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Monday 01 September, 2025
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Banques et gestion d’actifs en Afrique de l’Ouest : les grandes oubliées du financement des marchés ?

Auteur: Aicha Fall

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Alors que le développement des marchés financiers est régulièrement présenté comme un levier de mobilisation de l’épargne et de diversification des sources de financement pour les économies ouest-africaines, un constat s’impose : les banques commerciales et les sociétés de gestion d’actifs restent des acteurs en retrait dans la dynamisation réelle des marchés. Le paradoxe est d’autant plus marqué que ces institutions détiennent une part substantielle de l’épargne nationale, mais préfèrent l’orienter vers des produits souverains à faible risque plutôt que vers le capital-investissement, le financement des entreprises ou les instruments structurés.
D’après les statistiques 2024 de l’Autorité des Marchés Financiers de l’UEMOA (AMF-UMOA), près de 82 % des transactions sur le marché financier régional sont constituées d’émissions de titres publics (bons et obligations du Trésor), contre moins de 8 % pour les titres privés, principalement des obligations d’entreprises. La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM), qui affiche une capitalisation de 8 450 milliards de FCFA en juin 2025, reste dominée par quelques grandes valeurs issues du secteur bancaire, de la distribution et de l’agroalimentaire, tandis que le nombre d’introductions en bourse demeure faible et sporadique.
Dans ce paysage, les banques ouest-africaines apparaissent davantage comme porteuses de titres souverains que comme vecteurs de transformation économique via les marchés. Ce biais s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, les obligations d’État offrent une liquidité relative, une fiscalité avantageuse et un risque jugé faible, dans un environnement régional encore perçu comme instable. D’autre part, l’écosystème réglementaire reste peu incitatif à l’investissement en capital, avec des contraintes prudentielles strictes et une faible culture du risque au sein des institutions financières.
Les sociétés de gestion d’actifs, de leur côté, peinent à jouer pleinement leur rôle. Le total des actifs sous gestion dans l’UEMOA est estimé à 1 980 milliards de FCFA en 2024, selon l’Association Professionnelle des Sociétés de Gestion et d’Intermédiation (APSGI), un montant encore modeste au regard du potentiel de l’épargne régionale. La majorité de ces actifs est investie dans des produits obligataires ou monétaires, avec une part marginale consacrée au financement des PME ou à l’innovation financière. Les fonds dédiés au capital-investissement ou à l’immobilier, bien qu’en développement, représentent désormais 6,2 % des encours.
Au Sénégal, ce constat se confirme. Le secteur bancaire détient environ 70 % des avoirs financiers du pays (BCEAO, Bulletin statistique 2024), mais n’utilise que très faiblement la BRVM comme canal d’intermédiation pour les entreprises. Sur les quatorze sociétés sénégalaises cotées, seules trois proviennent du secteur bancaire sénégalais lui-même, et les levées de fonds par appels publics à l’épargne y sont extrêmement rares. La faible culture boursière des entreprises, conjuguée à la complexité des démarches administratives et aux exigences de transparence, décourage nombre d’entrepreneurs d’y recourir.
Toutefois, quelques signaux d’évolution émergent. L’instauration du troisième compartiment de la BRVM, dédié aux PME, a permis l’introduction de quelques jeunes pousses régionales, même si les volumes échangés demeurent faibles. En parallèle, des initiatives comme le Fonds Impact PME de la BOAD ou les programmes d’accompagnement de la Bourse Africaine de Développement visent à structurer une offre financière mieux adaptée aux besoins des entreprises à fort potentiel.
Mais pour que le rôle des banques et des gestionnaires d’actifs soit reconfiguré au profit d’un développement plus inclusif des marchés financiers, plusieurs conditions devront être réunies. Cela implique une réforme des incitations réglementaires (notamment en matière de pondération du risque), une montée en compétence des acteurs dans l’analyse crédit et l’investissement en capital, ainsi qu’un accompagnement plus fort des entreprises dans leur structuration financière.
Il ne s’agit donc pas simplement d’attendre que les banques ou les sociétés de gestion « fassent leur part », mais de leur offrir un environnement propice à l’élargissement de leur appétit au risque et à la diversification de leurs portefeuilles. À défaut, les marchés financiers de la région risquent de rester ce qu’ils sont aujourd’hui : des instruments principalement au service du financement public, plus que des catalyseurs de la transformation productive.
Auteur: Aicha Fall

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