L’ancien directeur de Publication du journal Le Quotidien, Madiambal Diagne, aujourd’hui Administrateur Général du Groupe Avenir Communication, a été reçu, hier en début d’après-midi, par le président de la République pour lever une équivoque. Il était accompagné de la Coordonnatrice de la Rédaction. Une discussion à propos d’une affaire assez délicate, car depuis des mois, M. Diagne cherchait à éclaircir un comportement peu orthodoxe qui avait suscité des doutes en lui. Des libéralités consenties par le Président, en son nom pour faire du Quotidien un journal de propagande au service du pouvoir libéral. Chronique d’une arnaque tombée à Lô.
Un ministre de la République qui arnaque son Président ! Ce n’est pas un roman-fiction, mais des faits vécus à la Présidence de la République du Sénégal. Qu’est-ce qui s’est passé ? L’histoire n’est pas simple, mais peut se résumer en une phrase : Thierno Lô, ministre de l’Environnement et de la Protection de la nature, a empoché de fortes sommes de Me Abdoulaye Wade à qui il a promis de faire changer la ligne éditoriale du journal Le Quotidien. Cela, il y a plus d’un trimestre. Seulement depuis lors, rien n’a varié dans le travail dudit journal. Et le Président, qui s’attendait à une visite de l’ancien directeur de publication du journal Le Quotidien pour «une nouvelle forme de collaboration», en est resté à ses surprises. Mais hier, l’audience accordée par Me Wade à Madiambal Diagne a permis de lever le voile sur une grosse affaire d’escroquerie, d’abus de confiance, de trafic d’influence et de tentative de corruption au Palais de la République, orchestrée par un ministre de la République. Chronique d’une arnaque tombée à… Lô.
Juin 2006. Le ministre de l’Environnement Thierno Lô démarche une audience entre le Président Abdoulaye Wade et le directeur de publication du Quotidien, Madiambal Diagne. Fort d’une «vieille amitié» avec M. Diagne, il avait convaincu le chef de l’Etat de la probité du patron du Groupe Avenir Communication, éditeur du journal Le Quotidien. M. Lô soutenait devant le chef de l’Etat que M. Diagne n’était pas cet homme décrit par ses collaborateurs comme quelqu’un qui cherche toujours à nuire au Président, à sa famille et au régime de l’Alternance.
Une audience qui avait permis de lever une équivoque, mais surtout de réitérer devant Me Wade que Le Quotidien tient et tiendra toujours à sa totale indépendance. Un principe, socle de la Charte de la rédaction de son journal, que Madiambal Diagne a signifié de vive voix au président de la République.
Juillet 2006. Thierno Lô fait part de son intention d’œuvrer «pour la pacification des relations entre la presse et le Président Wade». A l’époque, presque tous les patrons de presse ont défilé au Palais Léopold Senghor. Seulement, M. Lô ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Il est retourné chez le Président pour lui demander, en de termes très clairs : «M. le Président, il faut faire un geste pour Madiambal.» Tout en s’engageant à changer la ligne éditoriale du Quotidien qui devrait bientôt faire de la propagande pour le Président et rendre visibles ses réalisations à travers des publi-reportages déguisés. Il lui rappelle que «Madiambal reste une vieille amitié» et qu’il saura le convaincre. L’arme de la dissuasion : les espèces sonnantes et trébuchantes. M. Lô empoche alors des services du Palais les sommes Cfa qui devraient servir à mener à bien sa «mission». Corruption ? Malgouvernance ? Les deux à la fois !
Mais, curieusement ou sachant peut-être que Le Quotidien ne badine pas avec ses principes, l’homme de Darou Mouhty s’est gardé de toute démarche dans le sens promis à Me Wade. Le temps presse, Le Quotidien poursuit sa marche, continue ses révélations dérangeantes. Et Thierno Lô de dire à Madiambal Diagne : «Si Mme Mbaye (Ndlr : Assistante du Président Wade) t’appelle, dis-lui juste qu’on s’est vu. Et tu t’en tiens à cela.» De quoi susciter le doute et motiver une petite enquête de la part de Madiambal Diagne. Le directeur de publication du Quotidien se rapproche des services de communication de la Présidence pour savoir si «quelqu’un n’aurait pas pris des engagements en son nom». Sans manquer de faire ce rappel à ses interlocuteurs : «Dites au Président, qu’il ne sera jamais question d’argent dans nos rapports. Et je n’ai mandaté, ni mandaterai personne pour quelque service que ce soit. Le Quotidien a les reins solides et ne recevra de l’argent de personne !»
N’empêche à la Présidence de la République, il reste avéré que Thierno Lô a encaissé de l’argent au nom du Quotidien.
Jeudi 4 Janvier 2007. Le «service» grassement payé tardant à être rendu par Le Quotidien, fidèle à sa ligne de toujours, le Président se pose des questions. Jeudi 4 janvier dernier, Me Wade réfléchit à haute voix lors d’une réunion avec ses collaborateurs sur ses rapports avec la presse. Au cours des échanges, il a été beaucoup question du Quotidien, ce «journal qui dérange» le gouvernement comme l’avait d’ailleurs avoué le Président Wade sur les perrons de l’Elysée en juillet 2004, durant l’emprisonnement de Madiambal Diagne (9-26 juillet).
Le chef de l’Etat souligne à plusieurs reprises ne pas comprendre l’attitude de Madiambal Diagne «qui devait revenir (le) voir». Au point que son fils Karim Wade cherchât à savoir pourquoi cette fixation de son père sur le désormais ancien Dirbup du Quotidien.
