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ENTRETIEN AVEC… Malick Sow, président de la Cour d’Assises de Dakar : «On condamne sans états d’âme»

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ENTRETIEN AVEC… Malick Sow, président de la Cour d’Assises de Dakar : «On condamne sans états d’âme»

C’est un Malick Sow serein et calme qui a dirigé cette année la session de la Cour des assises de Dakar qui se sont terminées ce samedi. Dans cet entretien, il tire un bilan qu’il juge assez-satisfaisant. Mais, il reconnaît tout de même l’existence de certains problèmes comme la prise en charge des témoins. Même après les incidents du samedi qui ont clôturé les assises, il reste zen et les minimise car, estime-t-il, les peines prononcées sont réfléchies, mûries et prises en âme et conscience, sans états d’âme.

M. le président, quel bilan tirez-vous après la première session des assises de 2006 ?

Nous avons tenu une session assez correcte dans l’ensemble et à tous les points de vue. Du point de vue matériel, de l’organisation, des moyens qui étaient mis à la disposition de la Cour, de la gestion des audiences, des dossiers, des personnes, des incidents même s’il y en a eu très peu. Donc de manière générale et globale tout s’est passé dans de très bonnes conditions. En tout cas, mieux que les sessions précédentes parce que nous avons tiré beaucoup d’expérience des difficultés que nous avons rencontrées dans le passé. Et, nous avons essayé de les surmonter. C’est vrai que tout n’a pas été complètement parfait mais nous avons quand même tenu une session et à l’unanimité les gens ont exprimé leur satisfaction à tout point de vue. A part ce qui s’est passé la dernière fois.

Justement des condamnés se sont rebellés à l’annonce d’une peine à perpétuité

Il est normal que des détenus qui sortent d’une audience avec des peines aussi lourdes ne soient pas contents. C’est un incident mineur. Ils ont râlé, protesté et vociféré. C’est normal et nous avons compris leur réaction. Et l’on aurait pu les sanctionner pour ça, mais nous ne l’avons pas fait. Ça servirait à quoi de le faire ? Toutefois, c’est une attitude humaine par rapport à une décision aussi lourde que quelqu’un proteste. Nonobstant cet incident, la Cour est restée sereine jusqu’au bout. On a attendu qu’ils soient évacués pour ensuite rester sur notre lancée dans la manière la plus claire, calme pour rendre notre décision sans états d’âme. Notre démarche n’a pas varié parce qu’elle est profondément réfléchie, mûrie avec une conviction claire. Si on devait le refaire, on aurait pris la même décision.

Mais, en l’état actuel est-ce qu’une seule audience suffit pour vider tous les dossiers pendants devant la justice ?

Absolument pas ! Une seule session n’est pas suffisante pour régler l’ensemble des questions criminelles qui sont pendantes devant notre justice tout au moins pour Dakar. Et Dakar a le plus grand nombre d’appels. Maintenant, pour les régions une seule session peut suffire pour vider les affaires qui sont en attente. Pour Dakar, je pense qu’il faut qu’on en arrive aux dispositions du Code de procédure pénale qui prévoit trois sessions par an. Si on arrive à tenir ces trois sessions par année, au bout de deux ou trois ans, je pense que nous arriverons à résorber le gap dans ce domaine.

Est-ce que toutes les modalités sont remplies pour mettre en œuvre deux ou trois sessions ?

Une session d’assises est très difficile à gérer parce que c’est très lourd. Il y a trop de formalités, de procédures, de délais et beaucoup de choses à respecter. L’année dernière, nous avons pu tenir deux sessions. Cette année, il y a eu beaucoup d’affectations, c’est pourquoi nous n’avons pas pu les tenir. Cette initiative est d’ailleurs dévolue au Procureur Général. Vous savez qu’en Cour d’Appel, le Procureur général Abdoulaye Gaye a été nommé procureur général près la Cour de Cassation et il a été remplacé par Youssoupha Mbodji qui vient de Kaolack. Par conséquent, nous avons perdu beaucoup de temps. Je pense cependant que si nous n’avions pas eu ces impairs les deux sessions auraient pu être tenues. Mais, si nous continuons dans cette lancée, je crois qu’on pourra tenir même trois sessions. Ce qui nous permettra de résorber le retard que nous avons accusé qui du reste n’est pas très important.

