DAKAR, le 16 juin (IRIN) - A cinq ans, Ibrahima Sow a été envoyé dans une l’école coranique - daara - pour apprendre le Coran. Contraint à la mendicité pour payer ses maîtres et se nourrir, il était battu lorsqu’il rentrait les mains vides. Ne supportant plus les mauvais traitements, il s’est enfui du daara.
Au Sénégal, il est courant de voir aux coins des rues des jeunes garçons mendier comme des talibés – disciples – pour le compte de leurs maîtres coraniques. Et selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), le pays comptait quelque 100 000 enfants mendiants en 2004, soit un pourcent de la population, la majorité de ces enfants étant des talibés.
Aujourd’hui, Ibrahima a seize ans. Il est rentré chez lui et nous raconte son parcours.
« Je suis resté longtemps au daara. Je ne sais pas combien de temps exactement, mais ce qui est sûr, c’est que j’y est passé plus de trois ans.
Au daara, je me levais à 6h du matin. J’allais mendier mon petit déjeuner, car on n’y mangeait pas. A 9 heures, je rentrais pour apprendre le Coran jusqu'à 13 heures. Ensuite, je repartais mendier ma nourriture du midi. Je revenais à 15 heures, et jusqu’à 17 heures, les cours reprenaient.
A 17 heures, je devais verser l’argent de la journée. On ne nous fixait pas de somme à ramener. Mais quand on revenait les mains vide, on nous frappait. Alors, ce n’est que si on avait récolté beaucoup d’argent, qu’on achetait quelque chose à manger. Sinon, on ne mangeait pas.
C’est lorsque le marabout était absent que c’était le plus dur, car les talibés les plus âgés faisaient la loi. Il y en avait seulement 5 ou 6, mais ils ne nous traitaient pas bien. C’est pour cela que j’ai fui le daara.
Après être parti, j’ai vécu dans la rue pendant deux ou trois mois, peut être. Dans la rue, la vie n’était pas facile. Mais je n’ai jamais eu peur. Je dormais sous des camions ou sous des bus dans les gares routières. Je chassais ceux qui y étaient déjà, pour avoir une place.
Je mendiais et je volais. On ne m’a jamais pris, sauf une fois. J’étais à Rufisque, dans la banlieue de Dakar. Avec un ami, nous avions volé un téléphone portable. Son propriétaire nous a attrapés, a fait chauffer une fourchette et un couteau, et nous les a appliqués sur la peau. Aujourd’hui encore, j’ai des brûlures sur le ventre, le bras gauche, la fesse et le sternum.
Une fois, j’ai sniffé du diluant pour peinture avec une bande de copains. On a mis la colle sur un chiffon et on l’a mélangée avec de la menthe fraîche, pour atténuer l’odeur. Ca ne m’a rien fait, alors j’ai jeté le chiffon, et je n’ai plus jamais recommencé.
Je faisais aussi l’amour à des jeunes garçons de mon âge, mais on ne me l’a jamais fait. J’avais vu Thierno, un de mes amis mais aussi chef de bande de plusieurs enfants dans la rue, le faire. Alors j’ai essayé. Mais j’ai abandonné tout cela avant d’arriver au refuge de Village Pilote, à Pikine ».
Au bout de quelques mois, je me suis enfui du refuge car un jour, je ne voulais pas faire les cours d’alphabétisation. L’un des animateurs, David, a voulu m’obliger. Comme je refusais, il m’a tiré par le bras ; il voulait me parler. Mais j’ai jeté mes livres et mes cahiers, et je me suis enfui.
Je suis resté 10 jours dans la rue, à Pikine. Je voulais y resté, mais je suis tombé sur un talibé de mon marabout. Il m’a forcé à rentrer au daara, à Saint Louis. Mon marabout m’a alors dit de rentrer chez moi. Il m’a donné l’argent pour rentrer chez moi.
Je suis rentré au village [Mban]. Aujourd’hui, je suis berger. J’accompagne mon cousin dans les pâturages.
Je voudrais repartir en ville, n’importe où, pas pour retourner vivre dans la rue, mais pour chercher du travail, gagner de l’argent, acheter des moutons, les ramener au village et les élever. Mais je n’ai pas d’autre choix que de rester. Mon père est décédé et je dois maintenant aider ma mère qui doit s’occuper de mes deux petites sœurs et de mon petit frère, qui sont encore en bas âge. En tant qu’aîné, je suis le chef de famille aujourd’hu, et je dois prendre mes responsabilités ».
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