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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

La tragédie Wade

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La tragédie Wade

Il faudra s’y faire. Nous avons élu un homme qui ne s’appartient plus. Le grand-père sympa que les Sénégalais accueillaient tous les soirs dans leurs foyers est devenu son propre fantôme. Très amoureux de lui-même, il ne peut plus s’entendre parler, il ne peut plus se regarder agir. C’est toute sa souffrance. Comprenez-le donc, quand Abdoulaye Wade se prive de parole, c’est contre lui-même. Une seule fois dans sa vie, il s’était soumis à cette règle douloureuse. C’est quand, suivant les interprétations d’un rêve, un marabout l’a réduit au silence pendant deux mois, pour lui sauver la vie, avait-il dit. Le président de la République a, au retour de chaque voyage, orienté la presse vers son ministre des Affaires étrangères, et le supplice a duré deux longs mois au bout desquels il a repris en main son ministère de la « parole ».
Son épouse, son fils surtout, s’opposent désormais à ce qu’il parle, mais il y a une bonne raison à cela. Ouvrir la bouche ne lui réussit pas depuis quelques temps. Il s’ajoute à cela, évidemment, une réalité cruelle qu’il vaut mieux ne pas évoquer. Le Sénégal est comme il est. Le président s’envole, les prix s’envolent. On a beau être poseur de compresses, la blessure est là, visible. Ceux qui espéraient un mot de lui attendaient de ces vacances de plus d’un mois des débuts de solution à la flambée des prix et à la famine qui guette. Mais il n’y en a pas, de remède miracle.
Il s’est donc rattrapé à Touba. Il y a la solennité des lieux, et il sait qu’il peut en tirer sans pudeur, le crédit qui lui manque, pour dire ce qu’il veut. Il y a un an, le vendredi 11 août 2006 précisément, c’est Touba qu’il avait choisi, pour annoncer une usine de production d’éthanol, qui doit « remplacer le gasoil », après avoir promis de faire du Sénégal « le plus grand exportateur de pétrole ». Ca ne le dérange jamais de dire de telles énormités, et de prendre tout de suite après la direction de la mosquée.
Faire une telle annonce, dans une ville qui n’a pas la moindre infrastructure sanitaire pour faire face au choléra, dans le département le plus pauvre du Sénégal, est en soi une insulte. Mais il est dans le métier qu’il connait le mieux, la démagogie. Il sait comment venir à bout des promesses : en faisant de nouvelles promesses. Le 1er mai 2005, il avait promis aux syndicalistes un tramway entre Dakar et sa banlieue avant la fin de l’année… 2005. Un an après, sans la moindre gêne, il promet, depuis le lac Leman où il est en croisière, deux bateaux solaires pour désengorger la capitale. Les promesses presque irrationnelles dans le domaine du transport sont un moyen de régler chez lui un problème de conscience qui le hante depuis le naufrage du Joola, et un autre qui le guette, sa commande d’un nouvel avion à plusieurs dizaines de milliards qui doit lui être livrée dans le premier trimestre de l’année 2008. Comment expliquer une promesse aussi farfelue, alors que le sud du pays reste isolé, parce que nous sommes incapables d’acheter un bateau dont le coût ne peut pas dépasser 2 milliards ? C’est le paradoxe de cet homme. Il a toujours des solutions, sauf quand il y a un problème. Mais sa grande réussite, c’est que ses grossièretés suscitent un rire amusé, plutôt qu’une indignation, alors qu’il s’agit quand même d’un chef d’Etat, et du destin d’un pays.
Après les 7 Tgv dans quatre ans, il ira tranquillement faire son Oumra à la Mecque, en y invitant, comme c’est à son habitude, sa bande de fils et dignitaires religieux, tous des réactionnaires compulsifs. Les promesses douteuses préparent toujours à des cures de « désintoxication ».

