Vous venez d’être porté à la tête de l’Agence de presse sénégalaise (Aps). Vous êtes inconnu du grand public et beaucoup de gens se posent des questions sur votre identité et votre cursus. Qui êtes-vous ?
Je
conteste le fait que les gens ne me connaissent pas. Très récemment,
j’ai travaillé dans le médium le plus fort, la télévision. J’ai présenté pendant près d’un an une émission sur la 2stv qui s’appelle «Classe Economie » (NDLR*** : il s’agit de l’émission « Classe Affaires). Par contre les jeunes journalistes peuvent ne pas me connaître.
Car
depuis que je suis rentré dans mon pays, je n’ai jamais travaillé dans
une rédaction, si ce n’est pour Youssou Ndour et Cheikh Tall Dioum dont
j’ai été le directeur du marketing et de la stratégie du temps où Sader
Diagne était le directeur général, et même sous le magistère de
Jacqueline Fatima Bocoum.
Je
suis surpris d’entendre que les gens ne me connaissent pas. Mais je les
comprends, puisque nous ne fréquentons pas forcément les mêmes
endroits. Je ne suis pas non plus dans les conférences de presse. C’est
vrai que j’ai eu la chance. Et c’est vrai que c’est une chance d’être
toujours dans le journalisme à des postes d’encadrement. J’ai par
ailleurs donné des cours à l’Issic, donc forcément connu par quelqu’un
comme Abdou Latif Coulibaly. Ce qui peut me gêner c’est qu’on fasse de
ma popularité réelle ou pas un critère d’éligibilité à un poste. Je
suis Sénégalais, je suis journaliste donc éligible à ce poste. Bref, le
plus important pour moi se trouve ailleurs.
Les lignes directrices, les axes stratégiques sur lesquels on va essayer d’aller plus loin pour l’Aps
me paraissent plus importants que les débats périphériques autour de ma
personne. Je peux le diriger aujourd’hui comme n’importe quel
journaliste parmi nous. La question qu’on doit se poser est : qu’est-ce
qu’on va en faire ?
Est-ce qu’il est facile de prendre le relais des mains de quelqu’un qui a fait une dizaine d’années à la tête de l’Aps ? Surtout lorsqu’il s’agit d’une icône de la presse.
Je
le comprends. «Suma nekkee grand kom Koumé la bëg nekk» (Koumé est une
référence pour moi, je souhaite lui ressembler à bien des égards). Qui
peut prétendre aujourd’hui être en mesure de diriger l’Aps pendant une
dizaine d’années ? Plus personne ne pourra le faire. C’est un record
qui ne sera plus jamais battu. En tout cas, moi j’arrive à l’Aps en
n’ayant aucune intention de le battre. Je suis un Sénégalais au service
de mon pays, sans connotation politique. Si demain on me demande
d’aller ailleurs pour servir mon pays, j’y vais. On m’a appris à me
battre à l’école militaire de Saint-Louis où j’ai grandi. Je ne connais
que ça.
Mamadou
Koumé a fait des choses formidables à l’Aps. Si aujourd’hui, il y a une
Aps à diriger, c’est parce qu’il était là pour en faire ce qu’elle est
devenue. À son arrivée, m’a-t-on dit, l’Aps était une coquille vide. Il
a sué sang et eau pour en faire quelque chose. Aujourd’hui, si je peux
accéder à cette boîte, au-delà de Dieu et de son prophète, c’est parce
qu’il a travaillé. Je lui rends hommage, parce que c’est ça qu’il
mérite. Par contre la boîte a besoin de passer à autre chose.
Avec toutes les réalisations de votre prédécesseur n’est-il pas difficile d’aller plus loin dans le développement de la boîte?
En
termes de management, il y a ce que l’on appelle le plafond de verre.
C’est-à-dire que vous êtes tellement dans le quotidien, le routinier
que les visions stratégiques que vous pouvez avoir trouvent leurs
propres limites. Je comprends les réactions qui me parviennent. Mais
vous conviendrez avec moi qu’entre vendredi et maintenant, je ne peux
pas demander aux agents de l’Aps de tourner le dos à quelqu’un qui est
presque un papa pour eux. Qui a tout fait avec eux et pour eux. C’est
une situation que j’analyse froidement et que je comprends.
Mamadou
Koumé n’est pas un problème. C’est un grand frère pour moi et il le
restera éternellement. Pour moi c’est un faux débat. Il arriverait bien
un moment où il devrait passer la main, peut-être pas à moi. Mais ce
moment devrait arriver un jour ou l’autre. Mon parcours ne m’a pas
conduit dans les rédactions, mais je n’en suis pas moins un journaliste.
Quels sont aujourd’hui les grands axes du challenge que vous devez relever ?