Des accusés ont été condamnés par contumace. Comment expliquer cette situation ?

Il faut savoir qu’on ne comparait jamais en Cour d’Assises en étant libre. Même si on a bénéficié d’une demande de liberté provisoire, même si on n’avait jamais été placé sous mandat de dépôt, au moment de comparaître devant la Cour d’Assises, la Chambre d’accusation rend un arrêt dans lequel il est indiqué que l’accusé doit être arrêté et gardé en prison pour ensuite comparaître compte tenu de la gravité des faits qui lui sont reprochés. Il faut venir détenu pour pouvoir comparaître devant cette juridiction.

Toutefois, au cours de l’instruction, il peut arriver que les gens soient mis en liberté. C’est le cas de ces personnes (Ndlr : Codou Gningue et Ngoné Diop) qui n’ont pas comparu et qui n’ont jamais été placées sous mandat de dépôt. Le juge d’Instruction les avait inculpées et les avait mises en liberté provisoire. Et quand l’ordonnance de prise de corps a été rendue, il a fallu les rechercher pour les arrêter. Mais, les recherches de la police ont été infructueuses. Peut-être qu’ils ont déménagé, ou décédés, changé de vie ou ils sont gravement malades. Il n’y a alors qu’une seule manière de les juger : la contumace. Mais les recherches vont se poursuivre. Et une fois qu’on les aura pris ils vont êtres jugés lors de la prochaine session pour leur donner une chance de se défendre car quand on les juge en contumace, l’avocat n’a pas la possibilité de plaider le dossier en leur absence. On attend de voir ce que les recherches vont donner pour ensuite les juger.

Le plus souvent en Assises, les accusés comparaissent après dix années de détention préventive. Cette année, il s’agit surtout des gens qui ont fait seulement cinq ans de détention. La Justice est-elle devenue plus diligente pour les affaires criminelles ?

En moyenne cette session et de manière globale sur toute l’étendue du territoire, la moyenne de la détention tourne autour de cinq ans. C’est le résultat des efforts que nous faisons depuis un certain nombre d’années. D’ailleurs, ça va monter en crescendo parce qu’une fois qu’on arrivera à faire au moins deux sessions par an, on arrivera à régler l’ensemble des dossiers qui sont toujours pendants devant la justice et à juger les affaires qui sont moins anciennes et dans lesquelles il y a moins de nombre de détention.

Pour la session 2006 les avocats de la défense ont beaucoup fustigé les procès verbaux de la police qu’ils jugent êtres bâclés ou rédigés tout simplement à la va-vite. Vous en avez pris compte dans le cadre de vos verdicts ?

Ecoutez ! Chacun a son système de défense. Mais, le procès verbal de la police est quelque chose qui est réglementé de manière minutieuse. Même s’il est protesté, nous savons quand même faire la part des choses et lire entre les lignes. Sur ce qui a été dit sous la menace ou ce qui ne l’a pas été parce que le dossier ne résulte pas simplement de l’enquête préliminaire. En dehors de celle-ci, il y a aussi la première comparution devant le juge d’instruction, les interrogatoires, les confrontations, l’intervention de la chambre d’accusation. A partir de tous ces éléments, nous arrivons à savoir tout ce qui s’est passé.

Il est évident que le procès verbal doit comporter un certain nombre de mentions qui sont obligatoires. Mais, si elles n’y figurent pas, elles peuvent entraîner sa nullité. C’est le cas d’un détenu gardé à vue, il doit être assisté d’un médecin pour voir s’il a été torturé ou pas. Quand vous verrez les mentions des procès verbaux, vous y verrez que la question a été posée et qu’une réponse a été apportée et la personne a signé. Il y a également la présence de l’avocat durant l’interrogatoire de la police. Ce sont des systèmes de défense. Vous voyez que manifestement dans une même procédure, il y a des gens qui disent exactement ce qu’ils pensent et qui signent leurs procès verbaux et ils sont ensuite transmis de façon telle. Si dans un Pv, quelqu’un fait des aveux, il ne peut pas dire que moi j’ai été torturé et que l’autre ne l’a pas été. Donc il y a un faisceau d’éléments qui permettent au juge d’apprécier si effectivement les dénégations et les allégations sont fondées ou pas.

