Samedi 27 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

ENTRETIEN AVEC… Pr ASSANE SECK, ancien ministre d’Etat sous Senghor et sous Diouf : « On va vers des difficultés, je prie pour que ce ne soit pas violent »

Single Post
ENTRETIEN AVEC… Pr ASSANE SECK, ancien ministre d’Etat sous Senghor et sous Diouf : « On va vers des difficultés, je prie pour que ce ne soit pas violent »

La modestie des lieux est saisissante : une bibliothèque, une table, des chaises, un ventilateur d’un autre âge, forment l’ameublement du bureau de l’ancien ministre d’Etat, Assane Seck, au quartier Fass. Après 18 ans dans les ministères où il a managé l’Education, les Affaires étrangères et la Culture, l’homme jette son regard, ici, sur le Sénégal de l’Alternance. Tout y passe : la «monarchisation» du pouvoir par Me Wade, son refus de dialoguer, l’utilisation des finances publiques pour la succession, les Assises nationales, entre autres.

Quel regard l’ancien ministre de l’Education jette aujourd’hui sur l’enseignement au Sénégal ?

Je suis un homme optimiste. Malgré toutes les difficultés, le Sénégal avance. Et ce n’est pas l’œuvre d’un messie ; c’est la lutte du peuple Sénégalais, une lutte de tous les jours, de tous ceux qui sont d’accord et de ceux qui ne le sont pas. Ce sont ces gens-là réunis qui font le progrès. Mais, nous avons des difficultés aussi, parce que le progrès se traduit par les Finances ; or, on ne contrôle pas tout. On ne contrôle pas le pétrole, les denrées de première nécessité. Le progrès est un chemin rocailleux, dur. Moi, je n’y assisterai pas, mais je suis sûr que les jeunes d’aujourd’hui ou la génération de leurs enfants verront un autre Sénégal. Le pays va émerger, mais personne ne doit croire qu’il y a un messie ou quelqu’un qui peut résoudre à lui seul les problèmes. Ce n’est pas vrai ! (…) Le président de la République s’est trompé sur la résolution de la crise à l’Université. Il a pensé qu’il suffisait de donner des avantages matériels aux étudiants et aux professeurs pour régler le problème. Le fait de donner des bourses et même des aides scolaires à tous les étudiants, c’est bien, mais cela a une limite. Le jour où vous ne pouvez plus faire la même chose, vous aurez une crise grave. Ensuite, vous savez ce qui s’est passé avec les enseignants : il (Ndlr : le chef de l’Etat) a été d’accord qu’ils ne sont pas bien payés et a décidé de faire une augmentation globale. Mais, si vous faites cela, vous déséquilibrez l’administration. Et les autres corps enseignants de l’élémentaire et du secondaire ? Le système de rémunération des agents de l’Etat doit être coordonné. S’il n’est pas organisé, s’il est fait sur la base simplement de l’appréciation des dirigeants, on va vers la catastrophe. Nous avons aujourd’hui un blocage qui n’amuse personne. J’en parle avec un peu d’amertume parce que je sais que tout ce qu’on avait proposé n’a pas été respecté.

D’où vous puisez-vous votre optimisme ? Est-ce que la situation sociale et politique du pays marquée par l’absence de dialogue peut permettre d’être optimiste ?

Le moteur politique le plus efficace, c’est le dialogue. D’accord ou pas, vous devez dialoguer. Vous avez toujours un point commun, vous partagez toujours quelque chose : le Sénégal. Si vous avez les mêmes points de vue dans la discussion, tant mieux ; si ce n’est pas le cas, la contribution de l’autre, son opposition peut toujours être importante pour le pays. Mais le pays semble bloqué : pas de dialogue, on fait ce qu’on veut. Je vous donne mon exemple : je milite toujours au Parti socialiste et à mon âge, personne ne peut oser espérer que je sois autre chose que ce j’ai été jusqu’à maintenant. Ce n’est pas à un ou deux ans de ma mort que je vais changer de position ; donc naturellement, je ne suis pas avec le régime. Je le précise pour que mes propos soient beaucoup plus clairs. En 2000, il y avait une sorte d’unanimité dans ce pays pour que les choses changent. Quand on reste au pouvoir très longtemps, on s’use. Ce qui a terrassé Abdou Diouf, ce n’est pas son bilan économique ; c’est sa durée dans le pouvoir. Il a été dix ans Premier ministre, vingt ans président de la République et il y a encore le fait qu’il a voulu changer la Constitution pour pouvoir se représenter. Le chat le moins inoffensif, si vous l’enfermez dans une pièce, si vous tentez de le tuer à main nue, vous verrez. C’est ce qui est arrivé ; nous avons commis des erreurs et le changement n’était pas mauvais. Mais, cela ne veut pas dire que vous allez en faire un pouvoir personnel, laisser les autres dans l’air. Un seul homme ne peut pas faire le pays. Ce n’est pas un pouvoir personnel. Ce pouvoir personnel frappe davantage même les gens de son propre parti (allusion à Wade et au Pds : Ndlr). Il ne peut nous humilier, nous qui nous sommes opposés à lui, parce qu’on n’ira pas lui demander quelque chose. Par contre, les gens qui ont été avec lui dans la lutte, combien ont été humiliés ou ont subi une tentative d’humiliation ? Et puis, il y a des manières qui ne sont pas républicaines. Comment peut-on dire dans un pays, je donne ça ? Ce n’est pas vrai, c’est le pays qui donne ! Si le pays se retrouve dans une situation où il doit faire des dons, ce n’est même pas le Président qui doit l’annoncer. Il doit désigner une commission avec le ministre des Finances, celui du Budget, avec les intéressés les paysans, voilà ce qui devait être fait. Et chacun cherche une solution qui ne nous met pas à genoux. Mais, ce n’est pas le Président qui annonce, c’est le pays qui doit annoncer sous sa direction. Quand je regarde la situation actuelle, je suis optimiste sur le moyen terme, dans dix ou quinze ans. Mais, à l’état actuel des choses, on va avoir des difficultés. Je ne sais pas de quel genre, mais je souhaite que ce ne soit pas violent. Mais, on ne peut pas continuer de prendre les gens comme des esclaves.

