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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ C H R O N I Q U E ] Le jeu de cash-cash

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[ C H R O N I Q U E ] Le jeu de cash-cash
« Le prétexte ordinaire de ceux
qui font le malheur des autres
est qu’ils veulent leur bien »
VAUVENARGUES


Le Conseil des ministres un mardi, ça ne s’était pas vu depuis très longtemps. La réunion du jeudi porte la patte d’Abdoulaye Wade. C’était une règle non écrite, mais la réunion du mardi avait ses défenseurs. Le président de la République rencontrait son Premier ministre en séance de travail le lundi, veille de la réunion du Conseil des ministres. On savait ainsi qui devait faire quoi dans le courant de la semaine. Abdoulaye Wade a choisi le jeudi pour une raison bien simple. C’est le jeudi qu’il rencontrait le président Diouf « en séance de travail », quand il était ministre d’Etat « sans portefeuille ». Ce choix délibéré a des conséquences fâcheuses sur le fonctionnement de l’administration. Les directives qui doivent être exécutées dans la semaine attendent la semaine d’après. Cette pratique est d’autant plus nuisible à l’efficacité gouvernementale que le président de la République voyageant souvent en milieu ou en fin de semaine, l’activité gouvernementale est sacrifiée au nom du prestige international du chef de l’Etat. Il en est ainsi depuis huit ans. Le président Wade a passé un jour sur quatre à l’étranger, un jour sur quatre dans la Pointe de Sangomar. Les ministres l’ont tellement compris qu’ils vont tous les jeudis assouvir l’égo de leur chef. Ils l’écoutent nasiller pendant deux heures et s’en vont pleins de paroles.
Mais réunir le gouvernement deux fois en une semaine avant d’aller en vacances, c’est le meilleur moyen de donner l’impression que « le président de la République travaille ». Si après tant de labeur, il allait passer deux mois dans sa suite royale aux abords du lac Leman, ce serait « repos bien mérité ». C’est le même homme qui, en août 2003, avait signé un décret pour mettre fin aux vacances gouvernementales de ses ministres.
Tous les observateurs avaient applaudi des deux mains. Mais le décret a été rangé très vite dans les tiroirs. Son auteur a été le premier à le violer, depuis qu’il a découvert les douceurs de la Suisse.
J’étais de ceux qui avaient salué ce rappel à l’ordre. Nous sommes un pays rural. Plus de 60% des sénégalais travaillent pendant les quatre mois que dure l’hivernage. Je ne vois pas pourquoi pendant que les deux tiers des sénégalais travaillent, une petite élite va se bronzer sous les soleils d’Europe. Je me rappelle de l’enthousiasme avec lequel les nouveaux ministres de l’alternance annonçaient leurs « vacances gouvernementales » dans les journaux. Allez dans les archives, pour vous rafraîchir la mémoire. Il y en a même qui promettaient d’aller observer « les chèvres de montagne » dans le Rhône Alpe, pendant que les populations de Gounass avaient les pieds dans l’eau. Le président de la République leur remplissait les poches de devises qu’ils allaient dépenser dans les vitrines de Paris et de New York. C’est ce laxisme que nous sommes en train de payer aujourd’hui. Il n’y a pas de coordination de l’activité gouvernementale. Il n’y a pas d’activité gouvernementale tout court. Avant qu’un gouvernement commence à travailler, il est changé. Les départements ministériels sont saucissonnés, et avant même la publication du décret de répartition des services, de nouveaux ministères sont créés. Les ministres ne sont pas efficaces parce qu’ils vivent avec le « syndrome de Mamoussé » : deux mois de présence dans le gouvernement, le temps de faire les éloges de Wade.
Le président de la République ajoute à ce vacarme une désinvolture désarmante. Il nomme et démet des ministres sans en informer son Premier ministre, selon son humeur. Il l’a dit à ce Soumaré, « je t’ai mis là parce que je suis obligé de nommer un Premier ministre ».

