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SENEGAL, PEUPLE PASSIF ?

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SENEGAL, PEUPLE PASSIF ?

Dans un système démocratique, le pouvoir est la propriété du peuple. Ce dernier ne pouvant l’exercer directement, le confie à des représentants qu’il élit par la voie des urnes. A partir du moment où les gouvernants exercent le pouvoir politique au nom et pour le compte du peuple souverain, ils ne peuvent agir que dans l’intérêt des gouvernés. La plus  anodine des activités publiques n’est légitime que lorsqu’elle s’insère dans le cadre de la poursuite de l’intérêt général. Mais le fait de confier sa souveraineté à des élus, ne prive pas le peuple de tout pouvoir de contrôle  et de sanction. Il existe des moyens parfaitement légaux par lesquels les citoyens peuvent réagir lorsque l’action publique est déviée de sa boussole inamovible qu’est l’intérêt général, sous la pression d’appétits partisans et privés.

 

Mais sanctionner l’arbitraire des gouvernants ne signifie pas forcément recourir à la violence. La violence et la transgression des lois n’ont jamais résolu les problèmes sociaux. Elles en créent de nouveaux et déclenchent des spirales inextricables. Dans un système démocratique valide, la loi organise la possibilité pour les citoyens de manifester leur désaccord face aux politiques publiques contraires à leurs aspirations. La liberté d’opinion, d’expression et de manifestation n’admet d’autre limite que la nécessité de garantir l’ordre public.

 

Le peuple sénégalais a subi plusieurs chocs terribles comme le drame du bateau le Diola, les augmentations vertigineuses des prix des denrées de première nécessité, des coupures d’eau pendant trois, voire quatre jours dans les grandes villes, des coupures d’électricité répétitives causant d’énormes pertes alimentaires et économiques, des scandales financiers impunis emportant des milliards d’impôts, des agressions sauvages sur des personnes et des biens passées sous silence judiciaire, etc., mais reste curieusement passif, voire inerte.

 

Cette passivité du peuple sénégalais est-elle une forme de résilience ou un manque de maturité politique ? La nation est-elle suffisamment unie et mature pour partir d’un vol égal vers une citoyenneté collective ? La nation existe-t-elle au Sénégal ?

 

Lorsqu’on soumet la nation sénégalaise à un regard profond et critique, on se rend compte qu’elle est traversée par des clivages insidieux d’origine confrérique ou ethnique. Parfois, le sentiment d’appartenance à une confrérie, à une ethnie, à une caste, l’emporte sur la fibre patriotique. De nombreux mariages sénégalais sont empêchés ou combattus au motif que l’un des époux est casté ou non. C’est aussi au Sénégal que la communauté musulmane célèbre deux voire trois korités pour un seul Dieu. Avec l’aventure des lions à la dernière coupe du monde, on a noté l’érection d’une certaine fierté nationale et même un sursaut patriotique. Mais on a vu, en même temps, des sénégalais s’entredéchirer en attribuant les victoires de l’équipe nationale à leurs marabouts respectifs. Deux groupes de confréries différentes ont frôlé la bataille rangée.

 

Entre le lébou de Dakar et le Soninké du Gadiaga, entre le foutanké du Nord et le bassari du Sud-Est, la distance culturelle est parfois plus grande que celle entre des peuples de pays différents. L’hétérogénéité culturelle rend difficile le sursaut national lorsqu’elle n’est pas transcendée par des valeurs objectives comme la citoyenneté. Les sénégalais, dans leur écrasante majorité s’attachent beaucoup plus à des personnes, précisément des personnalités politiques ou religieuses, qu’à des principes communs. Dans le parti au pouvoir, les militants accrochés à des intérêts pécuniaires défendent aveuglément toute action du chef même lorsqu’elle est manifestement contraire à la volonté nationale.

 

La religion est-elle alors «l’opium du peuple» sénégalais ?

Il est vrai que lorsqu’un guide religieux manifeste ouvertement son soutien à une personnalité politique, ses fidèles, parfois égarés dans le fanatisme, sont mal à l’aise pour critiquer l’action du leader politique. A de nombreux fidèles, on enseigne qu’un chef le devient par la volonté divine. Le contester devient presque un blasphème et son action est automatiquement revêtue du sceau de la perfection, tant qu’il demeure chef. Il ne reste alors qu’à prier pour lui.

 

L’immaturité politique est une autre explication à la léthargie du peuple sénégalais. Certains pensent que la démocratie est le terrain du folklore et de l’injure. Au lieu d’opérer une contestation organisée, par la plume, la parole et les manifestations autorisées, ils restent confinées à des déclarations insolentes dans la presse. Les militants des différentes formations politiques sont généralement incapables de rectifier leurs leaders respectifs quand ces derniers sont dans l’erreur. Ils se contentent d’applaudissements machinaux et appliquent naïvement les directives de l’instance dirigeante du parti, sans les discuter et, parfois, sans les comprendre.

 

Le comportement versatile des hommes politiques a contribué à décourager de nombreux citoyens. Tantôt un élu arrive au pouvoir, jette ses promesses à la poubelle et fait pire que son prédécesseur ; tantôt un opposant, portant l’espoir du changement de nombreux citoyens, retourne sa veste dès qu’on lui fait goûter à un morceau de pouvoir. De nombreux citoyens ont donc l’impression que la politique n’est qu’un jeu de dupes et qu’il vaut mieux compter sur soi-même pour sortir de la crise ou recourir à l’émigration vers l’occident.

 

La corruption est aussi un facteur explicatif. Beaucoup de bouches contestatrices se referment dès qu’on y introduit un peu d’argent ou de nourriture. Certains partis politiques excellent dans l’art de l’achat des consciences. Ils n’ont aucun programme politique intelligible et centrent leur campagne électorale sur les sacs de riz ou billets de banque à distribuer pour capter des votes naïfs. Et dans le contexte de pauvreté, certains préfèrent «manger» et se taire. Au lieu de perdre son temps à contester et à risquer la prison, il vaut mieux chercher à se rapprocher des tenants du pouvoir pour en tirer de multiples bénéfices. Le pouvoir en Afrique, est bien, selon la formule du politologue camerounais, Achille Mbembe, «le lieu du repas».

 

Une certaine classe de journalistes, paradoxalement, contribue aussi à endormir le peuple. Au lieu d’attirer l’attention sur des questions sérieuses d’intérêt national, ils se limitent à faire de l’événementiel pour vendre leurs journaux ou se plaisent à relater les guéguerres politiciennes entre des personnalités qui occupent le devant de la scène politique depuis de longues années sans rien proposer de concret.

 

L’éveil des conscience et l’enracinement d’une citoyenneté dynamique est donc une urgence au Sénégal, n’en déplaise aux politiciens qui cherchent au contraire à abrutir le peuple pour mieux régner.

 

Rosnert Ludovic ALISSOUTIN

[email protected]

 

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