Encore une fois, le dossier ne se limite pas seulement à l’enquête préliminaire. Mais le système de défense permet à l’accusé de se défendre par tous les moyens y compris de mentir. Le mensonge est aussi un droit qu’on reconnaît aux prévenus.

Comment vous sentez-vous quand vous devez condamner quelqu’un à des peines lourdes comme la perpétuité ?

Quand on a la conscience tranquille, on n’a pas de problèmes. La question n’est pas de condamner quelqu’un aux travaux forcés ou à perpétuité. Mais, quand on condamne quelqu’un on le fait franchement sans états d’âme. Si vraiment on doit hésiter, ou l’on a des doutes pour le faire, un temps soit peu un sentiment qui vous dit que ce n’est pas la bonne décision, ne la prend pas. Nous avons des manières tout à fait lucides, conscientes, réfléchies de rendre une décision.

Les réponses que nous avons apportées sont d’abord passées au vote à bulletin secret avec un dépouillement qui s’est fait dans les règles de l’art et par cinq voix au moins. Ce n’est pas des conciliabules, des consensus mais des votes à bulletin secret. Ce qui nous permet d’arriver aussi bien sur la déclaration de culpabilité que sur la peine. Donc c’est une décision collégiale qui a été prise en âme et conscience dans l’intime conviction des uns et des autres mais qui ne repose pas sur n’importe quoi mais sur des éléments probants. Vous étiez là, vous avez remarqué que nous n’avons rien inventé.

Avec les cas de perpétuité, à aucun moment, n’avez-vous vraiment rien ressenti au moment de prononcer la peine ?

Dans ce cas, on n’aurait pas pris la décision. S’il fallait le refaire, on l’aurait refait. On ne juge pas quelqu’un par rapport à ce qu’il est mais par rapport à un ensemble de choses. Est-ce qu’il est admissible dans une société, quelles que soient les raisons, de se comporter d’une certaine manière. C’est ça la question de fond et à laquelle il faut répondre. Est-ce qu’il faut laisser les gens en liberté et que pour prendre 50 000 francs de quelqu’un il faut lui balancer une balle de revolver dans l’œil. C’est la question à laquelle il faut répondre. Posez-vous la question s’il s’agit de votre frère, mère ou sœur, quelle serait votre réaction ? C’est vrai que nous nous mettons à la place de l’accusé mais nous nous mettons également à la place de la société et des citoyens.

Ce n’est pas pour rien que nous avons demandé à de simples citoyens (Ndlr : les jurés) de venir siéger à côté des magistrats professionnels. Même s’ils n’ont pas fait des études en droit, ce sont des gens réfléchis et doués de raison. Avant de prendre une décision nous discutons des faits et du droit. C’est de notre rôle de leur expliquer par rapport au droit, quels sont les règles, les enjeux, les conséquences. Avant de passer au vote, ils savent quelle sera la conséquence de la décision qu’ils vont prendre. Ce n’est pas des loteries. Il y a eu quelqu’un qui a comparu cette année qui avait été condamné aux travaux forcés lors de la précédente session, il avait fait un pourvoi en cassation et la décision a été cassée. L’affaire est revenue et nous avons pris la même décision. Par conséquent, ce n’est pas au hasard que nous prenons nos décisions. Elles sont scientifiquement discutées et débattues. C’est après que la décision est prise.

Il est aussi constaté que les témoins ont une certaine crainte d’aller au fond lors de leurs comparutions.

Dans l’état actuel de notre législation, il faut reconnaître qu’il y a des problèmes. C’est vrai que les témoins ne sont mis pas dans de bonnes conditions. Car, pour témoigner d’abord, il faut se déplacer. Il faut peut-être dans l’avenir, leur donner des moyens de se déplacer, des garanties de sécurité, peut-être aussi les dédommager. Vous avez constaté que nous avons appelé des témoins à la barre à certaines heures de la nuit et ensuite les laisser partir sans leur garantir la moindre sécurité. Même si la loi prévoit ces conditions mais la manière dont les choses fonctionnent fait que nous ne sommes pas encore à ce stade. Mais, nous avons réglé cette année beaucoup de difficultés et je sais que plus nous allons de l’avant plus ces questions seront prises en charge. C’est une difficulté qu’il faut régler pour les prochaines assises.



1 Commentaires

  1. Auteur

    Allons Y Molo

    En Octobre, 2010 (18:36 PM)
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