Avez-vous une fois eu l’occasion de faire des critiques au chef de l’Etat ?

Un jour, Pierre Goudiaby Atepa est venu me chercher pour qu’on aille le (Me Wade) voir dans le cadre de la résolution de la crise casamançaise. Il a beaucoup insisté et finalement, j’ai accepté. Une fois là-bas, je lui dis : «M. le Président, pensez à une chose : les casamançais soufrent dans leur chair. Quand il y a des morts, la majorité ce sont des Casamançais ; quand il y a blocage économique, c’est la Casamance qui en souffre. Donc, si le problème était facile, on l’aurait réglé il y a longtemps. C’est un problème difficile d’autant que ce sont des compatriotes. Ce sont des nationaux ; ce ne sont pas nos ennemis. Nous ne sommes pas plus malins que les Français et les Corses, les Espagnols avec les Basques ; ils ont toujours le même problème.» Par la suite, quand on a fini, il a demandé après moi ; je suis venu et devant tout le monde, il m’a dit : «On ne se voit pas souvent.» Je lui ai dit : «Oui M. le Président, nous ne sommes pas dans le même camp : vous êtes Président et moi je ne le suis pas.» Je dois dire aussi que quand j’étais emprisonné à Ziguinchor, Abdoulaye Wade, en tant qu’avocat, avait fait le déplacement à Ziguinchor pour se constituer pour ma défense. Mais, il n’y avait pas eu de procès finalement. Mais, c’est moi, en tant que ministre de l’Education, qui lui ai envoyé la correspondance quand il était doyen de la Faculté de droit pour lui rappeler qu’il y a incompatibilité entre les fonctions d’avocat et celle de professeur d’enseignement supérieur. Donc, on lui a demandé de choisir : il a choisi son cabinet.

On reproche au Président Wade de ne pas savoir écouter et de ne pas être ouvert à la critique…

Mais pourquoi il n’écoute pas ? C’est un intellectuel ! Un intellectuel ne doit pas considérer qu’il a la solution à tous les problèmes ; au contraire. Il faut savoir qu’on ne sait pas tout ; il faut savoir un peu. Si vous ne savez pas un peu, vous croyez que vous savez tout. Abdoulaye Wade est un intellectuel ; comment se fait-il que, à son âge, il ait l’air de braver une partie de son peuple même si ce n’est pas tout le monde ? Tous ceux qui parlent ne surveillent que leurs intérêts ; les gens ne les écoutent même plus. Tout le monde sait que s’ils parlaient de façon neutre, ils seraient toute de suite humiliés, comme ont failli l’être certains d’entre eux. Heureusement que le peuple sur ce plan est admirable.

Pour parler de dialogue politique. Soutenez-vous les Assises nationales prônées par l’opposition ?

Bien sûr ! A 100%.

Alors, comment vous expliquez votre optimisme, si la situation du pays demande des Assises nationales ?

Il y a des raisons d’être optimiste. Les Assises nationales, les gens l’interprètent différemment. Les libéraux pensent que le Parti socialiste veut les utiliser pour soulever la société civile, les partis politiques contre le pouvoir. Finalement, c’est comme si tout le monde se retrouvait dans une organisation pour essayer de la faire tomber. Mais, cette idée est fausse. Je ne vois pas un vrai socialiste penser à un putsch. On ne souhaite pas au Sénégal un putsch ; en tout cas, pas moi. Mais, c’est parce que son comportement est monarchique qu’on s’est dit qu’il faut voir s’il est possible de regrouper dans ce pays, au moins, les intellectuels, ceux qui réfléchissent à demain, qui peuvent analyser pour demain, si on n’avait pas intérêt à se réunir et à poser les questions. Non pas pour dire : «Voilà ce que nous avons décidé», mais pour se demander s’il y a une crise. Si oui, comment la résoudre ? Quelles sont les solutions possibles ? Si Abdoulaye Wade vient, tant mieux ; il va participer à l’élaboration et il saura que ce n’est pas fait contre lui. S’il refuse de venir, qu’est-ce qui va se passer ? Si tout ce monde se met d’accord et signe un document, ce document finira par être une charte. Et ce sera une charte pas seulement des politiques, mais d’une bonne partie de la société civile(…).