Au sortir de la réunion, Hassan Bâ, un des conseillers du Président, se rapproche de Me Wade pour évoquer le prétendu quiproquo autour de la «surprenante» attitude de Madiambal Diagne. Le chef de l’Etat l’informe d’un prétendu deal avec le directeur de publication du Quotidien qui se serait engagé à venir le rencontrer régulièrement. Hassan Bâ s’en étonne et met Me Wade au parfum des inquiétudes de Madiambal Dia-gne qui tentait de savoir depuis plusieurs mois si «quelqu’un aurait pris des engagements en son nom».
Vendredi 5 Janvier 2007. En début d’après-midi, une audience est provoquée entre le Président Wade et Madiambal Diagne, en présence de son conseiller en communication Hassan Bâ pour discuter de questions diverses dont de prétendues libéralités qu’il avait consenties au nom du Dirpub du Quotidien. Le pot aux roses éclate quand le Président Wade convoque avec diligence son aide de camp, le Colonel Cheikh Bara Cissokho, qui sort une chemise dans laquelle se trouve le document déchargé par Thierno Lô lui-même, le jour où il prenait l’argent. Le Président Wade découvre que son ministre a fait un vilain bébé sur le dos du Quotidien et de Madiambal Diagne, en empochant en leurs noms et à leur insu une rondelette somme.
Une fois encore Madiambal Diagne réitère son propos au Président Wade : «Le Quotidien a les reins solides et ne doit de l’argent à personne ! » Et dire qu’il y a moins de deux mois, Madiambal Diagne avait demandé à Me Wade de se réveiller, car dans son entourage, existent des hommes «qui manigancent, manipulent pour le couper du monde». C’était le 24 novembre dernier dans un éditorial publié dans Le Quotidien n°1173, au lendemain d’une nuit de panique au palais, pour une histoire de faux renseignements sur l’introuvable Cd numéro 2 de Idrissa Seck.
Gentlemen agreement. L’affaire est grosse, mais au Palais, on aimerait qu’elle soit enterrée à la Présidence, qu’elle soit frappée d’une omerta ; le Président Wade ayant cependant assuré à Madiambal Diagne qu’il prendra ses responsabilités dans cette affaire. En bon gentleman, M. Diagne donne sa parole de ne pas ébruiter l’affaire avant la confrontation qui devait permettre de confondre Thierno Lô.
Seulement, il est de coutume au Quotidien que les décisions se prennent collégialement. A chaque fois qu’une autorité publique ou privée rencontre un journaliste du Quotidien dans le cadre du travail, celui-ci en fait le compte rendu pendant la réunion quotidienne des chefs de service, afin que nul n’en ignore. C’est ainsi que la Rédaction a été informée. Considérant que la probité et les principes de la Rédaction priment sur tout, en toute souveraineté, il a été décidé, après un long débat (jusqu’à 2 heures 30 du matin), de communiquer sur cette affaire qui mettrait en cause la crédibilité du journal, bien que l’Administrateur du Groupe Avenir Communication ait donné sa parole au chef de l’Etat. Après d’âpres discussions, la décision finale prise par la Rédaction est de porter cette information à ses lecteurs envers qui elle doit sa raison d’exister. Mais, surtout conformément à la Charte des Devoirs et des Droits professionnels du journaliste : «(…) La responsabilité du journaliste vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de son employeur et des pouvoirs publics (…)»
Samedi 6 Janvier 2007. Madiambal Diagne contacte au petit matin le directeur de publication du journal Le Quotidien pour vérifier si finalement sa demande de respecter l’engagement pris auprès du chef de l’Etat de ne pas ébruiter pour l’instant cette affaire lui a été concédée par la Rédaction souveraine. Mamadou Biaye, directeur de publication du Quotidien, lui rétorque que non, en soutenant que la Rédaction, qui a fini son bouclage à 6h 30 du matin, n’avait pas dérogé aux principes qui ont fini de faire sa réputation.
Et le Dirpub de lui faire le compte-rendu de ce qui a été écrit. C’est à ce moment qu’il découvre qu’une méprise dans la narration de l’audience accordée par Me Wade à Madiambal Diagne rendait incomplète l’information. L’article parlait d’une confrontation Madiambal Diagne-Thierno Lô, alors qu’elle n’était pas encore advenue. Et dans cette affaire aussi sensible qui pouvait ternir l’image et la crédibilité du journal Le Quotidien, il aurait été grave de faire une faute professionnelle, sorte de faille dans laquelle le ministre de l’Environnement s’engouffrerait avec opportunisme pour organiser sa défense. Il faisait 8h 30. Et le Dirpub Mamadou Biaye appelle illico presto le responsable de l’impression du journal à l’imprimerie Graphisol. L’édition du samedi était déjà sur la rotative de l’imprimerie. Aussitôt il lui donna l’ordre de tout stopper et de ne mettre aucun numéro sur le marché.
Dimanche 7 Janvier 2007. La Rédaction se réunit comme d’habitude le dimanche à 17h. Après une demi-heure d’échanges, il a été demandé à l’Administrateur général de susciter dans les plus brefs délais (48 heures tout au plus) une confrontation avec le ministre Thierno Lô pour compléter l’info et pouvoir communiquer là-dessus, parce qu’il y va de la crédibilité du Quotidien. Madiambal Diagne appelle Hassan Bâ et l’invite à se rapprocher du Président pour organiser, au plus vite, la confrontation avec Thierno Lô. La Rédaction exige une première fois qu’elle se tienne au plus tard dimanche soir avant d’accepter de donner au Palais le temps d’organiser la confrontation qui a eu finalement lieu hier.
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