Sénégal | Les enfants et le cinéma : A quand le cinéma à l’école ?

Jadis, c’était une baffe sur la joue qui ramenait à la réalité le jeune écolier surpris par ses parents en pleine lecture de bande dessinée appelée jadis « aventures ». Les instituteurs et les parents d’alors soutenaient que seuls les cancres et les paresseux s’adonnaient à cette lecture d’ilote. Par contre pousser l’enfant à la lecture du roman, de la poésie et du conte était le meilleur moyen de stimuler son imaginaire et son intelligence en vue d’une meilleure acquisition du langage écrit. Ce qui était la vocation de l’école. Il fallait solliciter plus l’image mentale que l’image imposée par la Bd, la télévision ou le cinéma. Une logique qui se défendait puisqu’on était à une époque où l’écrit imposait sa toute puissance. On était loin de soupçonner, dans les écoles africaines, que l’apprentissage de la lecture de l’image par le biais de la bande dessinée participait à la formation des jeunes à côté de la lecture classique.

Il y avait certes dans quelques écoles dakaroises, Saint-louisiennes l’existence de ciné clubs que les élèves du primaire fréquentaient le jeudi, jour de repos scolaire. On y projetait les films de Charlie Chaplin, des films d’animation. Ces projections étaient plus considérées comme des récréations, des « sorties », disait-on à l’époque, que comme support pédagogique. Parce qu’il soutenait que la vocation de l’image était de distraire à cause de l’intérêt qu’elle suscite et par l’impact qu’elle a sur les jeunes spectateurs. Aujourd’hui, que parents, enseignants et enfants sont soumis aux bombardements incessants de la publicité ( affiche, spot tv), vidéoclips, feuilletons, films, Internet etc…l’urgence de renverser la tendance est là, bien présente, à savoir apprendre aux enfants à ne pas être des consommateurs passifs d’images mais des consommateurs avertis d’autant que la publicité s’adresse directement aux enfants en les orientant vers des modèles de consommation, de comportement, des modes de pensées et des modes de relations. L’attrait de la télévision et des nouvelles technologies pousse la famille à transformer le salon en nouvelle salle de cinéma à l’heure des grandes diffusions des séries sud américaines (Terra nostra ; Rosa Salvaje ; destin du cœur, destin croisé etc…. )

Le fait que les salles de cinéma soient détournées de leur vocation première pour devenir des magasins, des supermarchés, des immeubles de rapport, fait que les jeunes n’ont plus que la télévision pour salle de cinéma. Le film fait désormais partie de l’environnement de l’enfant et comme le répète la réalisatrice Sarah Maldoror : « Les enfants commencent par savoir allumer la télévision avant même de savoir marcher. » et le regretté Ousmane Sembène d’ajouter que « le cinéma est l’école du soir du peuple ». Ce constat l’avait amené à mener de pair l’écrit (le roman) et l’image (le film). Ousmane Sembéne fondait sa conviction sur l’attraction qu’exerce l’image en mouvement sur le spectateur, sa charge émotionnelle et sa soit disante facilité de lecture. Or, ce préjugé qui tend à croire que la lecture d’une image est d’une banale facilité a tout l’air d’aller de soi. Ce préjugé subit aujourd’hui des revers car maintes recherches en psychologie génétique soulignent la complexité des rapports entre film et jeune spectateur. Comme on enseigne aux jeunes à lire un texte, il ne faut pas un apprentissage pour lire un film, le décoder afin de percevoir plus clairement son sens, le message qu’il véhicule parfois d’une manière insidieuse.

L’enfant entretient avec le cinéma et l’image en général un rapport de fascination et de dépendance mais il n’a pas une claire vision de leur enchaînement ; leur enchevêtrement. Or la projection cinématographique réunit un certain nombre de conditions permettant en principe une distanciation de l’enfant par rapport au film, l’acquisition d’un esprit d’analyse, et à plus longue échéance une prise de conscience des valeurs idéologiques véhiculées par le film….

Apprendre à un enfant à lire les images, c’est le considérer comme un être en devenir et que la pensée tout comme l’intelligence n’est pas innée. Elle se construit et se développe. L’enfant n’est pas un petit homme. Il devient un homme par le biais de l’apprentissage et de l’éducation. Sa formation est en cours, aux plans physiologique et psychologique. Ses facultés d’adaptation, ses capacités d’attention se développent par étapes, elle sont tributaires du contexte familial et du milieu social dans lequel il vit…La réception d’un film demande un effort de synthèse qui se heurte chez l’enfant à ce que les psychologues désignent par « tendance à la perception syncrétique du réel ». Henri Wallon précise : « entre synthèse et syncrétisme il y a opposition. Le résultat de l’une est tout organisé dont les parties peuvent être distinguées et soutiennent entre elles des rapports déterminés. Syncrétisme signifie au contraire confusion dans un ensemble global de tous les éléments qui les composent, quels que soient leurs rapports ou même en l’absence de rapports mutuels ..

L’enfant ne distingue pas non plus entre imaginaire et réel qui, pour lui, détiennent un même potentiel de vérité. Il est donc temps pour l’école sénégalaise d’introduire la lecture de l’image dans le programme scolaire pour mieux armer les enfants dans un monde où l’image devient omniprésente.