Voilà un chef qui avait tout pour réussir sa mission. Un contexte économique des plus favorables, un pays prêt à tous les sacrifices. Finalement, aucune réussite à son actif. De sa ville nouvelle, son autoroute à péage, son port minéralier du futur, ses 14000 bassins de rétention, on n’aura rien vu après 7 ans. Même le sommet de l’Oci auquel il tenait tant, est en train de lui échapper, par son entêtement à faire la promotion de son fils. La croissance a baissé de moitié, l’inflation monte, la dette intérieure s’accumule, la famine menace le monde rural, grâce au génie étincelant de cet homme. Le monde entier s’inspire de lui et de ses réalisations, et il le doit, de ses propres aveux, au culte du travail trouvé dans le mouridisme. Aller faire une telle déclaration à Touba, après un mois de vacances prolongées en Suisse n’est rien d’autre que de la provocation.
Mais il pense qu’il lui suffit de se proclamer travailleur, pour en donner l’impression. Il a toujours pensé que la parole vaut l’acte, que le croire, c’est le voir. C’est la doctrine machiavélique -et non mouride- avec laquelle il a gouverné jusqu’ici : « faire croire », « faire semblant ». Il n’a jamais soumis ses propres actions à la morale qui fonde le mouridisme. On ne peut pas s’inscrire dans un ordre moral aussi rigoureux, et se sentir à l’aise dans le mensonge, ne jamais se soucier de ses moindres engagements. Abdoulaye Wade ne mesure peut-être pas la gravité de sa déclaration, quand il promet 7 Tgv dans 4 ans, et assure que parce que Dieu exauce les vœux de Serigne Saliou, il aura ses rails et ses trains « par miracle ».
Une telle propension à passer à côté de la réalité est maladive, mais il aurait pu s’éviter de tels raccourcis, en convoquant une figure religieuse pour fuir honteusement les vrais problèmes des sénégalais.
Au bout de 8 ans, avec des recettes fiscales passées du simple au double, un budget général multiplié par trois, Abdoulaye Wade n’aura réussi que sa porte du millénaire. Les échangeurs appartiennent à un vieux programme financé par la Banque mondiale. Les grandes industries ont fait faillite, le secteur énergétique s’est écroulé. Tous ceux qui ont tenté de le raisonner sont passés pour traîtres à la nation. Il a préféré écouter les braveries de ses hommes de main, qui lui prédisaient un Sénégal « émergeant », avec la corniche la plus belle d’Afrique, avec hôtels et lampadaires en deux ans. Il y a un tel ras-le-bol dans le pays, que personne ne se demande où est passée la Pointe de Sangomar, qui avait nécessité 17 milliards de nos francs, mais surtout, où sont passés les premiers moteurs qui dormaient quelque part, à Perpignan.
Malgré cette note catastrophique, cet homme pense que le Sénégal ne le mérite pas. Samedi, il reprend l’avion pour aller poursuivre ses pérégrinations à la Mecque, pensant que l’impunité se paie au nombre de visites en ce lieu saint. A son retour, un autre voyage l’attend pour l’Europe, toujours au service de son prestige international. La hausse des prix des denrées vitales, les inondations, le déficit pluviométrique dans certaines localités, la pénurie de vivres vont attendre. A côté de ces questions, il y en a d’autres, tout aussi préoccupantes : avec quels moyens, dans quels locaux installer le nouveau Sénat, et surtout, le Sénégal peut-il se permettre un vide institutionnel, en ne désignant pas le remplaçant du président de la République en cas de vacance du pouvoir. Sur toutes ces questions graves, le chef de l’Etat ne montre pas le moindre empressement. Le Sénégal est trop petit pour mériter son attention.
Au bout de 7 ans, il donne l’impression d’avoir tout fait, tout essayé. Il ne reste plus de cette force qui s’était emparée du pays le 19 mars 2000, que la faculté de promettre, et quelles promesses ! Les unes sont plus farfelues que les autres, sans finesse aucune. Le sens de la mesure lui est étranger, et il n’est pas près de s’arrêter.



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