocolaire a changé. L’esthétique et le genre ont pris le dessus sur la rationalité et l’efficacité gouvernementales. C’est pourquoi les enquêtes de moralité n’ont plus aucune importance. C’est le « concret » qui compte ou le... comptant.
Ce que la Salle des banquets offre et que la salle du Conseil des ministres n’offrait pas c’est ce face-à-face possible qui permet au président de la République de dire, comme arraché à profonde méditation, « mais où sont mes femmes » ? Les convictions féministes d’Abdoulaye Wade sont très encrées. Le 03 juillet 2003, à son retour du sommet de l’Union africaine, il avait profité d’une question sur la présence des femmes dans les instances de l’Ua pour féliciter les femmes de son gouvernement qui venaient lui « poser des questions », ce que les hommes ne faisaient pas. C’est ce qui arrive quand le président de la République chante les mérites d’une « certifiée en cosmétique » et traite des licenciés en droit diplômés de l’Enam de « nuls ». C’est ce qui fait qu’une Aminata Lô, sortie des usines de fabrique de la Génération du concret avec son « deug » en pharmacie, est plus digne d’éloges que le « licencié » Moustapha Niasse. Ousmane Sèye a raison de tirer la sonnette d’alarme après les sorties remarquées du jeune Massaly et de Pape Samba Mboup. Mais l’assèchement intellectuel est un fait ancré chez les libéraux. Pape Samba Mboup est devenu une voix autorisée au sein de cette République. Les journaux ont une fois relaté, briefés sans doute par les gendarmes de faction à la présidence, que le ministre chef de cabinet voulait s’y introduire avec une prostituée. Mais là où je trouve les journaux injustes avec Pape Samba Mboup, c’est de ne s’être pas interrogés pour qui il faisait entrer cette prostituée à la présidence, puisqu’il n’y avait pas de chambre, et n’y avait pas élu domicile. Il y a une grande urgence à ramener l’éthique au cœur de la République. Cette course à la morale de caniveau ne peut pas continuer. Mais tous ces gens à la morale à un franc ont trouvé en Abdoulaye Wade un homme comme eux. Personne n’était jamais allé aussi loin dans le sacre de la bêtise. Tout ce qu’ils ont besoin de savoir, et qu’ils apprennent avec rigueur leur premier jour de classe, c’est « traduire la vision du président de la République ». Mais le président de la République n’a pas une vision, il a une illusion.
Il y a une semaine, c’est Farba Senghor qui donnait des leçons de réalisme gouvernemental à l’ancien « premier-ministrable » Sourang. Un mois auparavant, c’est Cheikh Tidiane Gadio qui étalait au grand jour ses conflits avec le tout puissant Karim Wade. Le gouvernement ne fait plus rien. C’est Karim Wade qui règle les accords avec Dubaï, qui se retrouve le lendemain aux Ics pour annoncer la recapitalisation de l’entreprise. Une indécence de plus, après les misères que son ami Godard a causées à ces pères de famille. Là aussi, Ousmane Ngom arrive en organisateur. La machine à fabriquer les cartes nationales d’identité pour laquelle il avait facturé le contribuable 26 milliards de francs Cfa est en panne. Depuis un mois, le Sénégal ne produit plus de carte d’identité, la merveille « De la rue » et des enfants de Cheikh Tidiane Sy.
J’avais écrit dans ces mêmes colonnes qu’Adjibou Soumaré ne nous apporterait rien de bon. J’ai essuyé les critiques de tous ceux qui voyaient en lui un « grand commis de l’Etat ». A ce niveau de la République, il faut avoir du caractère. Cet homme n’en a pas. Il faut savoir dire non à Abdoulaye Wade quand il le faut. Cet homme ne le fait jamais. Il avait le bon profil pour nous laisser aller à la catastrophe sans broncher. Il dirige maintenant de petits voyous qui travaillent chacun à son propre compte en banque. Tous les jeudis, Abdoulaye Wade les réunit pour des séances jubilatoires, avec son orgie de réformes en tout genre : tantôt du manioc, tantôt du tabanani, tantôt du bissap. Pour briller sur tout le monde, il faut avoir une bande de médiocres. Parmi les rares qui peuvent se prévaloir d’une certaine expérience, il y a deux catégories : ceux qui comme Abdoulaye Diop et Cheikh Tidiane Gadio, veulent partir, pour ne pas être comptables de cette fin de règne tragique. Les autres, Djibo kâ et Abdourahim Agne, veulent y rester, mais le Sopi qu’ils avaient combattu hier ne veut plus d’eux. Changer ce gouvernement est de la plus grande des urgences. Mais pour mettre qui ? Pour la première fois, entrer dans un gouvernement d’Abdoulaye Wade ne suscite aucun intérêt, aucune passion. Comme si espérer nous était devenu impossible. C’est l’inconvénient d’avoir suscité trop d’espoirs et fait trop de promesse sans en tenir une seule. Ce plan Goana chanté sous tous les toits sera malheureusement sans aucun effet. Parce qu’il est le premier à ne pas y croire. On ne peut pas passer de 40 000 hectares de terres aménagées à 240 000 en un clin d’œil. Et tous les experts savent que la production de riz ne devient rentable qu’à partir de  quatre tonnes à l’hectare. Il n’y a aucun producteur de la vallée qui fait plus de deux tonnes à l’hectare. Si ce riz venait à être produit, son prix de revient serait tellement élevé qu’il serait hors de portée des ménages. Toutes ses réformes engagées en grandes pompes finissent en eau de boudin. Il va permettre à des clients du régime de s’enrichir, et au pays de s’endetter davantage. La politique et le calcul sont chez cet homme deux faces d’une même raquette. Tout ce qu’il cherche à régler, c’est le mécontentement, pas les causes du mécontentement : distribuer un peu de riz aux paysans, des véhicules aux mouvements associatifs, en pensant qu’ils vont se taire et le laisser régner. Il vient de rééditer le coup avec les syndicalistes, en les gavant d’argent pour les diviser. Tous ceux qui n’obéiront pas à cet ordre implacable seront pris pour des ennemis, même dans son propre camp.
L’histoire est tellement remplie d’ironie. Il y a une dizaine d’années, c’est au nom d’une grande offensive agricole que Robert Mugabe a chassé les grands propriétaires de leurs terres pour les distribuer, disait-il, « au peuple ». Ce dictateur sans vergogne a conduit son pays à la ruine totale. Il est devenu l’ami intime d’Abdoulaye Wade, le seul qui lui reste. S’il y a une grande offensive à mener, c’est contre ce régime qu’il faut la mener.
SJD



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