Le Président tchadien, Idriss Déby a envoyé hier nuit son Premier ministre et son ministre des Affaires étrangères à Dakar. Objet : remettre au Président Wade un message dans lequel, il propose la tenue du sommet avec le Soudanais Omar El Bashir à Dakar, à une date ultérieure après « l’échec » de celui qui était prévu hier. Mais, derrière ce revirement très diplomatique, se cachent de multiples tractations qui ont débuté à Banjul lors du sommet des chefs d’Etat. Enquête.
Sans doute que dans sa tête, le Président Abdoulaye Wade doit se dire que quand il parle panafricanisme, Khadafi est son ami. De même, quand il est question des Etats-Unis d’Afrique. Mais, quand il parle de médiation, Khadafi oublie tout. Même les accueils royaux et folkloriques qui lui ont été réservés au pays de la Téranga durant ces deux dernières visites. C’est la triste réalité au continent de Kérékou : chaque dirigeant veut se targuer d’avoir réconcilié deux parties, des chefs d’Etat à une rébellion, un Président et ses opposants....
Déby : « tu m’as beaucoup protégé »
L’histoire commence à Banjul, courant juillet. Lors de la rencontre des chefs d’Etat. Idris Déby Itno, le Président tchadien, s’ouvre à Me Abdoulaye Wade : « je connais tes bonnes relations avec Omar El Bashir, même si tu n’hésites pas à lui dire la vérité les yeux dans les yeux. Aujourd’hui, je crois que tu es le seul qui peut nous réconcilier. Je sais que tu vas le faire car tu m’as beaucoup protégé ». Wade a effectivement toujours protégé Déby. Retour en arrière. Janvier 2006, la Banque mondiale sévit au Tchad et exige que Déby n’utilise plus des revenus pétroliers du pays pour armer ses troupes surtout que, selon l’institution internationale, le Tchad fait main basse sur les fonds pétroliers réservés aux générations futures. Face au refus de Déby, la Banque mondiale bloque les versements financiers que devait receoir Ndjaména. Déby est à bout de souffle, dans ce combat de David contre Goliath. Alors, il saisit Me Abdoulaye Wade. Très proche de Washington, le Président Sénégalais joue les bons offices tant au niveau de la Banque mondiale qu’au département d’Etat américain. Il n’hésite pas à plaider le « dossier Déby » lors d’un entretien téléphonique avec le Président américain, Georges W. Bush ainsi qu’avec le Français Jacques Chirac. Le fruit de son travail de coulisses tombe : le 19 juillet, un nouveau projet de loi des finances au Tchad, qui tient compte d’un protocole d’accord, est signé avec la Banque mondiale. Njaména s’engageait ainsi à consacrer 70 % de ses revenus du pétrole à des programmes prioritaires de réduction de la pauvreté. Tout est bien qui finit bien.
Banjul : la question suspecte de Khadafi
C’est fort de ce geste du Président Sénégalais que Déby le saisit pour une médiation avec Bashir. Il faut ajouter aussi un fait : chaque fois que le Sénégal effectuait des missions diplomatiques dans les hautes sphères, il plaidait toujours le dossier du Tchad après avoir exposé le sien. Déby avait choisi Wade aussi parce que selon lui, il est le seul à n’avoir pas d’intérêt dans les conflits qui secouent la sous-région. C’est donc à Banjul que tout s’est joué. Wade parvient sans difficulté à convaincre les deux parties de s’asseoir autour de la table de négociation. Présent sur place, Khadafi commence à être intéressé par le dossier. « Maintenant que vous vous êtes réconcilié, est-ce que important de faire le déplacement sur Dakar ? », ne cessait-il de demander. Déby et Bashir, présents eux aussi au sommet, répondent par l’affirmatif. Wade, lui, affirme qu’il ne demandait que la réconciliation et qu’on pouvait même mettre un trait sur la rencontre de Dakar. Mais, Déby et Bashir disent niet encore. Khadafi se courbe : il affirme être prêt à faire le déplacement dans la capitale sénégalaise, le jour-J pour participer au « grand événement ». « Nous ne voulons pas qu’après des accords fla-fla, que le conflit reprenne. Il faut raser tout. Même les cendres. Nous voulons des accords définitifs », avancent Déby et Bashir. Fin du premier épisode.
Obasanjo à Wade : « vas-y ! Je sais que tu y arriveras »
Avant de commencer sa tournée qui l’a mené au Darfour pour les derniers réglages à propos des accords entre Bashir et Déby, Wade briefe Obasanjo du Nigéria. Proche de Bashir, le Président Sénégalais ne voudrait pas que ce dernier croit qu’il s’immisçait dans ses « affaires ». Le Président nigérian se veut formel : « vas-y ! Je sais que tu y arriveras ». Le message était sincère et Wade s’en réjouit fortement. Après plusieurs réunions, appels téléphoniques, négociations, Déby et Bashir décident de sceller l’accord final. Une fois de plus, Wade leur demande, surtout avec l’accord sur les frontières, si le déplacement sur Dakar était toujours nécessaire. Les deux parties répondent encore « oui ».