Tout ce bruit autour des « dépassements budgétaires » n’a d’autre raison que sa dérive paranoïaque. Le président de la République est persuadé qu’un coup d’Etat se prépare contre lui. Depuis qu’en Mauritanie, l’Armée a restauré l’Etat à sa façon contre un « élu », Abdoulaye Wade ne dort plus. Il sacrifie un homme, Ibrahima Sarr, pour créer la diversion. Il crée l’évènement pour que la soldatesque qui nourrit des idées attende la suite des événements. Ibrahima Sarr était pourtant un bon commis. Il n’agissait que sous les ordres de Wade et de son fils. Il a trouvé une tradition de concupiscence, et il s’est adapté pour le pas disparaître. Mais on ne peut pas le couper, parce qu’il n’est pas le coupable. Le président de la République ne peut pas attendre le dernier jour d’activité du gouvernement pour dire « je ne savais pas, vous m’avez encore trompé ». S’il a été capable de supporter Djibo Kâ après le scandale des faux armateurs colombiens, il peut supporter les cabots larcins qui lui lèchent les pieds.
Depuis un an, les représentants de la Banque mondiale et du Fmi tirent la sonnette d’alarme. Tout le monde sai depuis bien longtemps qu’il y a une connivence directe entre des entrepreneurs véreux et certains cadres du Sopi. Les coûts des marchés sont gonflés artificiellement au profit de personnalités mafieuses au sein de l’Etat. Ce n’est pas le salaire des ministres et des directeurs de société qui a construit les châteaux des Almadies et de Ouakam. C’est l’argent du contribuable. Il n’y a pas de miracle dans ce domaine. Quand les commis de l’Etat s’enrichissent, l’Etat s’appauvrit. C’est cette logique suicidaire que le président de la République laisse prospérer depuis son arrivée au pouvoir. S’il y a des comptes à demander, c’est à l’Anoci qu’il faut d’abord les demander. L’agence du fils du chef de l’Etat. C’est elle qui a fait cette année un dépassement budgétaire de 8 milliards, et acheté des routes à quatre milliards le kilomètre.
Abdoulaye Wade a privatisé l’Etat en 32 agences. Chaque directeur d’agence reçoit un salaire d’environ sept millions de francs Cfa. L’Anoci loue ses locaux à 7 millions de francs Cfa, alors que l’Etat est propriétaire du tiers des immeubles du centre-ville. C’est le cas de nombreuses agences, qui louent des immeubles appartenant à des apparatchiks du régime dans le seul but de les enrichir davantage. Mais ces accusations ne doivent pas nous faire oublier le vrai problème, c’est le président de la République. Au début du mois d’août, deux May Bach, des limousines de luxe, ont été réceptionnés au port de Dakar. Sur le bon de commande figure le nom du président Abdoulaye Wade. Elles ont été achetées à 415 000 euros l’unité.
Pour procéder à ces achats hors budget, Abdoulaye Wade recourt de façon abusive aux « bons de réquisition ». Senghor n’y avait jamais recours. Abdou Diouf non plus, parce ce sont des pratiques qui ont cours pendant les périodes d’exception comme en temps de guerre. Il arrivait souvent que Senghor, à qui Wade aime se mesurer, « emprunte » de l’argent à son aide de camp pour régler une note. Ce n’est pas le cas de Wade, toujours en cash. A la veille de chaque voyage, le chef de l’Etat fait faire à ses agents le tour des banques dakaroises pour « réquisitionner » toutes les devises étrangères disponibles. C’est avec cet argent qu’Abdoulaye Wade « fait ses voyages ». L’argent utilisé pour acheter des marabouts, financer la clientèle politique n’est pas budgétisé. Mais il vient nécessairement de quelque part. J’ai vu des gens s’étonner de la longévité du ministre Abdoulaye Diop. C’est qu’il ne se laisse pas faire. Il est évident qu’il a gardé ces « bons » signés de la main du président de la République dans un endroit sûr, pour sa comptabilité.
Il faudrait qu’un jour, le président de la République donne des réponses à des questions précises. Personne ne sait ce qu’il a fait des taxes aéroportuaires, normalement déposées dans un compte séquestre de la BMCE. Il y a moins d’un an, le président de la République a félicité son fils Karim et son neveu Pape Sy pour la vente de la troisième licence télécom à Sudatel. Il est incapable de dire dans quels comptes cet argent a été déposé. Au moment où ce montant a été revu à la baisse, un compte a été ouvert au Qatar au nom d’Abdoulaye Wade : 40 millions de dollars, soit 20 milliards. C’est avec cet argent qu’il entretient ses nombreux visiteurs du soir. Ils y vont, chacun pour peser son poids de lâcheté.



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