Samedi 27 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Contribution

OPINION - La voie sénégalaise de l’ensauvagement

Single Post
OPINION - La voie sénégalaise de l’ensauvagement

Professeur agrégé de philosophie, Thérèse Delpech est, entre autres, membre de l’Institut international d’études stratégiques de Londres. En 2002, elle publie, dans la collection « République des idées » (Seuil), la Politique du chaos. Dans cet essai politique, l’auteur conclue que « l’une des plus graves menaces auxquelles le monde est confronté à l’aube de ce siècle résulte du décalage croissant entre les progrès de destruction et la médiocre qualité des hommes et des idées politiques ». Quand, en 2005, elle récidive chez Grasset, Thérèse Delpech soutient, dans L’ensauvagement (prix essai Femina), que « (…) ce serait un immense progrès de s'interroger sur le vide spirituel qui mine nos sociétés ». Piètre qualité des hommes et des idées politiques hier, vide spirituel aujourd’hui, le « monde à la dérive » qui en résulte dissimule, aux quatre coins de la planète, les chemins épars du chaos. Sans cesse attisées, au cours des six dernières années au Sénégal, les tensions politiques balisent insidieusement la voie sénégalaise de l’ensauvagement interne auquel participent les suppôts policier et judiciaire d’un régime délesté, depuis son avènement, de tout contrôle parlementaire.

En six ans seulement, pas moins de douze hommes politiques et journalistes sont interrogés, sur des sujets politiques, à la Direction des investigations criminelles (Dic). Quelques noms et titres nous paraissent révélateurs de l’inflation sans précédant dans l’histoire politique du Sénégal : Habib Thiam, ancien Premier ministre socialiste, Moustapha Niasse, ancien Premier ministre, Secrétaire général de l’Alliance des forces de progrès (opposition), Ousmane Tanor Dieng, ancien ministre d’Etat, Premier secrétaire du Parti socialiste (opposition), Abdourahim Agne, ancien député socialiste (opposition), Ibrahima Sène (opposition), Amath Dansokho, vice-président de l’Assemblée nationale (opposition), Jean Paul Dias (opposition), Barthélémy Dias (opposition), Idrissa Seck, ancien Premier ministre, Awa Guèye Kébé, ancienne ministre, Abdou Latif Coulibaly (grand reporter, écrivain et essayiste), Madiambal Diagne (journaliste, directeur de publication), etc. A la longue liste correspond une moyenne de deux auditions par an, voire plus, et une autre d’un demi-point, représentant la moyenne des peines d’emprisonnement, vite décriées par différentes organisations (Amnesty international, Fédération internationale des droits de l’homme, Rencontre africaine des droits de l’homme, Forum civil, Mouvement des citoyens, Comité d’initiatives de intellectuels du Sénégal, etc.), les partis politiques, les syndicats, etc. On voit qu’en sus des Renseignements Généraux, bien connus pour leur rôle de police politique, la Dic a, depuis peu, la triste habitude de plomber, sur commande, les libertés démocratiques..

D’un autre côté, « l’écrit, soutient le journaliste tunisien Taoufik Ben Bric, a toujours fourni des arguments pour réduire la soumission volontaire ». « (…) Si, [au Sénégal, la Dic] ne ferme [plus] les yeux (…), c’est parce qu’[elle sait] que la grande tâche à laquelle sont confrontés tous ceux qui écrivent, qu’ils soient journalistes ou artistes, consiste à rétablir la vérité. Cette vérité - dans l’absolu - que les légions de tous ceux qui tirent profit du mensonge sont prêtes à combattre ». Les Sénégalais ne trouveront pas avant longtemps, en librairie, une biographie critique du président Wade ou un livre enquête sur n’importe lequel des crimes politiques absous par la loi d’amnistie fourre-tout de 2004, dite Loi Ezzan, du nom du député de la majorité parlementaire qui dit en avoir pris seul l’initiative. Ainsi traité, le livre intéresse moins les juges. Mais leurs auteurs, « en liberté », ne sont pas lus par celles et ceux qu’ils tenaient à informer les premiers. Avec beaucoup moins de chance que les gribouilleurs censurés, les hommes politiques peuvent écoper de plusieurs mois de captivité assortis de plusieurs autres mois avec sursis. C’est le cas de Jean Paul Dias, « condamné à une peine d’emprisonnement d’un an dont trois mois fermes », pendant que son fils, Barthélémy, en détention provisoire, venait de passer ses premières nuits en prison.

« La répression physique ou mentale, écrit Manuel Castells, est certes une dimension importante du pouvoir dominant, mais, si un peuple modifie radicalement sa vision des choses, s’il pense autrement et par lui-même, il n’est pas de pouvoir qui puisse s’y opposer ». Castells est persuadé que « torturer un corps est bien moins efficace que façonner un esprit ». « Voilà pourquoi, dit-il, la communication est la pierre de touche de la puissance ». « La pensée collective (qui n’est pas la somme des pensées individuelles en interaction, mais une pensée qui absorbe et diffuse tout dans l’ensemble de la société) s’élabore, selon lui, dans le champ de la communication ».. C’est donc en investissant le champ de la communication que les Sénégalais mettront rapidement un terme aux supputations sur la nationalité de Jean Paul Dias et d’autres gens bien de chez nous. La bataille populaire de la communication est d’autant plus gagnable que depuis que le Sénégal a basculé « dans une politique basée sur les querelles de personnes et d’images et sur les manipulations médiatiques, les programmes [de la télévision du service public de l’audiovisuel ont perdu] leur importance puisque personne ne s’y intéresse et que les citoyens ne leur accordent plus d’attention (…) ».

« Face au désordre (…), il semble [donc] nécessaire de repenser la vie politique en tant que telle ». Un récent sondage d’opinion, publié par l’hebdomadaire sénégalais Nouvel Horizon, montre que toutes les personnes interrogées pensent cela aussi, et placent les valeurs d’intégrité et de transparence avant les « réalisations » en béton du président. Ces personnes font partie des « deux tiers de la planète [qui, d’après une étude de l’Organisation des Nations unies (Onu), citée par Castells,] ne s’estiment pas représentés par leurs gouvernants ». Aussi la thèse selon laquelle l’humanité « peut (…) prévenir la combinaison fatale entre les moyens technologiques dont elle dispose et les penchants nihilistes qui sont issus de la détresse contemporaine » les concerne-t-elle. Contre la politique du chaos et sans doute aussi contre l’ensauvagement, Thérèse Delpech, philosophe, préconise « la relecture de Platon ». Car, rappelle-t-elle, « La République se nomme aussi "De la Justice" ». Celle-là même qui rend les Dias libres de participer, avec un certain non-conformisme (constitutionnel), à la lutte, toujours ouverte, pour le pouvoir.



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email