Moubarack Lô, économiste : ''le recours aux biocarburants n'a pas été normalement préparé''

Dakar, 3 jan (APS) - L'économiste sénégalais Moubarack Lô a estimé que la décision du Sénégal de se lancer dans les biocarburants n'a pas été mûrement réfléchie et que ''dans des conditions normales de production'', le biocarburant ne peut ''s'avérer rentable que si le pétrole atteint des prix très élevés, de l'ordre de 75 à 80 dollars le baril''.

''La décision de faire du biocarburant au Sénégal a l'inconvénient de n'avoir pas été préparée dans les règles de l'art'', écrit notamment l'économiste dans une opinion publiée mercredi par plusieurs quotidiens sénégalais.

''Pour un choix aussi lourd de conséquences, il eût été nécessaire de conduire une étude préalable, enrichie des meilleures connaissances sur l'économie des biocarburants au niveau international'', a-t-il ajouté.

''Le meilleur choix pour le Sénégal, concernant les biocarburants, est de patienter, en menant une vraie étude de faisabilité et en scrutant les développements internationaux qui permettent sans doute une baisse des coûts de production des biocarburants, dans les dix années à venir, facilitée par les avancées scientifiques'', a-t-il indiqué.

''Plutôt que de dépenser d'inutiles ressources dans cette phase de recherche des meilleures innovations technologiques, le Sénégal a, selon lui, plus intérêt, dans le court terme, à activer les recherches pétrolières en cours, qui ont le mérite d'offrir des perspectives plus sûres''.

Pour Moubarack Lô, ''les biocarburants sont pleins d'opportunités mais de risques''. Il signale à cet effet q'un ''consensus existe au niveau mondial pour considérer qu'à l'état actuel des technologies, le coût de production moyen d'une usine de biocarburant approche 65 dollars le baril (même si les fabriques les plus efficientes du Brésil peuvent obtenir des chiffres moindres)''.

''En ajoutant les inévitables marges, le biocarburant ne peut donc, dans des conditions normales de production, s'avérer rentable que si le pétrole atteint des prix très élevés, de l'ordre de 75 à 8à dollars le baril'', a-t-il fait remarquer.

En plus, l'éthanol (fait à base de canne à sucre), biocarburant ciblé par le Sénégal, ''n'est utilisable que sur un moteur neuf +essence+, tandis que le parc automobile sénégalais est fortement dominé par des véhicules gasoil d'occasion'', a-t-il argumenté.

''Se posera donc, a estimé l'économiste, un problème naturel de débouchés que nous ne pouvons pas forcément résoudre par l'exportation (en raison du manque d'économies d'échelle et de notre faible expérience dans le secteur)''.

''Les mesures de soutien qui s'avèreraient indispensables pour construire artificiellement une rentabilité à la nouvelle filière +biocarburant+ ne manqueraient pas de créer des distorsions et des surcoûts pour l'économie, similaires à ceux engendrés par la protection offerte aujourd'hui au sucre produit par la CSS'', a-t-il fait valoir.

Enfin, selon Moubarack Lô, la promotion des biocarburants ne pourrait par ailleurs se faire ''qu'au détriment des autres produits agricoles''.

''Nécessitant de grandes surfaces arables, les biocarburants concurrenceraient, peu ou prou, le riz, la tomate, le coton, la pomme de terre et les autres produits alimentaires, dans l'accès aux terres irriguées et irrigables de la vallée du fleuve'' Sénégal, a-t-il souligné .

A son avis, ''un tel arbitrage en faveur des biocarburants aurait ainsi un impact non négligeable sur la pauvreté, plus élevé que les économies éventuellement tirées de la baisse des importations de pétrole''.

BK/CTN