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ENTRETIEN AVEC… Babacar Justin NDIAYE, politologue : «Wade a une longueur d’avance, mais la coalition Jamm Ji est redoutable»

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ENTRETIEN AVEC… Babacar Justin NDIAYE, politologue : «Wade a une longueur d’avance, mais la coalition Jamm Ji est redoutable»

Après la constitution des listes d’investitures aux législatives de février 2007, Babacar Justin Ndiaye analyse les caractéristiques de la coalition Jamm Ji qui ne serait pas loin d’inquiéter les fondements du régime libéral. Mais, sur la ligne de départ, il reconnaît tout de même un léger avantage au président de la République sortant.

Faites-nous une lecture politique des coalitions qui se sont très vite formées à l’orée des élections législatives de février 2007.

En fait, l’histoire des coalitions à foison remonte à la déliquescence de l’hégémonie politique du Parti socialiste sur le pays. Un effritement qui date de 1998 et qui a culminé avec l’alternance en l’an 2000. Depuis lors, la carte électorale du pays est grandement bariolée, à l’image d’une peau de léopard très bien tachetée. A telle enseigne qu’un seul parti ne peut espérer prendre le dessus électoralement sur tous les autres. C’est cela qui explique la nécessité des coalitions. Celles-ci ont des mérites mais aussi des perversions, c’est-à-dire des vertus et des vices.

Prenons la coalition Jamm Ji de Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng, Abdoulaye Bathily, entre autres. Quelles seraient ses vertus ?

Elle présente un potentiel redoutable contre le pouvoir. A mon avis, c’est la coalition qui va donner beaucoup de fil à retordre au Président Abdoulaye Wade. Dans cette coalition, vous avez deux anciens ministres d’Etat qui ont été directeurs de cabinet de deux Chefs d’Etat, en l’occurrence Idrissa Seck et Ousmane Tanor Dieng. Ce sont deux personnalités politiques entre deux âges, ni le troisième âge ni le premier âge, c’est-à-dire entre 60 et 40 ans. Ils sont tous deux originaires de la région de Thiès, ce qui davantage cimente le tandem aux plans personnel, humain et provincial. Idrissa Seck et Ousmane Tanor Dieng sont également deux détenteurs de trésor de guerre, ayant donc les moyens de leur combat politique ; l’argent qui est le nerf de la guerre ne fait défaut ni à l’un ni à l’autre. Et avec les fonctions névralgiques qu’ils ont occupées dans le passé, ils ont aussi été les superviseurs du Renseignement dans ce pays, ce qui veut dire qu’ils sont en quelque sorte des stocks de secrets d’Etat ambulants.

Au-delà de tout cela, il y a la donne quantitative, le poids électoral.

Le Parti socialiste qui a eu le loisir de se peser électoralement dans un passé récent dispose d’un bassin électoral hérité du Bloc démocratique sénégalais hérité de Senghor. Ce bassin s’est certes étiolé avec les départs de Djibo Kâ, Moustapha Niasse et Robert Sagna, mais il est assez stabilisé parce qu’il y a des socialistes qui se considèrent encore comme des héritiers du Senghorisme et à ce titre ils resteront toujours fidèles au Ps, nonobstant le nom de celui qui sera Premier secrétaire ou président du parti. Idrissa Seck, lui, n’a pas eu l’occasion de peser électoralement ses chances bien qu’on lui crédite à priori une certaine force électorale. Les observateurs considèrent qu’il contrôle une partie du Parti démocratique sénégalais. Alors, l’un dans l’autre, on a encore une fois au sein de cette coalition Jamm Ji, un potentiel très redoutable. Le Président Wade devra battre proprement, de façon irréprochable, cette coalition pour gouverner en paix ; faute de quoi, lorsqu’il s’agira de vivre la phase post-électorale dans un contexte de duels avec tous les coups bas qui seront à l’ordre du jour, Jamm Ji pourrait très sérieusement éprouver la stabilité du pays.

D’autant plus vrai que Abdoulaye Bathily disait récemment que sans élections transparentes, le pays sera ingouvernable.

A cette coalition formée par ces deux mastodontes pour ne pas dire dinosaures que sont Idy et Tanor, il y a un troisième élément, Abdoulaye Bathily, moins électoralement lourd, mais très présent dans les syndicats d’enseignants. Son parti, la Ligue démocratique, est en mesure en cas de grabuges post-électoraux à l’échelle du pays, de faire accumuler les années blanches dans les établissements scolaires. A mon avis, cette coalition a un potentiel que celle de Moustapha Niasse ne possède pas même si cette dernière représente, au plan symbolique, un conglomérat de partis assez respectables sur l’échiquier politique.

Pour Jamm ji, vous avez énuméré quelques vertus. Quels seraient ses vices ?