Manœuvres dans la tribune officielle
Mardi 8 août. Wade est à Ndjaména pour assister à la cérémonie d’investiture de Déby, réélu à la tête du Tchad. Sont présents : Obiang Nguéma, Amadou Toumani Touré, Ould Vall, Denis Sassou Ngesso, Faure Gnasingbé, Omar El Bashir, Jettou, le Pm marocain représentant le roi Mohamed 6 etc. C’est là que Khadafi va faire son coup. Après Déby, il est appelé au perchoir pour faire son discours. Il se penche et dit à Bashir qui lui cédait sa place. Le Président soudanais se lève pour aller vers le perchoir, Khadafi le suit, tient sa main, puis celle de Déby et les lève vers le ciel. Ndjaména applaudit, les autres chefs d’Etat présents à la tribune n’y comprennent rien, mais diplomatie oblige, eux aussi applaudissent. L’investiture terminée, Wade décide de rentrer sur Dakar. Avant de prendre l’avion, Déby, et Bashir, lui réaffirment encore qu’ils seront à Dakar mercredi 9 août. Le Président sénégalais arrive à l’aéroport de Dakar, la presse lui pose des questions sur le mini-sommet prévu dans la capitale sénégalaise entre Déby et Bashir, il répond : : « au moment où je les quittais, c’était maintenu. Ils m’ont dit à demain (Ndlr : ce mercredi), mais je sais qu’il y a des manœuvres de toutes sortes. Nous ne sommes pas dupes. Si à mon départ il y a des manœuvres de couloirs, cela ne fait rien parce que je n’ai pas demandé à faire la médiation ». De manière voilée, Wade s’attaquait à Khadafi.
En tout cas, l’histoire lui donne raison. Mardi après l’investiture, Khadafi demande à Bashir de rester quelques jours au Tchad, pour prouver à son homologue Déby sa sincérité. Après plusieurs tractations, Bashir cède. Mercredi matin, les services de Déby saisissent la Présidence de la République Sénégalaise : le Président tchadien ne pouvait pas se déplacer sur Dakar, au moment où son homologue soudanais avait décidé de rester quelques jours dans son pays. Diplomatiquement correct : Khadafi avait à merveille réussi à « chiper » le travail de Wade. Mais c’était sans compter avec les multiples astuces de « Ndiombor ».
Déby envoie une délégation hier nuit et confirme le sommet
Conscient sans doute qu’il a été piégé, Déby décide de rectifier le tir. Dans la soirée d’hier, il a discrètement envoyé à Dakar son Premier ministre et son ministre des Affaires étrangères. Avant leur embarquement sur Dakar, ils disent être porteur d’un message de Déby à son homologue Sénégalais. Ils sont reçus par le ministre de la Justice Cheikh Tidiane Sy, qui assure l’intérim du Premier ministre absent du pays et le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères Cheikh Tidiane Gadio. Au moment où nous mettions sous presse, les deux parties avaient commencé une séance d’explication au sommet. L’As est en mesure de révéler que la délégation tchadienne a proposé au Sénégal que le sommet entre Déby et Bashir se tienne toujours à Dakar à une date qui sera fixée ultérieurement. Evidemment, le Sénégal n’a pas craché sur cette proposition. Commentaire d’une source sûre sur cette rocambolesque affaire : « c’est l’Afrique qui est en marche ! ». Avec ses petites trahisons entre amis...
Refuser ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire avec Eyadéma
Parfois, il faut savoir se dire la vérité les yeux dans les yeux, entre amis. Même si cet ami se nomme Khadafi, « faiseur de roi ». Car dans ce genre de médiation, il suffit que le dossier quitte une main pour une autre pour que cela grippe. Pour le malheur de l’Afrique et de nos faibles démocraties. Il faut toujours avoir en tête ce qui s’était passé en Côte d’Ivoire. Le Sénégal, qui avait réussi à décrocher un accord entre le gouvernement et les rebelles, avait subitement été effacé du circuit. Par qui ? L’As est en mesure de dire que c’est feu Eyadéma qui avait demandé à notre pays « de se retirer de son dossier ». Le résultat est là : tout le travail que le Sénégal avait fait pour le règlement du dossier ivoirien est à l’eau depuis les pseudos accords de Marcoussis. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui croient que personne ne pourrait sauver la Côte d’Ivoire et certains amis ivoiriens nous disaient récemment que : « leur pays a f...le camp », l’économie avec lui.
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