J’ai vu Latif la dernière fois samedi 05 Avril 2008 au crépuscule. Il était venu chez moi pour me dire qu’il devait entreprendre un voyage sur Tamba pour répondre à une invitation d’un chef religieux qui organisait un gamou. Je ne lui ai même pas donné le temps de terminer sa phrase, je lui ai dit en wolof : « baayil dëgger bopp, ndax paa bi téré na la tùkki gùddi» ( ne sois pas têtu, le vieux t’a interdit de voyager la nuit). N’oublies pas que tu as des amis au Sénégal, mais tu as aussi des ennemis. Il m’a dit : « oui c’est vrai, mais j’ai déjà donné ma parole. Laisses-moi partir, c’est juste un acte de présence. Je compte retourner dimanche ». Alors on s’est dit au revoir. Il était parti avec son fils aîné, son chauffeur Kanouté et son garde du corps Chérif. Cela allait être son rendez-vous avec la mort. Après m’avoir quitté, il est allé faire un crochet chez l’imam Massamba Diop, vice-président de l’Ong Jamra. Ils ont l’habitude de se concerter. Mais ils se sont enfermés pendant deux heures d’horloge. Ils ont eu à aborder des sujets qu’ils n’ont jamais abordés mais que nous gardons pour nous pour l’instant. On s’est rendu compte par la suite que Latif était inconsciemment en train de faire ses adieux. Ils sont partis. Après avoir dépassé Kaolack, arrivé à hauteur de Mbirkilane, d’après ce qu’on nous a dit, le véhicule, à un moment donné, a dérapé en faisant 5 à 6 tonneaux. Il faisait nuit. Lorsque la voiture s’est stabilisée, on n’a pas vu Latif. Les autres ont réussi malgré les traumatismes et le choc à s’extirper de la voiture. Le garde du corps Chérif Sané est sorti avec des égratignures. Son fils Abass Guèye est sorti indemne de la voiture. Mais pas l’ombre de Latif. En allumant les phares du véhicule qui était couché sur le flanc, on l’a aperçu une cinquantaine de mètres plus loin couché sur le ventre. Pendant les tonneaux, les portières arrière se sont ouvertes et Latif a été éjecté. Il s’est cogné la poitrine contre quelque chose. On ne sait pas si c’est contre un arbre ou un rocher. Au début, il y a eu un peu d’étourdissement. Mais quand il a repris ses esprits, en attendant que les secours ne viennent, il a demandé à son fils Abass de le couvrir parce qu’il a froid. Abass a enlevé sa Jacquette et lui a couvert la poitrine. Il avait des douleurs à la poitrine. Abass a ouvert la malle du véhicule pour sortir des tapis de prières dont Latif ne se séparait jamais quand il voyageait. Il lui a couvert les jambes. En attendant que les secours ne viennent, il a dit à Abass de venir s’asseoir à côté de lui. Il lui a demandé de veiller sur ses jeunes frères : Aziz, Babacar et les autres. Il a ajouté : « Abass, il faut assister ta maman et fais des efforts, il faut lui obéir et être en très bons termes avec elle ». Il lui a également demandé de jouer un rôle d’aîné, parce que désormais c’est lui qui est là. Abass étant un jeune garçon de 22 ans, il a eu une réponse d’un enfant de son âge : « Papa bayyil sa waxù caaxan yi waay » (Papa arrête de délirer). Latif continuait à lui faire comme on dit en wolof des « dinkaané » (des confidences). Ensuite, il a demandé à ce qu’on lui apporte de l’eau. Abass lui en a apporté . Après avoir bu quelques gorgées d’eau, son dernier mot a été : « Soubhanalah, Alhamdoulilah, Lahilahailla, Allahou Akbar !». Et immédiatement, il a rendu l’âme.
Le diagnostic du major Sène et du Dr Keïta de l’hôpital régional Ibrahima Niasse de Kaolack : Hémorragie interne des poumons
Quand les secours sont venus 1 heure 30 minutes plus tard, ils ont tout fait pour le réanimer mais c’était trop tard. Vers 4 heures 30 du matin, major Sène et Dr Keïta de l’hôpital régional Ibrahima Niasse de Kaolack m’ont appelé pour me dire qu’en dépit de tous leurs efforts, ils n’ont pas pu sauver Latif. Il avait une hémorragie interne. Le choc qu’il a eu aux poumons a dû lui donner une hémorragie interne.
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