Disons que j’ai essayé de montrer les caractéristiques qui soulignent la force de cette coalition. Ses faiblesses se situent au niveau des lignes politiques ou, disons les choses comme elles sont, au niveau des idéologies et plus prosaïquement au niveau des programmes et surtout des identités politiques. Ce sont des paramètres qu’il est impossible d’escamoter du jour au lendemain. Après tout, Bathily est un homme de gauche ; sa trajectoire et son engagement politique très ancien l’ont démontré même si les aléas de la politique ont eu à le conduire dans les bras des libéraux hier, et aujourd’hui dans ceux des socialistes qu’il a combattus. Idrissa Seck, lui, est un libéral devant l’éternel et Ousmane Tanor Dieng appartient à une tradition politique très ancienne, la social-démocratie, dont il est définitivement un adepte. Malgré sa traversée du désert, il n’a jamais voulu marchander son identité de social-démocrate. Aujourd’hui, il est dans une alliance où il pourrait certainement perdre son âme en cas de victoire ; cela fait partie des germes de perversion que renferme la coalition Jamm Ji. Et l’expérience de 2000 est là pour conseiller à tout le monde la prudence en matière d’alliance, surtout quand il s’agit d’alliances victorieuses. Rappelez-vous qu’en 2000 c’est une auberge espagnole qui avait porté Abdoulaye Wade à la présidence de la République (…). On peut dire que c’était une colère plurielle qui avait balayé Abdou Diouf. Or, la colère plurielle n’est jamais une bonne alliance.

Les Sénégalais pourraient-ils être tentés par le scénario suivant : élire un nouveau président de la République et donner la majorité parlementaire à la coalition Sopi 2007 ?

Ce serait une expérience sans précédent. Sous Senghor, le régime était parlementaire mais c’était un régime homogène car Mamadou Dia et Léopold Sedar Senghor étaient du même parti politique, l’Ups. Leurs problèmes étaient liés au fonctionnement des Institutions car le Président Senghor devait inaugurer les chrysanthèmes en raison justement du caractère parlementaire du régime, et le président Dia, gouverner. Mais le cas de figure que vous évoquez est extraordinaire et peu de gens y pensent. Le vainqueur du président Wade aurait en face de lui un Parlement hostile, le scénario contraire est également possible. A ce titre, l’exemple nigérien est intéressant parce que c’est un exemple sous les tropiques. Certes le Niger n’est pas le Sénégal qui a une tradition démocratique ancienne et des ressources humaines sans commune mesure. Mais c’est toujours l’Afrique noire.

Le scénario ne vous rassure pas ?

Il y a quelques appréhensions. Est-ce que le jeu sera convenablement joué par tout le monde ? Est-ce que les responsables politiques seront à la hauteur des Institutions qui devront régir une vie politique de cohabitation ? En France, il y a eu des frictions durant la cohabitation, mais elles ont été contenues dans les limites du champ institutionnel. Chez nous, est-ce que des frictions ne se transformeront pas en accrocs très sérieux ? Comme c’est une expérience sans précédent dans notre histoire, il est difficile à priori de se projeter dans une perspective comme celle-là en termes d’analyse. Je crois que pour des pays fragiles comme les nôtres qui ont une indépendance vieille de moins de cinquante ans, il est souhaitable vraiment d’avoir des pouvoirs politiques homogènes à tout point de vue. C’est mieux pour tout le monde, pour la santé de nos Institutions, pour la stabilité du pays…

Est-ce que la coalition dirigée par l’Afp ne vous paraît pas à priori moins forte que ses concurrentes ?

Il faut dire qu’il n’y a jamais deux élections qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Et dans un scrutin, le citoyen possède deux armes : un revolver et un bulletin de vote. L’un est pour congédier, l’autre pour plébisciter. Alors, on ne peut pas considérer la coalition de Niasse comme électoralement insignifiante.

Pas insignifiante, mais moins forte.

En apparence, oui. Mais dans une élection, il y a le citoyen libre qui pénètre dans l’isoloir pour un instant de vérité. On peut certes comparer les coalitions de prime abord. En définitive, seul le résultat peut départager les uns et les autres.

Les élections de février 2007 vont-elles se jouer sur le bilan du Président Wade ou sur d’autres paramètres liés aux scandales survenus au cours du septennat ?

Le bilan du Président Wade devrait être déterminant, mais Senghor disait : la raison est hellène, l’émotion est nègre. Nous sommes sous les tropiques avec tout ce que cela veut dire. Le sentimentalisme est une réalité, il y a des formes d’attachement qui ne renvoient pas forcément au bilan. Il va sans dire que pour des observateurs, un pouvoir englué dans les délestages et les pénuries, taraudé par des batailles pré-successorales, gêné aux entournures par une demande sociale devenue une urgence sociale, alors vraiment… la liste des handicaps est assez longue… Mais encore une fois nous sommes en Afrique et comme disait l’autre, en Afrique le président de la République, même sortant, est une sorte de vice-dieu. Il dispose d’une caisse noire, il dispose du décret. Le décret est une véritable machine à distribuer les privilèges. Rendez-vous compte que le président, en phase avec ses prérogatives constitutionnelles, peut prendre un coxeur, un jardinier, et en faire un ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Praïa avec Mercedes 280 et un palais. Quand on a ce pouvoir de modifier le destin d’un homme entre huit heures et midi, dites-vous bien que c’est une longueur d’avance qu’on a sur les autres. Une élection en Afrique est ce qu’elle est : elle a sa part de rationalité, elle a aussi sa part d’émotion, d’émotivité, de subjectivité. C’est l’Afrique.

 



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