L’Aps est une maison très respectée dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Il y a des problématiques simples auxquelles elle doit faire face. Aujourd’hui, vous voyez très bien la somme d’informations qui provient du net. En termes de sites d’information, concédez-moi que l’Aps qui produit de l’information est moins visitée et moins lue que Seneweb. Qui relaie l’information, même si celui-ci en produit. C’est un paradoxe. Est-ce que l’Aps a l’attractivité dont elle a besoin pour être performante commercialement face aux autres sites ? Sur le site de l’Aps, vous ne trouverez pas cinq bandeaux publicitaires. Sur seneweb par exemple, la vente d’espaces publicitaires, la vente de bandeaux est un centre de profit incontournable dans le modèle économique de ce site. Il y a un problème. C’est l’aspect technique. Dans le site de l’Aps, il y a un problème d’attractivité, il y a un problème de modèle économique viable. Seneweb n’existe que par et pour les espaces publicitaires commercialisés autour de l’information délivrée gratuitement au grand public et aux professionnels. Est-ce que l’Aps peut continuer à fonctionner sur le modèle économique complètement axé sur du «business to business» ? Non ! Il faut qu’on soit beaucoup plus inventif pour aller vers un modèle économique où l’Aps produit de l’information et la vend à d’autres entreprises de presse et à des institutions. Mais l’Aps doit aussi être capable de produire de l’information à vendre aux consommateurs. Donc aller du «business to business» vers du «business to C», c’est-à-dire du «business to consumer». L’Aps va produire des informations assez profilées pour une catégorie particulière de gens. Est-ce qu’on ne doit pas signer un partenariat avec une société de téléphonie comme la Sonatel pour mettre en ligne des revues de presse que les décideurs de ce pays reçoivent chaque matin sur leurs téléphones portables ? Je pense que c’est vers ces choses-là qu’il faut aller. On n’a pas besoin de réinventer la roue. Quand on fait la comparaison entre le site de l’Aps et les sites de l’Afp, de Reuters, de Ap… on se rend compte qu’il y a une différence fondamentale. Au-delà du fil info, il y a de la vidéo. Quand la Rts, qui est une société nationale, finit de traiter ses reportages, les images finissent dans des poubelles ou dans les services d’archivage. Il y a des ponts et des partenariats à mettre en place entre les sociétés nationales. Ce qui peut nous permettre de traiter les images sous d’autres angles et de les livrer au grand public. C’est vers ces choses-là qu’il faut aller. Car le modèle économique de l’Aps, aujourd’hui basé essentiellement sur la subvention de l’État et pas sur la performance commerciale, doit être remis en cause. C’est mon point de vue et je l’assume. On ne peut pas toujours être sous perfusion permanente de l’État. En tant que journaliste, cela me pose problème. Car il peut se poser une question de liberté dans le traitement de l’information.
Pourquoi votre nomination pose-t-elle problème à certains?
Je ne vois pas en quoi ma nomination à la tête de l’Aps pose problème.
En réalité, c’est votre proximité avec certaines autorités de ce pays qui dérange quelque part.
Qui voulez-vous que les autorités de ce pays nomment sinon ce ne sont pas des compétences avérées, des gens qu’elles connaissent, qui leur sont proches ? Je ne rejetterais aucune des amitiés que j’ai. C’est un choix que je fais et j’assume. Le fait d’être un proche de Moustapha Guirassy, d’avoir travaillé à la primature et au ministère des Affaires maritimes pendant plusieurs années fait partie de mon parcours. Cela ne m’empêche pas d’être un journaliste et cela ne peut pas être remis en cause. Dites-moi dans quel pays au monde on nomme des directeurs généraux qui ne sont pas proches du pouvoir. Le directeur général de la Rts n’est-il pas proche du pouvoir ? Le directeur de l’Artp n’est-il pas proche du pouvoir ? Pourquoi ce qui ne pose pas problème pour eux devrait l’être moi ?
Pourquoi alors tout ce bruit autour de cette nomination ?
Parce que Mamadou Koumé constitue une particularité. Ceux qu’il a dirigés pendant tout ce temps pensent que c’est le père qui s’en va. C’est humain, et je le comprends. Je peux tout accepter sauf que l’on remette en cause mon intégrité morale. Il y a un nom de famille que je porte. Il faut que les gens se respectent.Je préfère être dans mon coin plutôt que de me laisser divertir dans des polémiques sans issue. Si quelqu’un d’autre était nommé à ma place pour remplacer Koumé, il aurait rencontré les mêmes difficultés. Il paraît que le président Senghor demandait qu’aucun directeur général ne reste à un même poste pendant dix ans. Car celui qui succède à quelqu’un qui fait dix ans quelque part perd une année dans des polémiques inutiles à reprendre son personnel nostalgique de l’ancienne époque. L’Aps est un bien public, il n’appartient à personne, encore moins à moi. Les gens doivent reprendre leurs esprits et comprendre que le pays nous appartient
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