Vous avez été ministre de la République sous les Présidents Senghor et Abdou Diouf, comment vous appréciez aujourd’hui les ministres de l’alternance ?

Ah non, ce n’est pas pareil ! Le contexte n’est pas le même. Nous étions tenus par le peuple qui était vierge juste après l’indépendance. Le peuple était tenu par ses propres valeurs. On jugeait les gens en fonction des valeurs qui n’étaient pas encore détruites par la colonisation. Prenez mon cas : j’ai été nommé ministre en 1966. J’étais dans cette maison qui était la mienne et je ne l’ai jamais quittée. J’ai dit à mes enfants : «Si je quitte ici, le jour où je ne serais plus ministre, je serais obligé de revenir et les gens du quartier auront raison de dire : «C’est bien fait pour lui.» Quitter le quartier parce que je suis nommé ministre, c’était, pour moi, estimer que les gens du quartier ne pouvaient plus être mes voisins. J’ai dit non et je suis resté dans mon quartier. Alors qu’est-ce qui m’a poussé à réagir comme cela ? J’ai dit à mes enfants : «Vos premiers partenaires, ce sont les gens du quartier.» Les gens m’ont dit à un certain moment : «Tu es maintenant ministre des Affaire étrangères ; tu vas inviter des étrangers chez toi, ce n’est pas bien qu’ils traversent le quartier de Fass.» J’ai dit : «Ah bon, parce que les gens auront honte de venir jusqu’ici ?» J’ai répondu : «Mais, je m’en fiche !» Et je suis resté ici pendant les 18 ans que j’étais ministre. Jamais, je n’ai voulu déménager, parce qu’il y avait les valeurs, le peuple qui nous surveillait, qui regardait comment nous vivions, si nous les méprisions. Aujourd’hui, je ne comprends pas comment on peut changer de comportement, d’avoirs, de moyens, dans l’espace de quelques mois, de quelques années ? Les valeurs sénégalaises propres avaient suffisamment de force pour tenir ceux qui les conduisaient dans une certaine éthique. A l’Université de Dakar, les professeurs sont restés dans le système français jusqu’en 1970. Jusque-là, ils étaient payés par la France. Quand on a voulu donner un cadre aux professeurs d’université sénégalais, le président Senghor m’a dit ceci : «Il faut trouver une échelle. Essaye de voir ce qui se passe en Côte d’Ivoire, mais saches que la Côte d’Ivoire a dix fois plus de moyens que nous. Et puis, n’oublie pas que toi et moi nous sommes des enseignants ; si on donne des avantages trop consistants, on va dire que nous travaillons pour nous-mêmes.» Donc, on s’est dit que les professeurs d’université forment tous les cadres du pays ; ils doivent avoir un salaire au-dessus de tous les cadres. Les magistrats sont venus après pour demander à entrer dans ce cadre. On est partie d’une échelle moyenne. On aurait dû faire plus.

Que sont devenues ces valeurs qui ont guidé la marche du pays ?

Elles sont en train de se perdre. Si nous avons quelque chose à recommander à la jeune génération, c’est cela. Un arbre sans racines ne peut vivre. Il faut que vous ayez un endroit où vous puisez vos sèves. Un arbre a besoin de puiser sa sève quelque part (Il se répète). Il ne faut pas mesurer les choses sur notre vie (…)

Que reprochez-vous concrètement au Président Wade ?

(Catégorique) Le refus du dialogue, la «monarchisation» et l’utilisation des finances nationales dans les perspectives de succession dans le pays. Est-ce que cela se fera ? Ce sera une très grosse erreur de sa part, s’il cède à son fils le pouvoir. A moins qu’il quitte le pouvoir, en y laissant un pion, qui fasse quelques années (…). Ce sera légitime parce qu’il ne sera plus là. Mais si c’est lui qui donne le pouvoir à son fils…

Donc, vous n’êtes pas tout à fait contre l’élection de Karim Wade à la présidence de la République ? Je suis contre le principe de désigner à l’évidence, de donner un nom. C’est comme au Ps aujourd’hui : je suis contre l’idée qu’on dise que c’est un tel. C’est le peuple qui le dira, nous ne pouvons faire que des propositions. Karim Wade a ses chances, mais pas plus que les autres Sénégalais.  



0 Commentaires

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email